Alger - Revue de Presse


Le mouton de l'Aïd est un signe apparent de richesse. Est-il pour autant un signe de bonheur ?

La rengaine est connue. Elle revient deux à trois fois l'an, avec les mêmes mots, les mêmes formules et les mêmes fausses solutions. A l'approche de l'Aïd El-Adha, on parle du prix du mouton, qui, dit-on chaque année, atteint un niveau inacceptable. Les Algériens se plaignent, mais cela ne les empêchera pas de procéder au sacrifice rituel. Il est même probable que le nombre de moutons sacrifiés atteigne, cette année, un niveau jamais égalé auparavant.

Il y a deux mois, on a eu droit au même discours, répété pendant de longues semaines sur un ton inquiétant. Les prix avaient flambé durant le Ramadhan, entendait-on dire partout. Les fameux « ménages à revenu modeste » se trouvaient au bord de l'asphyxie, et même la classe moyenne éprouvait les pires difficultés pour survivre, disaient les analystes. De plus, beaucoup prophétisaient une rentrée sociale aussi difficile qu'agitée, les Algériens étant soumis, en peu de temps, à des dépenses décuplées, avec le Ramadhan, la rentrée scolaire et l'Aïd El-Fitr.

Il n'en fut rien. L'Aïd s'est passé dans le calme, la rentrée a été moins agitée que les années précédentes, et les Algériens semblent avoir supporté avec un certain flegme le poids de ces dépenses à répétition. S'agit-il d'une simple résignation de leur part, ou bien ont-ils sacrifié certaines dépenses vitales, pour assurer la rentrée et respecter les rites et rituels religieux ?

Mais surtout, comment expliquer ce décalage entre un discours alarmiste, annonçant une catastrophe sociale imminente, et une frénésie de consommation qui ne se dément jamais ? Comment ces foyers « à revenu modeste » arrivent-ils à tenir le coup, alors que de nombreux indices laissent supposer qu'ils seraient au bord de l'implosion ?

Ou bien, faudrait-il admettre que la pauvreté a vraiment reculé en Algérie, que le discours ambiant sur ce sujet serait erroné, et que la pauvreté ne toucherait plus qu'une frange marginale de la population?

Les indicateurs bruts concernant le revenu ne permettent guère de s'y retrouver. L'Algérien a un PIB supérieur à celui du Tunisien, et bénéficie d'une série de services gratuits ou fortement subventionnés, mais cela ne signifie pas qu'il vit mieux que le Tunisien. D'ailleurs, près d'un million d'Algériens se rendent en vacances en Tunisie, alors que très peu de Tunisiens peuvent se permettre un voyage similaire à l'étranger.

Ceci révèle un vrai paradoxe. En Algérie, on peut disposer de beaucoup d'argent, mais vivre mal. On peut disposer d'un certain confort matériel -appartement, véhicule, équipement ménager, etc.-, mais cela n'induit pas forcément la qualité de vie qui devrait aller avec.

A l'inverse, des pères de famille au revenu modeste réussissent à vivre dans des conditions correctes, en combinant certains facteurs que les chiffres bruts ne peuvent révéler. Les sociologues ont longuement disséqué ces facteurs, comme la solidarité familiale, la présence de plusieurs petits revenus dans un même foyer, les avantages qu'on peut tirer de services sociaux gratuits ou subventionnés, ainsi que différentes combines permettant d'adoucir le poids de certaines charges.

Est-ce suffisant pour justifier la salve de M. Hamid Temmar contre le classement de l'indice de développement humain publié par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) ? Les chiffres bruts de cette institution donnent un indicateur de base, qu'il faudrait modérer. Mais dans quel sens ?

Privilégiant quatre facteurs, que sont l'accès au logement et à la santé, l'espérance de vie et le niveau de vie, le PNUD a classé l'Algérie parmi les pays à «développement humain élevé», en soulignant une série de données très favorables. L'Algérie se situerait ainsi au dessus de la moyenne mondiale et de la moyenne arabe, et connaît l'un des taux de progression les plus élevés au monde. Mais l'Algérie reste tout de même à une peu enviable 84ème place sur 169 pays étudiés.

Ce tableau social est également assombri par un niveau de performance économique et social beaucoup plus inquiétant. S'agissant du climat des affaires, par exemple, l'Algérie n'est que 136ème sur 187 pays étudiés.

Ce qui confirme divorce réussi par l'Algérie: la disponibilité de l'argent ne garantit ni la croissance, ni le bien-être. Il y a même un décalage très inquiétant entre les dépenses sociales ou d'investissement. Pour soigner une grippe, l'Algérie dépense 2.000 dinars, alors qu'il en faudrait 500, résume, sous forme de boutade, un économiste. De même, pour produire un litre de lait, l'Algérie dépense 50 dinars, là où d'autres dépensent dix dinars.

Moralité : il ne suffit pas d'avoir l'argent. Encore faudrait-il savoir quoi en faire.






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