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Mémoires anachroniques de l'Andalousie perdue



Il aurait pu terminer ainsi, après les sciences disparaissent ? et ce n'est que le produit de notre imagination : «de même que les royaumes et leurs gouvernants?».C'est une suite logique, n'est-ce pas ' Et de poursuivre son discours pour affirmer qu'on ne peut ignorer son environnement, car il fallait déceler les prémices de réformes qui s'annonçaient et marcher de pair avec les nouvelles techniques qui allaient révolutionner le monde. Malheureusement, nous n'avons pas su profiter de cette avance, nous n'avons pas pu marcher de concert avec les exigences des temps nouveaux?, nous nous sommes repliés sur nous-mêmes et avons pleuré notre sort. Cela nous a empêché, par exemple «d'adopter l'imprimerie à temps et dire que c'est nous qui avions apporté l'industrie du papier à l'Europe». Ainsi, comme pour la première réflexion concernant ce qu'avait déclaré Ibn Khaldoun, notre imagination nous incite à continuer, sur ce ton, et dire que : «ceci nous a empêché toutefois de marcher avec les exigences du dernier siècle qui était marqué par un bouleversement du rapport des forces. D'un côté, il y avait la guerre, les intrigues de palais et la dislocation de la société par des luttes continuelles entre les grandes dynasties musulmanes, de l'autre, l'extension sur l'ensemble du territoire du Conseil d'Etat qui s'occupait des Affaires étrangères et du Conseil de l'Inquisition, mais, surtout, il y avait l'union des couronnes de Castille et d'Aragon.» Et nos souverains, bien sûr, adoptaient la politique de l'autruche et ne voyaient que ce qui pouvait les arranger. Ils vivaient intimement les raffinements palatins, dans ce joyau fantastique qu'est l'Alhambra, jusqu'au jour où il fallait s'en détacher, non sans jeter cette larme ou ce «soupir du Maure» au moment de la chute de Grenade. Nos aïeux, et Abou Skander notamment, ne nous ont-ils pas raconté dans leurs chroniques, il y a longtemps, que son ultime souverain, Boabdil, aurait connu des instants dépressifs de mélancolie à l'évocation des dernières visions sur sa ville, qui était entre des mains infidèles ' Au regard de toutes ces conjonctures, poignantes et terribles au demeurant, n'est-ce pas que présentement, il y a une certaine similitude entre deux mondes, certes, éloignés dans le temps, mais de concert sur toutes les situations affligeantes et les alliances coupables ' La gloire et la chute de l'Andalousie, hier, n'illustrent pas aujourd'hui la «gloire des Arabes» ? si elle existe ?, leurs querelles et leurs trahisons ' Dans notre Histoire, malheureusement, le même spectre des divisions qui animaient les souverains musulmans de la péninsule, se poursuit et se perpétue, à travers le temps? Ainsi, on retrouve inévitablement, dans notre monde au présent, une «seconde Andalousie». Et alors, l'Histoire se répète ! Et pourtant, n'étions-nous pas unis, hier, en franchissant Gibraltar, pour conquérir l'Espagne et aller au devant de notre destin ' Oui, effectivement, nous l'étions, mais nous avons cessé de l'être dès lors que l'intérêt nous a envahi et que nous avons commencé à partager ce qui allait nous diviser. «Nous étions tourmentés par deux problèmes, comme disait quelqu'un, un artiste conscient qui a mis sur scène cette grande épopée andalouse, celui qui nous opposait entre nous et celui qui nous confrontait avec les Espagnols qui étaient déterminés à reprendre leur pays». De là, poursuivait Manil, l'Espagne a tiré profit des conflits entre les Arabes et les a combattus jusqu'au dernier prince, Abou Abdallah Ibn Ali Ez-Zoghbi ou Boabdil. Pauvres souverains qui n'avaient pas compris que huit siècles de gloire et de pouvoir n'étaient en rien l'éternité ' Quant à nous, nous avions tout perdu, déjà, en ce temps-là, y compris le peu d'audace qui nous restait et qui nous aurait permis au moins de nous départir de notre stupidité et de notre lâcheté. Nous disons cela, parce que lorsque le prince a remis la clé du palais à la reine, il lui a dit : j'ai une recommandation à vous faire, que devra retenir votre conscience et que j'ai inscrite sur le fronton du palais : «Il n'y a de victorieux qu'Allah». Effectivement, nous l'affirmons pour notre part, Allah est Victorieux, partout, en toute circonstance, mais il y a toujours des «vainqueurs» et des «vaincus» dans cette impitoyable lutte pour le pouvoir temporel. Alors, quand bien même la recommandation inscrite sur le fronton du palais est juste ? et elle restera éternellement juste ?, nous nous demandons qu'a fait Boabdil et ceux qui l'ont précédé pour arriver, après tant de siècles de gouvernance dans un pays qui leur appartenait au nom de l'Islam, à «lâcher les rênes» et remettre les clés du dernier bastion en se dérobant derrière une devise judicieuse, sur le fond et la forme, mais ne pouvant s'appliquer dans une telle situation pour ce qu'elle véhicule comme sentence. En effet, elle est antinomique dans cette situation de capitulation, parce que Dieu nous a toujours recommandé de lutter fermement pour notre liberté, notre émancipation et notre dignité. Il nous a toujours demandé d'être fort face à de grandes épreuves et ne pas fléchir. «Allah ne changera en rien la condition d'un peuple, tant que ce dernier n'aura point modifié ses valeurs de lui-même», (Sourate 13, Le Tonnerre) ou «Aide-toi, le ciel t'aidera !», dit le proverbe, traduit dans toutes les langues et dans toutes les religions. Ainsi, ce dernier souverain «Boabdil» ? il n'était que le dernier maillon de la chaîne ?, celui qui a mis fin à la longue épopée des musulmans en Andalousie, ne peut être le seul «verbalisé» devant l'Histoire et le cri de sa mère Aïcha El Hourra ne le touchait pas personnellement, mais tous ceux qui l'ont précédés, parmi les monarques. - «Ce n'est pas uniquement à toi que je m'adresse mon fils !», dit-elle à Boabdil, après l'avoir ébranlé par des mots durs. Je parle à tous ceux qui n'ont pu maintenir ce que Tariq Ibn Ziyad et ses valeureux guerriers ont donné à l'Islam dans cette région. Je vitupère contre ceux qui n'ont pu conserver cette flamme qui éclairait ce que le poète louait face aux étrangers, admiratifs, devant de magnifiques chefs-d'?uvre de l'Andalousie : «Empruntez la nuit, le jour ne suffit plus à la lumière de la civilisation arabe». En son temps, oui, ce fut une grande civilisation... El Hourra a entièrement raison, nous le confirmons pour notre part. Mais, que sommes-nous aujourd'hui, dans ce décor insolite où l'obsolescence, l'inconstance et le mépris ont déteint sur toutes nos entreprises pour nous placer au rang inférieur des nations respectables et respectées ' Que sommes-nous après Cordoue, Séville, Grenade, et les autres villes que nos ancêtres ont rebâties pour les faire briller de mille feux, dans un royaume qui prenait de l'essor dans tous les domaines, qui faisait chanter tous les poètes et donnait de l'inspiration et de la matière aux historiens pour dire, la parole vraie, concernant une conquête profitable et bénéfique ' Manil Ibnou Abi El Qacem se posait encore des questions. Mais que pouvait-il faire pour expliquer une situation aussi incommode que celle qu'a traversée l'Andalousie ' Il se contente d'énoncer quelques affirmations d'étrangers qui reconnaissaient à notre présence tous les bienfaits. Il nous les rapporte dans ces déclarations : L'orientaliste Rainhart Dozy, n'écrivait-il pas dans «Histoire des musulmans d'Espagne» que : «la conquête arabe fut un bien pour l'Espagne : elle produisait une importante révolution sociale, elle fit disparaître une grande partie des maux sous lesquels le pays gémissait depuis des siècles.»' L'expansion de l'Islam n'a jamais été considérée comme une invasion, moins encore, comme une colonisation. Vicente Blasco Ibanez ne le proclamait-il pas dans son ouvrage «A l'ombre de la cathédrale» quand il écrivait : «L'Espagne, esclave de rois théologiens et d'évêques belliqueux, recevait à bras ouverts ses envahisseurs [?] En deux années les Arabes s'emparèrent de ce que l'ont mit sept siècles à leur reprendre. Ce n'était pas une invasion qui s'imposait par les armes, c'était une société nouvelle qui poussait de tous cotés ses vigoureuses racines. Le principe de la liberté de conscience, pierre angulaire sur laquelle repose la vraie grandeur des nations, leur était cher. Dans les villes où ils étaient les maîtres, ils acceptaient l'église du chrétien et la synagogue du juif.»' C'est une évidence, et cela ne pourrait être que de cette manière. N'est-ce pas qu'Edouard Gibbon - célèbre historien ? disait, dans cet aspect de l'expansion de l'Islam : «Le succès phénoménal de l'Islam est dû au caractère exceptionnel de sa spiritualité et de son programme social et politique. L'expansion de l'Islam est l'une des plus grandes révolutions de l'Histoire...» ' Et Ignacio Olagüe ne notait-il pas à ce propos que «le splendide isolement de l'Occident est une supercherie. Ce sont les ?uvres musulmanes venues d'Espagne et de Sicile qui ont fécondé la civilisation» ' Enfin Paul Balta du quotidien «Le Monde» confirmait : «Or, l'héritage grec a été en grande partie transmis à l'Occident par les Arabes qui y ont ajouté leur apport propre. Et il fut considérable. Sans lui il n'y aurait probablement pas eu la Renaissance. Cela aussi, les Européens ont eu tendance à l'occulter.» C'est alors qu'en guise de conclusion, nous nous posons cette perpétuelle question. Nous la posons crûment, sincèrement et surtout courageusement. Ne sommes-nous pas ces individus à la conscience peu aiguisée pour avoir été oublieux, pour avoir creusé nous-mêmes notre tombe, faute de n'avoir pu pousser à ce que notre patrimoine soit pour longtemps partagé et valorisé par les pays qui le possédaient, afin qu'il serve à une meilleure connaissance mutuelle' La réponse serait-elle que nous n'étions pas fait peut-être pour l'évolution, parce que nous n'avons su maintenir cette Histoire et ce patrimoine communs afin qu'ils servent à améliorer la perception de «l'autre» et à établir une série de relations qui puissent nous aider à construire un monde plus humain et solidaire ' Alors, et cette puissante civilisation musulmane qui irriguait l'Occident et la conscience universelle, n'a-t-elle
pas créé cette rupture totale avec la culture hispano-wisigothe qui était alors dominante en ce temps ' Oui, elle a eu son effet, son grand effet, puisque «les deux cultures se fondirent en une culture autochtone singulière et éblouissante qui différencia énormément l'Islam occidental de l'oriental» relève «El legado andalusi». Mais il faut l'avouer, c'était l'?uvre de familles nobles, de ces tribus arabo-berbères provenant du Maghreb, qui pénétraient dans la péninsule et, peu à peu, s'installaient sur le territoire de l'Andalousie pour faire ?uvre utile, avant que d'autres ne viennent avec leurs divisions, leurs querelles, leurs Taïfas, leur hédonisme et leur libertinage, faire «capoter» tout le système et le royaume en même temps. Huit siècles, n'est-ce pas trop de temps pour ne pas penser qu'un jour l'on nous fasse sortir de ces terres conquises au nom d'un idéal, d'une culture et d'une révolution sociale et politique ' La réponse à cette dernière question, ceux qui m'ont précédé l'ont déjà donnée, et moi, je ne fais que la reprendre tout au long de cette chronologie. En effet, nous n'avions jamais à l'esprit de sortir en ce jour malheureux, du 2 janvier 1492, si nous étions restés sur les principes de Tariq Ibn Ziyad et d'Izémis, et tant d'autres, qui avaient la fougue de concilier, de réunir, d'éclairer, de bâtir et de progresser constamment dans la voie du développement, du bien et de la vérité. Mais la réalité a voulu autrement. Certes, nous avons développé le positif, mais à côté, nous avons agi avec beaucoup de négatif dans cette longue épopée andalousienne. Nous en avons parlé à satiété de cette ambiance nocive qui existait dans nos royaumes, et qu'encourageaient nos souverains et leurs «aréopages», constitués de courtisans et de thuriféraires, qui ont fini par mettre en coupe réglée un pays qui avançait pourtant convenablement du temps de certains califes bien aimés et bien respectés. Le résultat est là. Il faut l'accepter car c'est ce que nous avons semé. Il ne s'agit plus de pleurer un pays disparu à jamais, il ne s'agit plus de se lamenter sur ce que nous avons laissé partir, par notre faute, par notre inconscience, par notre maladresse et surtout par notre turpitude et notre duplicité. C'est alors que de cette belle et opulente Andalousie, il nous reste le souvenir, il nous reste la clé ? je reviens encore à elle une dernière fois ?, cette clé qui témoigne, fort heureusement, de la présence qualitative de ces jeunes berbères de «chez nous»?, ces jeunes qui avaient pour noms, Izemis, depuis la conquête de 711, jusqu'au dernier, Mohamed Chérif Abou Skander. Oui, Abou Skander qui racontait l'Andalousie, avec des larmes de douleur, jusqu'au royaume de Grenade et cette malheureuse reddition de son souverain. Il avait cette vision claire de l'Histoire, de ses péripéties, des hommes et des femmes qui l'ont écrite, et qu'ils s'appellent, Abd er-Rahmân Ibn Marwan, Abd er-Rahmân III ou El Hakam II, El Mançour ou El-Mu'tamid, Aïcha ou Soraya, Boabdil ou Ferdinand et Isabelle, Daoud ou Zahra ou encore Torquemada, le dominicain ou le grand «Maître de l'Inquisition» et de la torture qui inspirait le dégoût. - D'après-vous, à part la clé, il ne nous reste rien?, franchement rien, reprennent les infatigables demandeurs qui ne veulent démordre pour savoir plus sur leur passé ' - Enfin, reprit Manil Ibnou Abi El Qacem, le descendant d'Izemis, en ultime réponse?, il nous reste quand même ce droit de voyager en Espagne, quand l'espace Schengen nous est ouvert. A ce moment-là nous pouvons admirer ce qu'ont édifié nos ancêtres avec beaucoup de goût et de culture, la Giralda de Séville, l'Alhambra de Grenade et son pittoresque quartier de l'Albaicin. Nous pouvons, dans un respectueux élan de dévotion, accomplir une fervente prière dans la mosquée de Cordoue. Il nous reste également le droit de rêver. Il nous reste, comme nous savons si bien les organiser, ces agréables soirées où prime la nouba andalouse et où nous implorons, en de suaves mélodies, entrainés par le mouvement des «derjs» et des «khlas», ce «temps» qui n'est plus et qui est resté là-bas, dans ces belles maisons blanchies à la chaux et qui sont loin?, loin de nous, dans ce pays où nous avons laissé une civilisation complexe, une société riche en nuances, des expressions artistiques très raffinées, des figures d'une extraordinaire envergure et d'une rare beauté, des hommes extrêmement brillants, et de vieilles histoires d'amour, de haine et d'espoir... Et ainsi, en ch?ur, nous répétons avec nostalgie ces bonnes tournures de quelqu'un d'admirable, le ministre-poète, Lissen Ed-Dine Ibn El Khâtib, perdu dans les brumes des temps lointains, injustement condamné à l'oubli par notre aridité culturelle?, nous répétons pour exorciser cette douleur d'une partie de nous-mêmes qui est restée là-bas Jâdaka el ghaïthou idhâ el ghaïthou hamâ, Yâ zamâna el wasli bil el-Andalousi. Je vous donne quand même la traduction de ce poème, mais attention, vous resterez sur votre faim ? comme l'étaient nos parents, depuis leur retour d'Andalousie ?, parce qu'elle ne restitue aucunement la beauté de ces vers dits dans la belle langue de leur auteur? La pluie bienfaisante te comble lorsqu'elle se fait bruissante Ô belle époque de liens généreux en Andalousie !
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