La violence exercée par des forces d’occupation contre des populations civiles constitue un fil conducteur entre le massacre d’Oradour-sur-Glane, perpétré par les nazis en France en 1944, et les nombreux massacres commis par l’armée française en Algérie sur plus d’un siècle, de la conquête coloniale en 1830 jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance en 1962. Cet article explore ces événements, compare leurs caractéristiques et s’appuie sur des travaux d’historiens tels que Benjamin Stora, Raphaëlle Branche, Gilbert Meynier, Sarah Farmer et Jean-Luc Einaudi pour éclairer leurs contextes, leurs ampleurs et leurs impacts.
Le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement de Normandie, la 2e division SS Panzer « Das Reich » entre dans le village d’Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne. En représailles à l’activité supposée de la Résistance et à l’enlèvement d’un officier allemand, Adolf Diekmann ordonne un massacre systématique.
Sarah Farmer, dans Martyred Village (1999), décrit cet événement comme un acte de punition collective visant à terroriser la population française. Jean-Luc Einaudi (Oradour : un massacre allemand, 2007) souligne la brutalité méthodique des SS, qui reflète la logique d’occupation nazie : intimider par la destruction totale. Aujourd’hui, Oradour reste un mémorial intact, symbole universel des crimes de guerre.
Contrairement à Oradour, acte unique et concentré, les massacres en Algérie s’inscrivent dans une continuum de violence coloniale sur 132 ans. Voici une synthèse des principaux épisodes, couvrant la conquête, la colonisation et la guerre d’indépendance.
Dès l’invasion d’Alger en 1830, l’armée française, sous les ordres de généraux comme Thomas-Robert Bugeaud, adopte une stratégie de terreur pour soumettre les tribus algériennes. Les « enfumades » marquent cette période : des populations entières sont asphyxiées dans des grottes où elles se réfugient. Le 18 juin 1845, à Dahra, le colonel Pélissier ordonne l’enfumade d’une grotte où se cachent environ 500 à 700 membres de la tribu des Ouled Riah. Tous périssent dans des conditions atroces. Quelques mois plus tôt, à Sbéah, le colonel Saint-Arnaud avait procédé de manière similaire, tuant des centaines de civils.
L’historien Olivier Le Cour Grandmaison, dans Coloniser, exterminer (2005), estime que ces massacres, combinés aux razzias et aux destructions de villages, ont causé des dizaines de milliers de morts entre 1830 et 1847, avec une population algérienne passant de 3 millions à 2 millions selon certaines estimations. Cette violence vise à briser la résistance et à imposer le contrôle colonial.
En 1871, sous le Second Empire, une révolte dirigée par le cheikh El Mokrani éclate en Kabylie contre les spoliations foncières et la misère imposée par la colonisation. L’armée française répond par une répression féroce : villages incendiés, exécutions sommaires et confiscations massives de terres. Environ 10 000 à 20 000 Algériens sont tués ou déportés, selon Gilbert Meynier (Histoire intérieure du FLN, 2002). Cette répression consolide la domination coloniale mais alimente un ressentiment durable.
Le 8 mai 1945, alors que la France célèbre la victoire sur l’Allemagne, des manifestations nationalistes éclatent en Algérie pour réclamer l’indépendance. À Sétif, la répression dégénère après des heurts avec des colons : l’armée, la police et des milices civiles massacrent entre 6 000 et 20 000 Algériens (les chiffres officiels français évoquent 1 500 morts, contestés par les historiens). Des bombardements aériens et des exécutions collectives touchent des villages entiers.
Benjamin Stora (La Gangrène et l’oubli, 1991) qualifie ces événements de « tournant décisif » vers la guerre d’indépendance, tandis qu’Yves Courrière (La Guerre d’Algérie, 1968-1971) détaille l’ampleur de la répression, orchestrée pour écraser le mouvement nationaliste naissant.
Pendant la guerre d’indépendance, l’armée française intensifie ses opérations contre le FLN et les civils suspectés de le soutenir. Les « ratissages » dans les zones rurales, comme en Kabylie ou dans les Aurès, impliquent exécutions, tortures et bombardements au napalm. Le 20 août 1955, à El Halia et dans le Constantinois, une révolte du FLN entraîne une riposte disproportionnée : environ 12 000 morts algériens, selon certaines estimations. Sur l’ensemble du conflit, les pertes algériennes (civils et combattants) atteignent 300 000 morts, selon Raphaëlle Branche (La Torture et l’armée, 2001), bien que le chiffre officiel algérien de 1,5 million reste débattu.
La bataille d’Alger (1957) voit aussi des violences ciblées : disparitions, exécutions sommaires et tortures massives, documentées par Branche, marquent la répression urbaine. Ces pratiques visent à maintenir l’Algérie française à tout prix.
Le massacre d’Oradour-sur-Glane et les massacres en Algérie partagent une brutalité dirigée contre des civils, mais diffèrent par leur temporalité et leur portée. Oradour est un cri dans l’histoire, figé dans un instant tragique ; les violences en Algérie, de 1830 à 1962, forment une litanie de destructions, reflet d’une oppression coloniale prolongée. Les travaux de Farmer et Einaudi éclairent l’horreur d’Oradour, tandis que Stora, Branche, Meynier et Le Cour Grandmaison révèlent l’ampleur d’une violence structurelle en Algérie, dont les échos résonnent encore.
Posté Le : 09/03/2025
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Hichem