Algérie

Monsieur le Président


Le diagnostic de la situation de la recherche dans notre pays est simple: son infrastructure de recherche, effritée et chaotique, continue, hélas !, à sombrer dans la médiocrité; la recherche en Algérie continue de souffrir de diverses carences, appelées dispersion, immobilisme, fuite des cerveaux, double emploi, baisse de qualité, gaspillage de ressources, gestion douteuse, manque de coopération, esprit tribal, absence de transparence. Les enjeux sont considérables, et notre devoir est de vous alerter.

Les pays avancés et les Nouvelles Economies Industrielles d’Asie et d’Amérique latine s’accordent tous pour considérer que leurs économies reposent de manière essentielle sur la qualité de leur recherche, sur la capacité de leurs industries à innover, à s’adapter, à développer des technologies de pointe dites universelles et sur leur niveau d’éducation qui est corrélé à la qualité de la formation et à leurs laboratoires de recherche. Cette capacité dépend principalement du modèle approprié d’organisation proposé de la recherche scientifique et de développement technologique comme conditions du développement socio-économique en fonction de nos choix stratégiques.

 Les progrès spectaculaires récents des secteurs industriels des Technologies de l’information et des communications (TIC), aérospatiale, agroalimentaire, pétrole et gaz, automobile, proviennent des travaux réalisés en amont basés dans les secteurs fondamentaux des Technologies de l’information, des matériaux et des Technologies du vivant.

 Dans un pays comme le nôtre, il s’agit de savoir comment nous pouvons, dans ce contexte international, avoir prise sur ces évènements et atteindre la synthèse inéluctable. Pour y parvenir, le modèle proposé repose sur une conception nouvelle du système d’innovation constitué de réseaux d’organisations fonctionnellement interdépendantes pour chaque secteur d’activité: un réseau de formation, un réseau de recherche fondamentale et un réseau d’innovation technologique sur des segments des technologies universelles, à forte valeur ajoutée, à la pointe des connaissances. Le bon fonctionnement de chacun d’eux pris individuellement, comme de l’ensemble qu’ils forment, conditionnerait étroitement le progrès des connaissances et le développement économique. On verra ainsi qu’un processus dynamique et autonome de développement industriel peut être mis en route dans certains créneaux essentiels, et que ce processus devrait ultérieurement avoir des effets multiplicateurs et d’entraînement dans des domaines plus larges. Les enjeux de la recherche scientifique sont donc énormes et se traduisent de plus en plus rapidement dans la vie quotidienne de chacun. Ils sont la clé de notre économie de demain.

 Dans ce contexte, avec une certaine dose d’audace et beaucoup de recul, il y a plus d’une année, nous nous sommes mis à écrire en mettant en garde contre l’erreur de continuer dans la voie technologique, du moins dans le secteur qui nous concerne. Nous avons conscience que notre pays s’abandonne à une politique de facilité de manière aveugle, en continuant seulement les choses sur leur lancée, et d’imitation, en important des solutions toutes faites qui ne sont pas à l’échelle de ses moyens, ni même parfois dans le sens de son véritable développement: il est donc certain de perdre la partie. Il s’agit là d’investissement improductif, d’un pur et simple gaspillage.

 Le sujet en question - qui est à l’origine des écrits dans la presse - en est le projet CDTA/M+W Zander inscrit dans le cadre du Plan de soutien à la relance économique (PSRE), une opération de 2 milliards de dinars, sans tenir compte des coûts inhérents à l’entretien et au fonctionnement. Une demande d’audience adressée au Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, n’a, hélas !, pas trouvé d’écho pour cet objet. Suite à cela, nous avons recouru à la presse qui nous offre cette possibilité de nous exprimer, Dieu merci. Nous avons signalé que ce projet n’a même pas fait l’objet d’études préalables de faisabilité économique, et l’on peut se demander sur quelles bases ces opérations ont été financées, alors que rien ne garantit les retours sur des investissements de ce type. D’autant plus que le financement initial de 500.000 US$ dont bénéficiait le projet de la part du FADES (Fonds arabe pour le développement économique et social) était destiné à ces études. Celles-ci étaient prévues dans la convention FADES-Ministère de l’Economie en date du 27/06/1990, et devaient être menées en collaboration avec l’entreprise ENIE, la principale bénéficiaire, puisqu’elle était co-organisatrice de la conférence conjointe sur le développement de l’électronique dans les pays arabes CEN-ENIE-ONUDI (organisée à Sidi Bel Abbès en janvier 1986 avec la présence du FADES).

 Nous tenons à signaler que nous n’avons pris connaissance du contenu de la dite convention qu’en juillet 2002; celle-ci stipulait clairement dans son premier article: l’étude de faisabilité technico-économique, une démarche que nous avons toujours défendue, comme le dictait le bon sens.

 Un projet que j’ai dénoncé encore une fois publiquement lors de la réunion récente avec les Directeurs de Divisions et les chefs d’équipes de notre institution. Le Directeur du Centre n’a pas trouvé mieux que de me décharger de la responsabilité de la direction de la Division que je dirige. Mais j’en suis arrivé à une conclusion terrible: pour moi, il serait plus facile de mourir que de garder le silence. Garder le silence, en fait, me donnerait l’impression de lâcheté et de trahison. D’autant plus que nous avons la certitude que les idées élaborées comme solutions de rechange - pour affirmer notre conviction qu’il existe de meilleures façons de faire - permettront de définir plus clairement les buts et les moyens d’une économie adaptée aux conditions concrètes du décollage de notre pays et de son insertion dans l’économie mondiale.

 Ceci dit, quand les irresponsabilités prennent le pas sur la morale, elles ne doivent pas nous entraîner à sacrifier les intérêts à long terme de la Nation, et à trahir ceux qui se sont sacrifiés pour cette terre bénie, de surcroît que notre pays traverse actuellement des difficultés sociales et économiques dont nous sommes conscients et où tout ne semble qu’illusions et fausses promesses. Si nous ne réagissons pas dans cette conjoncture actuelle de notre histoire caractérisée par l’embellie financière, dont il faut remercier le Destin, il sera long et coûteux, voire impossible d’y remédier. Nous ne sommes pas le seul pays à connaître de telles difficultés, mais nous sommes le seul où des décisions aussi dangereuses pour notre avenir aient été prises en catimini.

 C’est dans ce contexte que notre devoir est d’appeler votre attention et celle de tous nos concitoyens sur tant de décisions budgétaires qui mettent notre tissu économique et social en péril. Les difficultés que nous traversons ne sont rien en comparaison de celles que nous connaîtrons si l’absence de politique scientifique claire et ambitieuse nous condamne à la pauvreté et à la misère, faute de pouvoir développer les technologies universelles qui seront notre richesse de demain. Notre situation actuelle régressera davantage si des décisions courageuses ne sont pas prises pour y remédier. Nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée pour examiner sereinement et sans a priori les forces et les faiblesses de notre système de recherche. Les compétences nationales locales et expatriées, reconnues internationalement, seront certainement prêtes à jouer un rôle dynamique si on leur fait appel, d’abord dans ce processus d’évaluation, ensuite pour la mise en oeuvre des réformes qui pourraient s’avérer nécessaires. Notre oeuvre devrait être une oeuvre collective. Par conséquent, le dialogue doit devenir une stratégie permanente.

 Nous voulons dire enfin, et ceci en guise de conclusion, que nous n’avons pour objectif que la qualité de la science de notre pays au service de nos concitoyens et un moyen d’accès à la civilisation. Nous attirons seulement votre attention sur les conséquences désastreuses de cette politique du «laisser-faire, laisser-passer». L’Etat doit insuffler un nouvel élan indispensable à la recherche scientifique en la finançant de manière rationnelle, comme l’ont si bien compris les nombreux pays qui font de la recherche scientifique une priorité absolue. Le flambeau de Novembre 1954 n’est pas éteint. Si nous faisons un bilan moral, si nous fouillons tous les recoins de notre demeure, si nous faisons sans indulgence notre examen de conscience, il surgirait de notre MEA-CULPA un miracle qui étonnera à nouveau le monde et nous étonnera nous-mêmes.

 En espérant que vous serez sensible à la gravité de ce message, nous vous adressons, Monsieur le Président, l’expression de notre plus haute considération.




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