Algérie - Revue de Presse


Jouer à gagner la survie Il nous suffisait de quelques planches, une poignée de clous, un boulon et trois roulements pour façonner notre jouet préféré. On l’appelait le «carrico». C’est cette voiture, à notre dimension d’enfant, qui nous permettait d’aller à l’assaut des rues, souvent poussés par notre petit frère ou notre petit ami. On était heureux, heureux et éclatés de joie, heureux et sans aucune insouciance. Nous ignorions les peines de la condition humaine, les soucis de la politique et de tout le reste. Pour nous, les enfants, c’était une affaire de grands. Une affaire d’adultes. Nous laissions, sans le vouloir, cette cabale pour la vie à nos aînés, à nos parents. Qu’on aille à l’école ou qu’on apprenne par nécessité un métier pour venir en aide aux nôtres, pauvres, nous jouions et nous apprenions à fabriquer nos propres jouets. C’était le temps de l’après-guerre, le temps de tous les rêves permis, le temps où les adultes rêvaient à construire le pays, à le rendre plus digne et à nous permettre de vivre fièrement, la tête haute. Nous ne vivions ni la réalité du XIXe siècle en Angleterre avec ses enfants enfouis dans les mines de charbons et qui ne remontaient souvent pas, ni celle de l’Afrique où les enfants étaient mûrs pour jouer à s’entretuer comme au Rwanda ou ailleurs. Nous vivions sous la chaleur du soleil et des cœurs adultes l’âge de l’enfance qui nous préparait à être des hommes, sans haine ni amertume, bien avant que ne soit décrétée la journée de l’enfance, ni la diarrhée verbale des discours sur la solidarité, sitôt déclarée, sitôt oubliée. Enfants mendiants, enfants vendeurs d’eau, enfants vivant du revenu de sachets en plastique, enfants porteurs de couffins -et qui sait peut-être bientôt enfants cireurs?- sont une réalité qui envahit notre quotidien toujours un peu plus et qui exprime la marche «triomphante» d’une paupérisation honteuse d’un grand pan de la société algérienne. Ce processus rompant, s’il n’est pas arrêté, pourrait bien dans un proche avenir défoncer les murailles qui protègent le peu de bien-être dont nous jouissons dans nos cités et y compris les digues qui renferment nos ignorantes croyances. Et c’est ce même processus qui remet déjà en cause le sacro-saint principe de la solidarité, la paix et la concorde civile. Ce rouleau compresseur de la paupérisation doit nous inquiéter. Il est urgent de l’endiguer tant que le pays recèle des moyens financiers suffisants afin de définir et de mettre en œuvre une nouvelle politique économique et sociale fondée sur le principe du savoir et de la connaissance et du travail, afin d’humaniser un peu plus nos rapports dans la société et de restituer à nos enfants le temps de jouer. Abdou Ghalem





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