Algérie - A la une


Lettre à un ami
J'essaie de me porter bien. J'essaie de faire semblant. C'est un exercice compliqué, surtout à cet âge, mais c'est tout ce qui reste puisqu'il n'y a plus rien! Rien que des cris dans le désert!Allongé sur les draps de ton insouciance, occupé à caresser les rêves de tes petits-enfants et, comme si tu ne le savais pas, tu me demandes comment je vais. Eh bien, tiens, je vais bien. Je vais très bien. Et même un peu plus!Le soleil n'a pas cessé de se lever depuis que toi, moi et nos semblables avons quitté la dechra. Il n'a pas cessé d'aller se coucher au soir, non plus. L'hiver continue à apporter son froid et l'été sa canicule et sa poussière. Sur notre terre, il souffle encore des vents silencieux et il pleut toujours des hommes. Dans notre ciel, les étoiles continuent à s'ennuyer des histoires contées et, surtout, de celles tues. Aux dernières nouvelles, l'arc en-ciel aurait déposé un préavis de grève. Tu m'interroges si je vais bien' Oui. El Hamdoulillah! Comme toi, je regarde passer le temps aveugle sur notre terre oubliée. Je le vois piétiner, sur son passage, les travailleurs et les honnêtes gens. Mais bon, on ne peut pas en vouloir aux aveugles de piétiner ceux qui se trouvent sur leur passage. N'est-ce pas déjà amplement suffisant qu'ils arrivent à ne pas tomber sur les chemins caillouteux qu'ils se sont imposés' Qu'ils ne trébuchent même pas' On m'a fait savoir récemment que, sous chaque pierre de notre chère terre, il y a désormais un scorpion, pas nécessairement inscrit au registre du commerce, qui prend un droit de passage sur les pauvres passants. Tu paies ou tu es piqué. Et comme tu connais nos scorpions, cela ne pardonne pas. Un vieux voisin m'a fait savoir, hier, par skype (tu enregistres mes progrès'), que dans mon quartier, certains passent l'après-midi, à fouiller dans les poubelles («hachak») à la recherche de quoi manger et, lorsqu'ils trouvent quelque chose, ils doivent payer une taxe à une sorte de percepteur qui se tient là, à l'entrée du quartier et vérifie le contenu des sacs noirs de plastique de tous ceux qui sortent. Cela ressemble au «mekkès» de nos souks d'antan, mais avec de grosses RayBan en plus, histoire d'être adapté au troisième millénaire et à la démocratie.Un ami de palier, qui m'a envoyé un e-mail hier (ne t'avais-je pas dit que j'ai fait des progrès') m'a fait savoir que, désormais, une certaine catégorie de percepteurs (une autre) s'occupe des égouts (Allah yakramek) dans lesquels ils trempent les doigts pour prendre leur miel. Tu me demandes si je vais bien. Oui, oui! Il m'arrive toujours, à mon âge (tu te rends compte), de jouer avec l'écho. Ce jeu si innocent, rappelle-toi, qui consiste à crier et à écouter l'écho s'élever de nulle part, comme une belle preuve de la vie. Mais, je ne sais pas pourquoi, depuis quelque temps, l'écho n'est plus là. J'ai beau essayer, essayer. J'ai appelé de tous les côtés, de toutes mes forces de vieillard affaibli, j'ai appelé à tous les moments de la journée, mais il n'y a plus rien. J'ai beau hurler fort, j'ai beau utiliser un porte-voix, cela n'a rien donné. J'ai posé alors la question s'il y a quelqu'un. Rien ne m'est parvenu! Et, finalement, la mort dans l'âme, j'ai fini par admettre que lorsqu'il n'y a plus personne qui vous dit qu'il n'y a personne, c'est que vraiment, il n'y a personne.Je ne peux rien te dire de plus mon frère, frère de pays et frère de nausée, sauf qu'il n'y a plus d'écho, il n'y a plus personne. Il n'y a plus rien.Tu me demandes toujours si je vais bien' Pour ne rien te cacher, j'essaie de me porter bien. J'essaie de faire semblant. C'est un exercice compliqué, surtout à cet âge, mais c'est tout ce qui reste puisqu'il n'y a plus rien! Rien que des cris dans le désert!




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