Algérie

M. Ahmed Benbitour à La voix de l’Oranie


La transition permanente, un facteur majeur de la corruption en Algérie La lutte contre la corruption est sur toutes les langues. Pouvoir et opposition se joignent pour dénoncer ce phénomène. Mais en fait, qu’est-ce que la corruption? Comment se présente-t-elle dans notre société? Quelles sont les causes participant à son émergence? Autant de questions et bien d’autres auxquelles le Dr Ahmed Benbitour, ancien chef du gouvernement et actuellement SG du comité de lutte contre la corruption, a bien voulu répondre sans fioritures et avec un langage simple et qui contraste avec les grandes analyses qui nous sont habituellement servies. Mais plus que cela, le Dr Benbitour se veut, à travers ce comité, une force de proposition pour passer à l’action. C’est tout cela qu’il développe dans cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, avec toute l’amabilité et la modestie qu’on lui connaît. La voix de l’Oranie: M. Benbitour, pourquoi un comité de lutte contre la corruption, et précisément maintenant? Ahmed Benbitour: A vrai dire c’est un comité pour la sauvegarde des intérêts des générations futures. Nous avons défini deux objectifs stratégiques. Le premier est de travailler à la mobilisation de toutes les compétences nationales pour l’élaboration partagée et la mise en œuvre ensemble d’une nouvelle politique de développement. Cette dernière voudrait qu’on tire un maximum de profit du potentiel disponible aujourd’hui, mais sans hypothéquer ce même potentiel pour les générations futures. Le deuxième objectif, c’est de tenter de contribuer à mobiliser la majorité silencieuse à travers la société civile sur ces questions. - Y a-t-il des obstacles à vos objectifs? - Effectivement. Pour atteindre ces deux objectifs nous faisons face à trois contraintes essentielles. La première contrainte c’est la corruption, la seconde c’est la dilapidation des ressources nationales et quand je parle de ressources nationales je parle du capital humain et des ressources dont dispose ce pays, je pense notamment au pétrole et au gaz. La troisième contrainte, c’est le constat d’une faiblesse chronique de la gestion et de la planification du développement. Et à stade, qu’est-ce que nous disons? Nous disons que si nous voulons dépasser ces contraintes, il faudra souligner toute l’importance de la mobilisation de la société civile sur ces objectifs. - Comment comptez-vous y arriver? - Nous travaillons à réunir une conférence nationale, ensuite quatre conférences régionales (Est, Ouest, Centre et Sud) et, enfin, des conférences wilayales. Avec l’ensemble des résultats de ces conférences et, bien sûr, avec les contributions de tous ceux à qui nous adressons cette première plateforme, nous allons essayer de formuler un programme pour une nouvelle politique de développement qui traitera, justement, de ces trois questions. - Vous parlez de conférences régionales et wilayales, cela suppose une activité réglementée de votre mouvement. Quel est justement le statut légal du comité de sauvegarde des intérêts des générations futures? - Nous avons fondé ce comité pour la réflexion et pour la proposition de mise en œuvre de stratégies, mais nous avons aussi un secrétariat général qui est assuré par une association qui s’appelle l’Académie de la société civile algérienne qui existe légalement. Celle-ci est assez bien implantée dans le pays et mobilise 87.000 membres adhérents. - Quel discours comptez-vous tenir pour sensibiliser les citoyens sur cette initiative? - Nous avons trois éléments en partance. Nous disons que le moment est venu, aujourd’hui, pour passer de la complaisance à la vérité. Le deuxième élément est de passer de la dénonciation vers la proposition de remèdes. Enfin, le troisième élément est de servir de canal pour la transmission des idées des élites vers les populations. Voilà si vous voulez les trois principes sur lesquels nous travaillons. - Avez-vous les ressources nécessaires pour mener ces actions? - C’est là l’autre élément fondamental. Nous ne disposons pas suffisamment de ressources matérielles et physiques. Nous allons, dès lors, minimiser nos besoins en moyens matériels et asseoir nos actions sur ce que nous maîtrisons le plus: l’intelligence et le savoir. Donc nous allons axer notre travail beaucoup plus sur le développement de l’intelligence et le savoir que sur le fameux travail de proximité par des éléments qui utilisent des ressources matérielles. Nous voulons susciter un éveil des consciences sur la gravité de la situation même si elle n’est pas irrémédiablement incorrigible. Il y a des moyens pour faire face à cette situation et de pouvoir proposer une alternative. - Vous parlez de contraintes, comment les définiriez-vous? - Dans les contraintes que nous rencontrons, il y a la corruption, le gaspillage des ressources et la mauvaise gestion. Dans chacun de ces éléments nous proposons des définitions et des solutions. Nous disons propositions, car notre travail consiste justement à faire émerger un débat, le plus large possible, qui puisse nous amener à avoir une compréhension commune. Nous proposons donc des définitions et des premières suggestions de solution. Quand on parle de corruption, nous disons faites attention à trois types de corruption. Il y a ce que l’on appelle la petite corruption qui se situe au niveau des fonctionnaires. Je m’explique. Vous êtes en situation où vous avez un droit tout à fait naturel que normalement vous pouvez obtenir facilement, mais on va s’arranger pour retarder la délivrance de ce que vous êtes venu chercher. Cette situation vous amène à donner un petit pot-de-vin pour accélérer les choses. C’est donc une petite corruption qui implique certains fonctionnaires soumettant les citoyens au bakchich. Les exemples foisonnent dans ce cas de figure notamment lorsqu’il s’agit de documents administratifs de ces citoyens. Le deuxième cas c’est la grande corruption. Cette dernière surgit lors de la conclusion de gros contrats de réalisation des infrastructures, au niveau des prêts bancaires et au niveau des programmes de développement. Le troisième niveau de corruption, et celui-là est de loin le plus dangereux, c’est l’accaparement de l’Etat. C’est le cas où des individus vont essayer d’anticiper la formulation des lois, d’anticiper la formation des gouvernements, d’anticiper la construction des institutions et donc les formater à leurs propres intérêts. L’exemple le plus probant est celui de la Russie où les oligarques ont définitivement accaparés l’Etat. Cette situation est dangereuse car, chez nous, il y a les conditions structurelles pour la naissance de ce type de corruption. Je ne dis pas que c’est une chose qui existe, aujourd’hui, mais j’attire l’attention sur le danger de la voir s’implanter. Les conditions structurelles existent pour ce type de corruption. - Que voulez-vous dire par «conditions structurelles»? - D’abord, il y a cette situation de transition. Lorsque vous abordez le passage d’un système politique autoritariste vers un système démocratique et d’une économie administrée à une économie de marché, les institutions sont fragiles. A ce moment-là, la voie est grande ouverte à la corruption et donc il y a des personnes qui monopolisent la représentation de l’Etat sur le double plan politique et économique. Le problème, dans le cas de figure de l’Algérie, est que nous sommes figés dans la logique de la transition permanente. Cela veut dire que nous ne sommes ni en démocratie ni dans un système autoritariste, de même nous ne sommes ni en économie de marché ni en économie administrée. C’est le cercle vicieux. Cette situation est dangereuse. La deuxième «condition», c’est la nature des ressources. Quand on a des ressources naturelles comme les hydrocarbures, cela crée une économie de rente. Et qui dit rente dit corruption. Quant à la troisième, elle a trait à des phénomènes liés à la société, surtout quand c’est une société qui est passée d’un colonialisme séculaire à l’indépendance nationale. Ce phénomène engendre des divisions dans la société pour des raisons de régionalisme, tribalisme… Cette situation peut engendrer la corruption car des dirigeants sont enclins à s’entourer de personnes de leur région ou carrément de leur tribu. Et plus grave que cela, c’est le système de cooptation qui bloque l’émergence des compétences au niveau des institutions. C’est pour toutes ces raisons que nous disons, eu égard à ces conditions structurelles, que les trois types de corruption peuvent exister simultanément en Algérie. Il est temps de les prendre en charge avant qu’il ne soit trop tard. - Il y a aussi le phénomène du gaspillage des ressources qui gangrène l’économie nationale… - Si on aborde ce chapitre, je scinderai les ressources en deux volets. Le premier volet concerne la ressource humaine. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’aujourd’hui l’Algérie est un exportateur net du capital humain. Qu’est-ce que cela veut dire? Voyez le nombre des experts étrangers en Algérie et le nombre d’experts algériens dans le monde, la balance n’est certainement pas en notre faveur: il y a plus d’experts algériens à l’étranger que d’experts étrangers en Algérie. Je voudrais vous citer le seul exemple de l’enseignement supérieur. En 2005, ce secteur comptait environ 25.000 enseignants dont 68 étrangers, c’est-à-dire moins de 0,3%. Quand vous allez voir de l’autre côté, le nombre d’enseignants algériens à l’étranger est très élevé. Cet exemple est valable pour tous les secteurs d’activité (médecins, ingénieurs…), en plus du fait que les plus brillants d’entre nos étudiants n’aspirent qu’à partir. Par ailleurs, les compétences nationales qui sont restées au pays vont vers les entreprises étrangères venues s’installer en Algérie. Ces exemples montrent à l’évidence le gaspillage important qui touche ces compétences qui sont tellement nécessaires aujourd’hui et dont la formation a coûté cher au pays. C’est pour cela que nous disons aujourd’hui: il nous faut une politique nouvelle dans ce domaine. En ce qui concerne les ressources naturelles ou plus exactement les hydrocarbures, chaque fois qu’on extrait du pétrole ou du gaz du sol, c’est un appauvrissement de la nation au départ parce que vous avez un patrimoine dans le sous-sol que vous enlevez, donc vous appauvrissez votre nation. C’est l’utilisation qui est faite des recettes d’exportation et de la fiscalité pétrolière qui montrera si vous l’avez fait pour sauvegarder les intérêts des générations futures ou pour dilapider des ressources non renouvelables. On constate, aujourd’hui, qu’on va dans l’augmentation de la production et donc l’augmentation des exportations; mais voilà, nous sommes dans la situation telle qu’on extrait des ressources du sous-sol pour les entreposer comme réserves de change dans les banques étrangères et contribuer conséquemment au développement de leurs pays respectifs. A la fin de l’année 2006, nous étions à quelque chose près comme 70 milliards de dollars; à l’horizon 2011, nous ne serons pas loin de 150 milliards de dollars. Qu’allons-nous faire de tout cet argent? Il faudrait justement une vision dans la gestion de ces fonds pour ne pas être dans la situation d’hypothéquer l’avenir des générations futures.   A suivre...


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