Algérie - Revue de Presse

« Maman, viens voir, y a Novembre qui passe à la télé ! »




Aujourd'hui, c'est le 1er novembre 2008. La petite Yasmine, parce qu'elle a bien travaillé à l'école, aura droit, du haut de ses huit ans, à une séance télé avant le dîner. C'est bientôt l'heure du JT (journal télévisé) de vingt heures. La mère, enseignante de métier, s'affaire encore à la cuisine. Le père, quant à lui, est au balcon. Il répare avec minutie un meuble usagé.Soudain, une voix puérile fuse du salon : « Maman, viens voir, y a Novembre qui passe à la télé ». La mère, qui se rappelle avoir demandé à sa fille de lui signaler chaque fois les spots se rapportant à la commémoration du 1er Novembre, accourt au salon d'un pas alerte. Elle s'était promis d'expliquer la signification de cette date à Yasmine qui, naguère, lui avait demandé, quelquefois avec insistance, ce que pouvait bien signifier Novembre 54 dont elle avait souvent, mais vaguement, entendu les adultes parler à l'école, dans la rue, chez ses grands parents...Pendant que quelques vieilles images d'archives suggérant des scènes de batailles défilent bruyamment à l'écran, la mère s'emploie à les commenter pour Yasmine avec des mots simples, accessibles à sa compréhension d'enfant. Au bout d'un moment, elle veut s'assurer que sa fille a bien compris.Pourtant, Yasmine déclare : « C'est tout, maman ' C'est tout, Novembre ' Je ne vois pas Boudiaf ici. Et les ennemis, les Français avec qui il s'est bagarré, où sont-ils là dedans ' » Ne sachant quoi répondre à sa fille sur le champ, la mère retourne à la cuisine pour surveiller le repas. En s'éloignant, elle promet à Yasmine qu'elle lui reparlera longuement de Novembre, mais quand elle aura un peu de temps. Et surtout pas comme à la télé. Car à la télé, Novembre n'aura seulement fait que passer. Trop vite, il faut le souligner. Ah ! Il y a tout de même, comme à l'accoutumée, un magazine commémoratif. Il est programmé juste après le JT. Bien sûr, c'est la énième fois que le même magazine est servi aux téléspectateurs, toujours avec le même soliloque en guise de commentaire. Et après ' Après, il y aura, bien sûr, un trop vieux film des années 1970-80. Et aussi d'autres kilomètres de câble. Mais ce sera pour parler d'autre chose, de ce qui va très mal ailleurs. Et, bien entendu, uniquement de ce qui va « très bien » chez nous .Voilà donc pour le traitement, par un média lourd de surcroît, réservé à la commémoration d'une importante, sinon la plus importante date-anniversaire de l'histoire contemporaine de l'Algérie.Un événement de taille, dont les répercussions politiques avaient largement dépassé les frontières du pays à l'époque. Un événement dont on ne mesure pas toujours assez les valeurs fondatrices de la République auxquelles nous sommes toujours censés adhérer, même plus d'un demi-siècle après. Un événement qui, à présent, se trouve réduit à une anonyme et circonstancielle parodie télévisuelle - pour ne pas dire à la portion congrue - faite avec les inamovibles images d'archives. Images éculées depuis belle lurette'Ainsi Novembre vient de passer à la télé, comme l'avait si bien cru dire Yasmine. Il vient de passer comme n'importe quelle émission de variétés, n'importe quel documentaire, n'importe quelle émission magazine. Un 1er Novembre désincarné que d'aucuns, à l'image de cette enfant, auront vite oublié le lendemain, annonciateur de toutes les incertitudes.





Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)