Algérie - Revue de Presse

Louisa 11eme partie
Résumé : Aïssa avait repris ses esprits. Il avait faim et s'était rappelé du passé et du présent. Le rêve prémonitoire de Louisa s'était réalisé à son réveil' Elle n'en revenait pas en découvrant son frère en train de discuter avec son père devant l'âtre, comme au bon vieux temps'.
Mon frère se retourne alors vers moi, avant de se lever et de venir me serrer dans ses bras. Il me lâche pour reculer et me toiser :
- Dis donc ! Ce que tu as grandi Louisa ! Tu es devenue une jeune et jolie femme' Les prétendants ne tarderont pas à se bousculer à notre porte.
Intimidée, je baissais pudiquement mes yeux. Aïssa me traîna vers l'âtre et me fit asseoir. Il semblait confiant et sûr de ses gestes, alors que la veille encore il ne savait pas où il se trouvait ni qui il était.
J'adresse un remerciement muet au créateur. Louanges à lui, le très haut.
Mon père souriait' Son sourire édentée découvrait deux gencives noircies par la chique. Mais cette fois-ci, je ne fais aucun commentaire sur ce poison qu'il affectionnait particulièrement lorsqu'il était heureux.
Quel bonheur !
Je me levais et ouvrais toute grande la porte de notre maison en poussant un long you-you qui, en quelques minutes, réveilla tout le village. Des voisins accoururent' Des femmes curieuses par cette "annonce de joie" vinrent demander des nouvelles. Ma mère eut beaucoup de mal à répondre aux interrogations de ces dernières. Elles finirent enfin par comprendre les raisons de notre joie' Chacune alla alors de son propre gré pour pousser des you-you stridents et ameutèrent ainsi les sages de la djemaâ qui se trouvaient encore à la mosquée pour la prière de
l'aube.
Ces braves hommes remontèrent la pente menant au village, et accoururent pour s'enquérir sur cette agitation matinale et inaccoutumée.
De leur côté, ils furent très heureux d'apprendre la bonne nouvelle, et vinrent embrasser mon frère et le serrer dans leurs bras' C'était le héros du jour' Aïssa se rappellera très longtemps de cette journée.
On donne une grande fête et on égorgea le dernier mouton qui restait dans notre écurie. Nous n'avions plus grand-chose à offrir et mon père égorgea cette bête sans hésitation pour régaler les invités. Des femmes vinrent à la rescousse pour m'aider à préparer le repas' Un commerçant ambulant avait consenti à nous donner de la semoule moyennant un grand sac de figues sèches. Je décidais alors de rouler le couscous et d'en faire profiter tout le village. Mon frère était enfin revenu parmi nous, et le reste importait peu.
On chante, on danse, on mange, on boit et on s'amuse jusqu'à une heure tardive de la nuit. Malgré le froid, les gens ne voulaient pas rentrer chez-eux. Chacun voulait vivre au maximum ces moments de gaîté et d'insouciance. Cela faisait bien longtemps que notre village n'avait pas connu autant de joie.
On oublia les peines et les mauvais jours, et on se laissa emporter par ces moments de liesse. Aïssa, comme tous les jeunes de son âge, ne s'arrêtera pas de danser'
Quelques jours passent' Nous étions heureux Malgré la misère qui sévissait, la présence de mon frère auprès de nous nous réconfortait.
À vrai dire, c'était moi qui gagnais le "pain familial". Des gens venaient me consulter de tous les villages environnants. Les uns avaient entendu parler de mes dons et les autres étaient tout simplement curieux de m'approcher. On me payait, bien sûr, en nature : semoule, légumes, 'ufs, volaille' etc.
Lorsque mes prémonitions se réalisaient, j'ai toujours droit à un cadeau supplémentaire et personnel. Des femmes m'offraient des tissus, des parfums ou des bijoux en argent. Souvent je refusais. Ces malheureuses vidaient le fin fond de leur coffre pour me récompenser. Je n'acceptais donc que les dons de certaines privilégiées qui recevaient régulièrement des colis et des mandats de leur proches et maris installés de l'autre côté de la mer.
Mon père passait des journées à paresser au soleil, sous le regard désapprobateur de ma mère qui voulait qu'on reprenne la culture de nos champs. Nous avions des terres qui s'étendaient à perte de vue. Mais nous n'avions pas de "bras" pour les travailler. Mon père se faisait vieux, et Aïssa ne connaissait pas grand-chose à la terre, si ce n'est quelques rudiments qu'il avait appris avant de partir à la guerre. En sus, il était le garçon unique et ne pouvait faire face aux grands travaux d'agriculture. Nous avions pensé au recrutement de quelques jeunes paysans mais, hélas, nous n'avions pas les moyens de les entretenir, encore moins de les rémunérer. Ma mère proposa alors l'hypothèque des terres.
L'idée n'était pas mauvaise. Seulement, par ces temps de vaches maigres, vous comprenez que les gens n'avaient pas les semences, ni les moyens de les acquérir. Alors comment accepter l'hypothèque ancestrale (qui consistait à travailler la terre d'autrui et en partager les récoltes) au risque de ne pas tenir les promesses en temps voulu '
Nous demeurâmes donc indécis. Je continuais à pratiquer la voyance et à gagner notre pitance quotidienne.
(À suivre)
Y. H.


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