Algérie - Revue de Presse

« Nous voyions en lui un héros »


Bien qu'il ait été l'un des présidents algériens les plus populaires, Boumediène suscitait des sentiments contradictoires : il faisait peur autant qu'il fascinait. Il avait donné l'habitude d'une certaine manière de faire, pétrie de secret et de déni. La mort de Boumediène sonnait, pour certains, le "début de la fin". "Nous savions que plus rien ne serait comme avant. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, nous étions persuadés qu'il y avait un pilote dans l'avion", raconte Chérif, aujourd'hui cadre dans une entreprise privée. Pour certains, Boumediène a peut-être fait les mauvais choix économiques mais au moins a-t-il essayé de changer les choses. Rares sont les politiques qui n'ont pas péché par trop d'optimisme. "A cette époque, au moins, les gens avaient l'espoir d'une vie meilleure. Cette période leur avait permis de faire des études, de se construire. Il pouvaient enfin rêver d'une vie meilleure", estime Dalila, 41 ans.Aujourd'hui, dit-elle, les espoirs nés dans les années 1970 semblent avoir été rangés au rayon des illusions perdues. Tout ceux qui ont vécu la mort de Boumediène se rappellent de ce "sentiment de peur" qui s'est propagé immédiatement après l'annonce du décès. "Nous sentions qu'un pilier s'est effondré. Je me souviens avoir pleuré ce jour-là. J'avais 9 ans, je ne connaissais pas grand-chose à la politique mais il y avait cette peur des lendemains incertains. J'ai connu cette même sensation en avril 1980 lorsqu'on entendait ces bruits de Tizi Ouzou annonçant la guerre", confie Saâdane, qui a aujourd'hui la quarantaine. Ces larmes versées sur le "Zaïm" le font aujourd'hui bien rire. "J'étais trop jeune à l'époque, ce n'est qu'après que j'ai découvert son visage de dictateur", dit-il dans un grand sourire. En fait, explique Mustapha, 40 ans, les Algériens ne se rendaient pas réellement compte de la dictature de Boumediène. "Nous avons été complices d'un système totalitaire. Comme aux dessins animés, nous nous inventions un héro. Il y avait cette mythologie du père fondateur. Nous avons été bernés par l'école. Nous vivions dans le mythe que nous étions une nation respectée", analyse-t-il. De la mort du "Nasser algérien", il garde le souvenir des larmes de sa mère. "Boumediène était censé être immortel. J'étais doublement peiné dans la mesure où j'avais perdu mon père deux ans auparavant. Et là, le peuple algérien était soudainement orphelin. C'était un véritable choc émotionnel. Les gens paraissaient inconsolables. Pour eux, le pays s'est effondré", se rappelle-t-il. La transition vers la présidence de Chadli Benjedid ne fut pas sans ambages. "A l'époque, je ne savais pas trop ce qui se tramait en politique, mais on avait l'impression que c'était la grande débâcle. Nous sentions un grand vide. De la gestion de Boumediène, on garde ses discours aux accents populistes transmis par la télévision", raconte encore Mustapha. Pour Ali, qui avait 9 ans à la mort de Boumediène, le changement était difficile à accepter. "Je n'arrivais pas à m'habituer au portrait de Chadli à l'école. Il y avait une cassure dans l'image, comme une rupture dans mes souvenirs d'enfant.Cela ne me semblait pas être un passage naturel, il n'y avait pas de continuité. Le portrait de Chadli m'était inaccessible. Il y avait un vide. Boumediène me semblait plus proche", confie-t-il. Pour l'enfant qu'il était, le pouvoir de Boumediène se cristallisait dans les "DS" noires que tout le monde craignait et dans l'interdiction formelle de "parler kabyle à Alger ".Immédiatement après l'arrivée du colonel Chadli Bendjedid au pouvoir, quelques changements commençaient à se faire sentir. Le marché était inondé de bananes. Les Algériens en achetaient des cageots entiers. "Il y avait une sorte de boom commercial. Chadli a mis en place une liberté commerciale au forceps. Une liberté qui jurait avec ces queues interminables devant les coopératives socialistes et les Souks El Fellah", raconte Ali. Malgré ses efforts, Chadli n'a jamais pu rivaliser avec son prédécesseur. "Chadli, on l'a tout de suite détesté. Nous voyions en lui un pantin ridicule. Alors nous racontions des blagues sur lui pour nous venger", souligne Mustapha. Il fera remarquer que les blagues sur Boumediène n'étaient pas nombreuses. Les rares histoires qui existaient lui taillaient le costume de "héros". Pour une bonne partie des Algériens, le "Zaim" était parti en laissant un navire sans cap ni capitaine. Le paquebot "Algérie" devait louvoyer au gré des vents et des marées.


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