Algérie

Massinissa, saint Augustin, Sidi Okba, Abdelkader... ou la mémoire collective en question




« Et que l’aujourd’hui enlace le passé avec le souvenir, et l’avenir avec un désir ardent. »

Khalil Gibran

Une chaîne de télévision publique française a récemment programmé un documentaire sur l’emir Abdelkader (1) retraçant tant bien que mal le long périple politique, intellectuel et humaniste du fondateur de l’Etat algérien moderne.

Fortement marqué par la personnalité complexe et hors du commun de ce grand algérien à la dimension internationale, interreligieuse et interethnique alors établie, l’auteur du documentaire ne cachera pas sa grande déception lorsqu’il s’agira de montrer de manière objective le piteux état des lieux censés commémorer cette grande destinée. Que ce soit à Damas en Syrie, sa résidence et ses bureaux de travail et d’enseignement sont devenus des endroits malfamés livrés aux détritus humains et aux pâturages ovins. Ou que ce soit à Mascara et à Ghris où les monuments et les lieux marquants les grands moments historiques de cette épopée ont été réhabilités de manière hâtive ne reflétant en rien ni l’importance des événements ni la grandeur du personnage. Désolant, dramatique et scandaleux ! D’autant que le documentaire en question a été réalisé dans le cadre de l’« Année de l’Algérie en France » et que cette manifestation a coûté bien plus que les moyens financiers que nécessiterait la restauration des monuments historiques de l’Emir, en particulier ceux de Damas en Syrie ! A seulement une année du bicentenaire de la naissance de l’Emir Abdelkader, et si l’on en croît certains membres de la fondation Emir Abdelkader qui n’ont ni vu le film ni ne semblaient au courant de la situation scandaleuse des monuments de Damas, il y a de quoi se révolter devant ce qui ne peut s’expliquer que par des négligences irresponsables et criminelles tant il est vrai que ni les moyens financiers de l’Etat ni la notoriété nationale et internationale du personnage ne peuvent être mis en cause ! Car il n’y a pas que le cas de l’emir Abdelkader. Le mausolée de Massinissa tombé en ruine a aussi été « réhabilité » à la grue, au mortier et au parpaing (2). La basilique de saint Augustin à Hippone est entourée de bidonvilles et pas loin de l’abattoir de la ville de Annaba. La tombe de Okba lbnou Nafaâ ne tient que grâce au volontariat de quelques familles locales. Et l’on pourrait continuer de citer d’autres lieux et monuments qui marquent la longue et singulière histoire de notre pays et de notre nation, et dont ils constituent la mémoire. Si le souvenir n’est qu’une évocation d’un événement, la mémoire notamment collective est une réactualisation des croyances, des connaissances, du savoir-faire et des normes par laquelle une société assure la permanence de ses représentations. Bref, une institution fondamentale de toute nation. La mémoire collective est un actif immatériel, un capital social pour utiliser le vocabulaire actuel. Ce capital est surtout culturel, c’est-à-dire un construit social fondé par les hommes sur une histoire, des valeurs, des symboles et des signes. Ces facteurs fondent l’identité et par-là même les conditions de la cohésion, de la performance mais aussi de la résistance d’une nation à travers l’expression d’une volonté partagée de vivre, travailler et réussir ensemble. La mémoire collective, c’est d’abord les fondateurs, c’est-à-dire ces hommes et ces femmes qui, par leurs actions matérielles et surtout spirituelles, auront contribué au cours de l’existence de cette nation, à construire, établir, conforter et faire évoluer son identité. En reconnaissance de quoi, chaque nation valorise ses fondateurs et leur rend hommage en faisant ses références essentielles et ses exemples symboliques. En général et selon la place occupée dans l’histoire, cet hommage va du baptême des rues, des établissements et des promotions des corps constitués, aux fondations nationales, aux statues et aux mausolées funéraires. La mémoire collective, c’est ensuite un enjeu de société, pour ne pas dire un enjeu politique et social. A travers les commémorations datées, les jours déclarés, les journées d’étude, les séminaires et les colloques, on mettra plus ou moins en exergue une personnalité, une vision, un aspect culturel que d’autres. On donnera donc des moyens financiers et de communication plus ou moins importants selon le cas. La mémoire collective, c’est enfin une ressource économique. Cela va de l’icône au tee-shirt en passant par les activités culturelles, touristiques, cinématographiques, littéraires et scientifiques. La mémoire collective exige donc la plus grande attention de la part de tout un chacun, citoyens et pouvoirs publics, tant pour ce qu’elle représente de fondamental pour le pays en tant que fonds social national par excellence, que pour ce qu’elle peut être sujette à manipulation, voire à privatisation. Et pour cause, elle est le liant essentiel et détermine, de ce fait, le passé, le présent et l’avenir de la nation. A ce titre, elle nécessite non seulement une veille stratégique et une réactivité efficace de la part des pouvoirs publics, de la société civile et des institutions concernées, mais aussi et surtout une bonne gouvernance dans le sens le plus rigoureux du terme, et cela par-delà les contingences et les conjectures de toutes sortes.

Note de renvois

1- TV5 monde « A la recherche de l’émir Abdelkader »,janvier 2007

2- Quotidien Liberté du jeudi 13 avril 2006
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