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"Nous existons, ne nous excluez pas"




Yacine Bouaziz, producteur de Thala Films, est l'auteur d'une lettre ouverte aux "autorités culturelles" pour dénoncer la situation dans laquelle se retrouve le secteur. Dans cet entretien, il revient sur les raisons de cette initiative et les problèmes récurrents rencontrés au quotidien par les acteurs concernés.Liberté : Vous venez de rédiger une lettre ouverte pour dénoncer la politique culturelle du pays. Pouvez-vous nous éclairer sur son contenu 'Yacine Bouaziz : C'est une lettre spontanée, elle ne découle pas d'une organisation ou d'une réflexion de groupe. C'est une lettre personnelle. C'est une lettre qui a pour but d'interpeller nos autorités culturelles pour leur dire que leur politique ne fonctionne pas, même si certains artistes et acteurs culturels tirent bénéfice de cette politique, la politique globale ne fonctionne pas bien et on le voit tous. C'est aussi pour leur dire que la culture ne leur appartient pas et que la culture appartient à tous les Algériens et ce ne sont pas eux qui produisent la culture, c'est faux, ce sont les gens qui la produisent. Ils sont là, pour aider. Pour leur dire aussi que la culture c'est pour les artistes et pour ceux qui travaillent dans le domaine culturel. Nous sommes plus concernés que les autorités culturelles puisque nous vivons de la culture. Si nous ne produisons pas, nous ne gagnons pas nos vies donc nous sommes plus concernés par la culture : si nous ne produisons pas nous ne mangeons pas. C'était un peu pour les interpeller et leur dire que nous, les gens travaillant dans la culture, nous réfléchissons, nous sommes concernés par la culture algérienne. C'est le but de la lettre. Il y a cinq ans quand j'ai ouvert "Thala Films", le mot d'ordre à ce moment-là était : "Il faut laisser la place aux jeunes", mais aujourd'hui je ne vois pas où est-ce que cette politique a été menée, je ne comprends pas ' Il faut plaire et être sous la tutelle du ministère ' La culture appartient-elle à l'Etat ' "Thala Films" est connu pour avoir produit des films en mode indépendant et nous avons eu beaucoup de difficultés, pendant que nos courts-métrages gagnaient des prix à l'étranger, le ministère de la Culture ne nous a jamais donné de visa d'exploitation pour exploiter nos films en Algérie.Nous avons fait des films algériens avec des équipes algériennes, le fait que nous ne soyons pas sous la tutelle de l'Etat, cela signifie que nos films ne sont pas algériens ' Nous avons eu plusieurs difficultés par exemple, je voulais devenir organisateur de spectacles parce que je produis de la musique, notamment le groupe Democratoz, je voulais voir si c'était possible de réaliser des concerts, donc j'ai fait des démarches auprès du ministère pour avoir un agrément que je n'ai jamais obtenu, alors que je l'ai déposé il y a 3 ans. J'y suis allé à l'époque de Toumi, ensuite de Labidi à chaque fois on me disait : "L'agrément, on ne le donne plus." Alors, je suis parti voir l'Aarc et on ne m'a jamais répondu. Comment peut-on faire de la culture en Algérie ' Les autorités algériennes ne peuvent pas produire toute la culture algérienne, ce n'est pas possible.Pourquoi réagir maintenant 'Nous commençons à être en difficulté, cela fait 5 ans que nous existons et nous nous posons la question : que devons-nous faire maintenant ' Est-ce que nous devons continuer ' Nous arrêter ' Ou alors devons-nous réagir ' Cette lettre c'est pour réagir pour ne pas se laisser faire. C'est une lettre spontanée que j'ai pondu parce que nous aimons la culture algérienne et nous sacrifions nos vies dans ce domaine pour faire du bon travail, pour être une bonne vitrine à l'étranger, pour intéresser les jeunes. C'est pour dire aux autorités culturelles : nous existons, ne nous excluez pas.Avez-vous des solutions à proposer aux autorités culturelles pour un éventuel changement 'Je pense qu'il faut embaucher des gens qui soient capables d'apporter des solutions. A mon niveau je ne sais pas, il faudrait ouvrir des écoles de cinéma, il faut permettre au privé de le faire aussi. C'est cette politique étatique qu'il faut changer, il faut laisser le privé investir dans la culture. Il faut juste libéraliser et laisser les gens travailler. Celui qui a envie d'ouvrir une salle ou une école qu'il le faisse. Aussi, nous sommes en difficulté à cause de la télé algérienne, personne ne parle de la catastrophe de la télé algérienne. Nous n'avons pas été payés depuis 2013. Comment pouvons-nous avancer comme ça, comment pouvons-nous avoir des idées, c'est impossible. La télé algérienne c'est notre grand point noir. Les télés devraient diffuser les courts-métrages. Il y a des sommes astronomiques dépensées dans des films, où sont ces films ' Cet argent a été pris au contribuable. Ces films nous ne pouvons même pas les voir à la télé ou au cinéma. À un moment, nous nous disons pourquoi faire de la culture ' Il faut qu'ils se rendent compte de cela. Tous les Algériens aimeraient sortir de chez eux, avoir une salle de cinéma, un théâtre... C'est la culture qui cimente les jeunes et le peuple. Sinon qu'ils nous disent arrêtez c'est l'Etat qui produit, là ce sera clair !S'il n'y a pas de réactions de la part des officiels, quelle sera la prochaine étape que vous comptez entreprendre 'À la fin de ma lettre j'ai dit que nous étions prêts à travailler avec toute personne de bonne foi. Cette lettre n'est pas faite pour que nous soyons leaders, mais si elle interpelle des personnes qui veulent améliorer les choses, nous pouvons nous organiser. S'il n'y a pas de réponse je ne compte pas m'arrêter. Ma réponse au système : c'est le travail. Quand la télé ne fait travailler que ses amis, j'essaye de faire une émission comme "Jawab bassit" même si je la vends à un prix super-bas, ce n'est pas grave, c'est ma manière d'exister. Nous nous battrons jusqu'au bout en produisant des films. Mon but n'est pas de faire de la politique mais de produire de la culture. Je veux faire de la musique, du cinéma, produire des spectacles, des émissions télés. Nous sommes tous dans le même pétrin et nous en discutons souvent avec les autres réalisateurs et producteurs...s'il n'y a pas de réponse nous essayerons de nous réunir, d'interpeller le ministre directement ou de demander une audience. Mon but est de parler de l'état général de la politique culturelle et de dire aux autorités que nous ne sommes pas ennemis, le but est que la culture rayonne. Je ne comprends pas pourquoi ils mettent des barrières.Quels sont les pays que vous considérez comme une référence dans le domaine culturel 'Je pense que la culture est une question de politique. La réussite dans le cinéma est due aux décisions politiques. Le Maroc a une vraie politique du cinéma. Il a plus de 80 courts-métrages et des dizaines de longs-métrages par an. Celui qui veut tourner au Maroc a toutes les facilités, et ceux qui tirent bénéfice de tout cela, ce sont les Marocains. Ils ont une école de cinéma reconnue à l'échelle internationale... Le modèle culturel reste la France, parce qu'ils ont trouvé un équilibre entre les investissements : permettre aux investisseurs privés d'investir et l'Etat prend en charge une partie de la culture. Dans notre lettre, ce n'est pas pour dire que l'Etat ne doit pas investir, mais pour dire : O.K. vous aidez comme le Fdatic, mais il faut qu'il y ait autre chose. Nous voulons avoir le choix.Entretien réalisé par : Hana MenasriaLettre ouverte aux autorités culturelles algériennes.




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