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Lettre de Badr'eddine Mili à Abdelhamid Benhamada*



Lettre de Badr'eddine Mili à Abdelhamid Benhamada*
Mon cher frère Abdelhamid,Voilà , enfin, ton vœu exaucé et ta bataille solitaire, menée durant plus de deux années contre l'indigence mémorielle des bureaucrates, consacrée par une victoire hautement symbolique qui en a réjoui plus d'un à Constantine et ailleurs en Algérie.L'impasse Mouclier contiguë à l'ex-rue Bienfait porte désormais le nom de tes parents, le moudjahid Mohamed Benhamada et le policier Azzeddine, lâchement assassiné par le terrorisme intégriste, le 27 novembre 1997, dans la laiterie familiale de l'ex-rue Charbonneau ; un hommage arraché de haute lutte, d'autant plus significatif qu'il a été rendu à deux combats complémentaires, celui de la libération de la Nation et celui de la sauvegarde de l'Etat républicain.C'est là le résultat de ton opiniâtreté indémontable qui t'a aidé à ne pas t'avouer vaincu et à ne pas baisser les bras devant les portes cadenassées du silence hostile et du déni dressées sur ton chemin. Tu n'as négligé aucun recours susceptible de te permettre de les ouvrir : ni l'Organisation nationale et régionale des moudjahidine, ni l'administration, ni les syndicats, ni même les autorités morales et intellectuelles du pays. Mais qu'est-ce qu'on t'en a pas fait baver pour accéder à une impasse ! Qu'en aurait-il été si tu avais sollicité un boulevard ou une avenue ' Je n'ose même pas imaginer la réaction des gardiens du temple. Tu es venu me voir à Alger, en automne dernier, et tu t'en es plaint avec une amertume difficilement contenue. Je t'avais promis de faire ce qui était en mon maigre pouvoir et lancé, juste après, dans la presse, un appel aux institutions concernées afin que soit réservée à tes démarches une suite appropriée.Mais le couronnement de ton action, tu ne le dois qu'à toi-même ainsi qu'à la foi inébranlable que tu avais placée dans la justesse de ta demande, emblématique d'une cause qui dépasse — parce que liée à d'autres enjeux — les limites presque banales de la simple débaptisation d'un lieu, aussi chargé de sens soit-il. Plus loin que cette décision qui aurait dû couler de source sans faire l'objet d'un quelconque lobbying — comme pour des milliers de cas similaires en instance —, se pose, en effet, la question plus vitale du devenir de l'esprit de la révolution, la source de notre mémoire collective, et le liant qui structure et cimente l'unité du peuple algérien plus fortement que tous les autres.Mais pour un succès acquis dans la douleur, comme celui que tu viens de conquérir, combien de défaites déroutantes sommes-nous contraints de concéder dans ce long marathon de la résurrection que constitue le sauvetage de notre histoire, de nos histoires”'nombreuses, malheureusement. On le constate lorsque l'incompressible culte du souvenir nous pousse à revisiter ces désormais déserts de l'oubli dans lesquels on se retrouve à compter, impuissants, et avec une grande colère, les fossiles d'une gloire bradée par une négligence coupable sinon, plus grave, sur les marchés de la vénalité et de la corruption.Pour ne prendre que l'exemple de ces territoires que notre enfance traumatisée a partagés comme un butin de guerre inestimable, on se surprend à pleurer sur l'état de délabrement désastreux qu'offrent aujourd'hui, à nos yeux, des quartiers comme Aouinet-El-Foul et Roud Ouled Braham, ces bastions de la bataille de Constantine où s'illustrèrent Zighout Youcef, le 20 Août 1955 ; Si Messaoud Boudjeriou, tombé au champ d'honneur dans le Nord constantinois ; Zaâmouche Ali, guillotiné à La Casbah ; Kaghouche Abdelhamid assassiné par les parachutistes à la rue Verdun ; Hamlaoui, tombé à la rue Cahoreau ; les frères Boufenara et Madjid Errous les fidaïnes de Saint-Jean ; Zaâmouche Mohamed ; Gheddar Moussa ; Benderadji Kamel ; Bentouhami Dahmane et Kaghouche Mohamed, les adolescents enlevés par la Main Rouge, morts sans sépulture, et j'en oublie, involontairement, parce que dans ces bantoustans de misère, c'est tout un peuple qui fut décimé par l'armée coloniale.Une revanche sur l'Histoire planifiée dans une officine de la 5e Colonne n'aurait pas provoqué plus grande désolation humaine, économique, urbanistique et écologique que celle dans laquelle sont, aujourd'hui, plongés ces deux agglomérations. Dans mes élucubrations de semeur d'utopies, j'avais, en 2013, proposé aux pouvoirs publics, alors que j'y tournais, avec Hocine Nacef, le film Le Dernier Hiver, d'ériger sur ces deux espaces mythiques, surplombés par les hôtels Ibis et Novotel, un ensemble urbain rénové et réaménagé autour de centres de vie plus seyants, s'étendant jusqu'à la vallée du Hamma.J'ai rêvé de voir percer le long du Rhumel une réplique de la perspective Nevski jalonnée de tours baptisées du nom des valeureux chouhada de la ville.Un plan sur la comète tiré par un incorrigible nostalgique en mal d'inspiration ' Non ! Parce qu'avec une infime partie des 800 milliards de dollars accumulés par l'Etat en quinze années d'opulence, ce rêve aurait pu prendre corps dans les mêmes formes et les mêmes délais que celui de la Grande Mosquée d'El-Djazaïr ou, plus relativement, du Park Mall de Sétif.Tu me diras, cher Abdelhamid, que rapporté à l'impasse pour laquelle tu as ferraillé plusieurs années, la réalisation d'un tel projet aurait mobilisé les énergies de tout un pays pendant des décennies sans être sûr qu'il aboutisse sur quoi que ce soit de concret.Oui, j'en conviens, les choses ne sont pas aussi simples ni aussi faciles. Il ne suffit pas d'en parler, seulement, il importe d'agir pour déclencher et faire avancer les dynamiques du changement.C'est une entreprise de longue haleine qui requiert des moyens massifs.Avoir réussi à faire débaptiser une impasse — un tour de force très révélateur du nombre et de la solidité des verrous à faire sauter — est certes une goutte d'eau dans un océan, mais un océan n'est-il pas la somme de milliers de ruisseaux ' Et puis quand la volonté politique existe, le reste suit.En attendant que ces ruisseaux se rencontrent pour faire le lit de la grande résurrection de notre pays, je te félicite pour cette victoire remportée sur les commanditaires de l'oubli, l'occasion pour moi de partager avec ta famille une pensée émue à la mémoire de notre frère Abdelhak Benhamouda, la conscience éclairée de nos luttes communes.B. M.* Parent de Abdelhak Benhamouda





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