Algérie

LETTRE DE PROVINCE 50 ans de littérature : la relève de l'aube



Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Dans le travail d'inventaire de ce cinquantenaire, dont seule la presse s'est chargée de passer au crible, il est, nous semble-t-il, un volet qui manquait. Celui qui devait revisiter le champ littéraire post-indépendance et notamment les œuvres des nouveaux hussards qui, très tôt, annoncèrent la rupture avec le courant dominant de l'écriture de combat.
A leur façon, certains d'entre eux réinventèrent l'exigence du romantisme d'un autre siècle et d'un autre «ailleurs» où la poésie, entre autres, n'avait de compte à rendre que de ce qui relève du ressenti personnel. Sans être tout à fait une affectation narcissique qui manifeste son désir d'en finir avec l'école de la glorification patriotarde ayant caractérisé les œuvres de l'époque de la guerre, le poète des temps nouveaux s'efforçait néanmoins de parler et d'écrire différemment sur le pays. En fait, il se désengageait seulement d'une pesante vulgate, certes nécessaire en son temps, pour mieux humer l'air ambiant d'une société exposée à de nouvelles aliénations. Evidemment, ce divorce entre générations d'écrivains n'avait rien de semblable à la légendaire «bataille d'Hernani» que provoqua l'immense Victor Hugo, néanmoins avait-elle permis à la littérature nationale d'accoucher d'une autre poésie. Et celui qui l'avait incarnée le mieux s'appelait Ahmed Azzegagh. Nous sommes en 1963 et l'Algérie, dans l'ivresse d'une indépendance acquise, on ne compte plus les textes dithyrambiques rédigés à la gloire d'un héros abstrait désigné dans le vocable de «peuple». La prose romanesque et notamment la poésie rivalisaient sur le même registre. Un concert unanimiste dans la glorification où les superlatifs tenaient le haut des pavés imprimés. Aux voix anciennes (Malek Haddad, Kateb Yacine, Mammeri et Sénac) venaient se mêler celles d'une nouvelle génération tout aussi vaillante dans l'imitation et généreuse dans la sanctification démagogique. Or, parmi ces plumes du «devoir», il en était une qui s'en démarquait, mais pas trop. Par son dépouillement dans l'écriture et la retenue face aux mots qui mentent, elle mettait un bémol discret au chorus et relativisait les airs des trompettes. C'était celle d'Ahmed Azzegagh et elle fut tout de suite reconnue même par les plus implacables écrivains organiques. En effet, dès juillet 1964, la revue culturelle officielle Novembre publiait cinq poèmes que justement Malek Haddad préfaça d'une manière très prudente. Voilà comment il annonçait la naissance du poète : «La chose est rassurante. Je viens de lire, je viens d'écouter un jeune poète, un nouveau poète. Le mot “relève” prend chez moi la vigueur des promesses tenues. Azzegagh m'a raconté son âge et son talent. Je voudrais qu'il éternise son âge dans son talent. Et je voudrais qu'il chasse les nuages et que les soleils soient “innombrables”.(…). Dès lors qu'un poète publie, il doit des comptes à ses lecteurs, déjà, il ne s'appartient plus. Pour se libérer de sa créance, il lui faut du cœur et faire beau. Je n'aime ni les préfaces ni les présentations. Je ne suis la caution de personne.» En ces temps anciens où l'optimisme était aveuglant, toute plume sombre était évidemment suspectée même si elle était clairvoyante. Effectivement, elle était reconnaissable entre toutes. Verbe âpre, voix murmurante en contrepoint avec le clair-chantant de la chorale patriotique. Prose à la recherche d'une poésie de la justesse des choses à hauteur de la prosaïque vérité d'un pays trop sublimé pour être réel. C'est de cette précoce quête inquiétée que par la suite surgirent puis s'imposèrent les nombreuses voix littéraires qui traduisirent les pulsations de la société sombrant dans le doute face à l'imposture permanente. Comme tous les écorchés vifs, c'est à ce précurseur du pessimisme «positif» que l'on doit la vigueur actuelle de ce qui se publie, ici et ailleurs, de la part des écrivains algériens. Ceux de sa génération se souviennent de sa rébellion «sereine» face à toute forme de censure. En effet, c'était lui qui demandait aux officiels de se taire lorsqu'ils n'avaient rien à dire. Et de clouer au pilori les maîtres-censeurs en leur citant une formule d'auteur qu'il affectionnait tant. «(…) L'artiste, répétait-il, a le devoir d'aller trop loin ; les autres sauront bien lui apprendre où passe la frontière». Et ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce pays qui, ayant tout gâché en cinquante années d'existence, parvient tout de même à garder intact un souffle de créativité littéraire immense, que seuls les clercs officiels ne s'expliquent pas ! Et pour cause, la relève était déjà à pied d'œuvre aux premiers mois de l'indépendance. A l'aube d'une identité retrouvée, dira-t-on.



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