Algérie

8 Mai 1945 : affermissement d'un système profondément injuste




«Si les peuples sont heureux sous la forme de leur gouvernement, ils le garderont.S?ils sont malheureux, ce ne seront ni vos opinions, ni les miennes, ce sera l?impossibilité de souffrir davantage et plus longtemps qui les déterminera à le changer, mouvement salutaire que l?oppresseur appellera révolte.»Diderot : Histoire des deux Indes. Cette citation du XVIIIème siècle peut s?appliquer parfaitement à l?engagement des Algériens, mais aussi à la répression qui a suivi les manifestations de la première semaine de mai 1945. Répression qui a connu son apogée le 8 mai dans le Constantinois. Celle-ci a été fatale pour des Algériens ayant cru qu?après la libération de la métropole, il était temps pour que leur peuple recouvre, lui aussi, son indépendance. Malheureusement, à la réclamation de ceux-ci de vivre librement dans leur pays, les autorités coloniales ont répondu par une répression inouïe. Répression qui a pour but : le souci de maintenir, attaché à la France, le vaste territoire outre-mer. Du coup, celui qui s?est assigné une mission civilisatrice a oublié son sens originel en écrasant dans le sang les manifestations de mai 1945. Les principes de 1789 ont été ainsi foulés au sol.C?est ainsi que la célébration de cette journée a deux significations, que l?on soit Français ou Algériens. Si pour les premiers, il s?agissait d?une indépendance retrouvée après une occupation nazie très pénible, les seconds s?inclinent devant la mémoire des leurs pour avoir demandé la même liberté. Toutefois, le contexte de l?époque, notamment la défaite du fascisme et du nazisme, avait aidé, pourrait-on penser, les Algériens à croire aux principes des peuples dits « civilisés », vainqueurs de ces deux nébuleuses. L?histoire a montré qu?à ce moment là, les Algériens étaient, sans doute, naïfs de croire en la charte de l?Atlantique, du 14 août 1941, qui proclamait : « le droit pour chaque peuple de choisir la forme du gouvernement sous lequel il doit vivre », car ils ont simplement oublié que la démocratie occidentale n?avait de valeur que s?il s?agissait de leurs semblables. La conférence de San Francisco, ayant défini les contours de la nouvelle organisation des nations unies (ONU) n?a-t-elle pas soutenu, elle aussi, le droit des peuples à disposer d?eux-mêmes ? En tout cas, s?il y avait une telle velléité sur le papier ; sur le terrain, les colonisés étaient obligés d?affronter à mains nues l?arsenal de guerre de l?occupant pour acclamer, haut et fort, leur désir de vivre sans carcans.Cependant, même si les déclarations des alliés n?étaient qu?un coup d?épée dans l?eau, les ultras de l?Algérie française ont imaginé un scénario idéal pour mater, dans l?_uf, toute revendication des Algériens. Selon Yves Benot, auteur des massacres coloniaux : « en avril 1945, le préfet d?Alger, Périllier, crée des incidents à Reibell où est assigné à résidence Messali Hadj, et en prend prétexte pour faire déporter le dirigeant nationaliste, le 23 avril, d?abord dans le sud, à El Goléa, puis en AEF (Afrique de l?Est Française).» la cause était probablement la consécration de Messali, un mois plus tôt, chef incontesté du mouvement nationaliste par les AML( les Amis du Manifeste et de la Liberté). Cette organisation regroupait par ailleurs tous les partis nationalistes. Ainsi, à la nouvelle de la déportation de Messali à Brazaville, le 30 avril 1945, les militants du PPA (Parti du Peuple Algérien), parti interdit à la veille de la seconde guerre mondiale, ont décidé d?organiser une manifestation pour le lendemain, fête du travail. Les mots d?ordre inscrits sur pancartes étaient : « Libérez Messali ! », « Algérie libre et indépendante ». Slogans séditieux, selon les autorités coloniales, pouvant entraîner la mort sur le champ. Profitant de la journée mondiale du travail, les nationalistes ont voulu, d?après l?historienne Annie Rey Goldzeiguer : « démontrer aux autorités et à l?étranger que la population musulmane affermit sa volonté de poursuivre la lutte contre la domination de l?impérialisme français.»Cependant, le 1er mai n?a été préparé que dans les principales villes du pays. Les militants nationalistes ont beau essayer d?informer le maximum de sections du parti, le temps imparti à la mobilisation était insuffisant. Mais, fidèles à leur politique de répression, les autorités coloniales ont réuni leur arsenal de guerre pour dissuader les Algériens de marcher. A Alger, dés le matin, un imposant barrage policier a été dressé pour juguler la procession des manifestants. Et dés l?apparition du drapeau algérien, la police n?a pas hésité à déclencher les hostilités. Dans une enquête menée par Henri Alleg sur cette journée, il a conclu : « il y avait eu quatre mort et sept autres qui ne survivront que quelques jours à leur blessure. » Toujours à Alger, la police n?avait pas l?apanage de la répression selon Annie Rey Goldzeiguer, auteur de : « aux origines du mouvement national », notant à juste titre que : « les Européens des abords de la rue d?Isly ont non seulement barricadé leur balcon, mais des coups de feu ont été tirés sur les manifestants. » l?autre ville à avoir connu le cauchemar ce jour-là était Oran. L?intervention de la police a provoqué une bagarre énorme. Bilan de la journée : un mort et plusieurs blessés du coté des manifestants. En revanche, dans d?autres localités où ont eu lieu des manifestations, la dispersion n?a pas entraîné de graves incidents. A Sétif, la marche s?est terminée dans le calme. A Guelma, la marche était silencieuse.Par ailleurs, au lendemain des événements d?Alger et d?Oran, les nationalistes ont fait un bilan sur l?ampleur de la répression. Ils ont arrêté une stratégie consistant à ne pas baisser les bras face à la politique répressive coloniale. Mais face à une autorité réactionnaire, la situation ne pouvait connaître autre chose qu?enlisement et pourrissement. Cette détermination des nationalistes n?était-elle pas une occasion rêvée pour les autorités coloniales d?empêcher la restructuration du parti nationaliste, interdit depuis 1939? La réponse est oui car le parti, même clandestin, continuait de mobiliser le peuple à chacun de ses appels. C?est ainsi que toute la première semaine de mai, des arrestations des nationalistes s?étaient effectuées à un rythme effréné. Le rouleau compresseur colonial a pu ainsi démanteler quelques organisations locales, notamment à Alger et à Oran. Résultat des courses : pas de manifestation des nationalistes dans ces deux grandes villes, le 8 mai.En revanche, là où c?était possible, les Algériens ont répondu favorablement, bien que le risque ait été énorme, à l?appel des AML, dont le PPA était fortement représenté. Bien que la répression se soit déplacée dans le Constantinois, d?autres localités ont connu l?intervention musclée des autorités coloniales. Dans le Constantinois, A.R.Goldzeiguer a résumé la journée comme suit : « au matin du 8 mai, Sétif est le théâtre de violents affrontements. Le soir des heurts seront enregistrés à Guelma et Bône (Annaba).» A Sétif, les organisateurs ont tenu à ce que la manifestation ait lieu dans le calme. Aucune arme n?a été tolérée. La manifestation avait deux objectifs : célébrer la fin du nazisme en déposant une gerbe au monument aux morts et prouver aux autorités que l?Algérie aussi avait vocation à être libre. Ils ont choisi pour seule arme leur drapeau. Mais là aussi, comme au 1er mai, les policiers dégainaient leurs revolvers dés l?apparition du drapeau algérien. A Guelma, en revanche, la tâche a été accomplie par le sous-préfet Achiary. Ce dernier n?a pas hésité à tirer sur le porte drapeau après qu?il a été interpellé par un militant socialiste du nom de Fauqueux : « alors, monsieur le sous-préfet est ce qu?il y a ici la France ? » selon Jean Louis Planche, auteur du (8 mai 1945 : un massacre annoncé) : « comme sous un coup de fouet, Achiary saisit son revolver dont il s?est armé, entre dans la foule droit sur le porte drapeau et tire. Son escorte ouvre le feu sur le cortège qui s?enfuit, découvrant dans son reflux le corps du jeune Boumaza.»Par ailleurs, dans deux villes, l?intervention des maires a évité la catastrophe. Il s?agissait des villes de Khenchella et Bordj Bou Arreridj. D?après Y. Benot : « maire et administrateur veillent à éviter l?intervention policière.» En revanche, à Blida les ingrédients étaient réunis pour qu?un carnage ait lieu, mais des Anglais et des Américains étaient présents dans la manifestation portant eux-mêmes les drapeaux de leurs pays. Pour Y. Benot : « il devenait difficile d?ouvrir le feu... Néanmoins, le porte drapeau a, ici aussi, été tué. »Pour conclure sur cette semaine meurtrière, on peut affirmer que la responsabilité des autorités coloniales a été totale. Le refus d?obéir aux injonctions policières pour jeter leur drapeau était la part de responsabilité des manifestants dans les événements du 1er et 8 mai. En tout cas, l?éventualité de jeter son drapeau paraissait impossible comme le soutenait un manifestant du 8 mai 1945 : « le drapeau étant sacré, il est impossible de le remiser une fois sorti. » Mais, pour qu?une émeute se déclenche, le meilleur moyen n?est-il pas de saisir les banderoles, les pancartes aux manifestants ? En tout cas, le nombre de victime, ce jour-là, nous renseigne aisément sur les responsables du massacre. Pour Y. Benot : « aucun policier à Sétif non plus qu?à Guelma, n?a été blessé par balle. »Quant à la répression qui a suivi cette révolte (en France, on l?appelait le droit à l?insurrection contre l?oppresseur, le plus sacré des devoir disait la Fayette en juillet 1789, cité par Y. Benot), les autorités ont mobilisé l?aviation, la marine, les gendarmes, la milice civile, les sénégalais, etc. pour venir à bout d?une guerre imaginaire selon la citation latine : « Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant.» Traduction : « où ils font un désert, ils disent qu?ils ont donné la paix. »Â  Sources :Yves Benot : les massacres coloniaux,Annie Rey Goldezeiguer : aux origines du mouvement national,Jean louis Planche : 8 mai 1945, le massacre annoncé.
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