Algérie - Revue de Presse

Lettre à Kaddour M’Hamsadji



Lettre à Kaddour M’Hamsadji
Publié le 17.08.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Ali Douidi

Cher maître!
Le monde vous a regardé souffler vos quatre-vingt-dix bougies, et le monde, ému, s'en est félicité. Je dis: monde, à dessein et, je pense, à bon escient. Ce monde, en effet, vous appartient autant que vous lui appartenez. Il vous a vu naître et vous l'avez fait revivre dans votre oeuvre. Et cette oeuvre, comme le bateau ivre de Rimbaud, détachée de vous, prétend avec sa précieuse cargaison de mots et de pensées dont vous l'avez chargée, aborder à tous les rivages et à tous les ports.
Le monde, cher maître, a autant de raison de se réjouir de cet évènement que vous: il vous doit tout autant que vous lui devez. Il vous fait vivre et, écrivain, philosophe et journaliste, vous le faites revivre dans chacune de vos phrases.
Il y a longtemps que je brûlais du désir de vous voir. Mais où aurais-je pu vous rencontrer? À Sour El Ghozlane, votre ville natale, où je me rendais souvent, mais vous n'y étiez plus? Et puis sous quel motif je me serais présenté à vous? Je n'en avais aucun. Je n'étais ni journaliste ni écrivain, et les vers que j'écrivais, qui étaient de simples exercices «poétiques», si je puis me permettre, étaient indignes de votre attention.
Plus tard, pourtant, cher maître, à force de ténacité et de persévérance, j'ai réussi à attirer votre regard. Un modeste manuscrit vous a été remis par un ami pour avis. Le vôtre rejoint le mien. C'était en 2011. En le corrigeant, en tenant compte de vos remarques, le manuscrit est sorti chez Edilivre sous le même titre: Mon ami Jean.
J'aurais pu vous rencontrer quelques années plus tôt. C'était à la salle Errich, à Bouira, où on donnait une pièce de théâtre, je crois. Cette soirée, cher maître, c'était votre soirée.
La direction de la culture avait choisi cette occasion pour vous honorer. J'étais dans la salle avec d'autres journalistes. Certains vous connaissaient de vue. Je n'avais pas encore cette chance et cet honneur. Et la place où j'étais installé, assez éloignée, ne m'avait pas favorisé dans mes efforts pour vous apercevoir ni de face ni de profil. Il m'avait fallu me contenter de vous voir de dos.
Il a fallu attendre encore.
Deux-mille-dix-sept ou deux-mille- dix- huit vint et vous étiez de nouveau chez nous. C'est peut-être l'admiration, mais quand je vous ai vu et parlé dans le couloir, vous ne m'aviez pas donné l'impression que quelque chose a changé dans votre aspect. Vous vous teniez aussi droit et avec autant d'aisance. Signe que les années passent sur vous sans laisser de traces.
Ce jour-là qui était un après-midi, vous parliez de votre livre devant une salle pleine. Le verbe haut, précis et imagé, comme quand vous écrivez. C'est votre marque de fabrique, votre style. L'auditoire, essentiellement féminin, car c'était le 8 mars, était transporté. Je venais ce jour-là de faire connaissance avec l'écrivain, le journaliste et le conférencier. Et c'était trop de bonheur pour un simple coeur.
Le poète Messaour Boulanouar aurait pu me parler de vous. Cet artiste des mots, rigoureux dans leur emploi, intransigeant avec la prosodie, était trop focalisé sur son oeuvre à venir. Cela lui laissait si peu de temps, et, si j'ai bien compris, sa santé, n'avait jamais été bonne. C'étaient des souvenirs de son séjour en prison que le poète révolutionnaire gardait de cette période coloniale. Et puis, il était question de poésie, rien que de poésie, et dans ma tête farcie de vers, la cloison entre elle et la prose était étanche. Il eut fallu une transition que j'étais incapable de découvrir tout seul.
Aujourd'hui, cher maître, où vous soufflez vos quatre-vingt-dix bougies pour notre joie et notre plaisir à tous, vous n'avez besoin d'aucun présentateur, d'aucun intermédiaire entre vous et les générations montantes.
Votre oeuvre est votre seule ambassadrice à travers le monde. Puissiez-vous, donc, en fait d'anniversaire, souffler d'autres et d'autres bougies encore, quoi que les vôtres, cher maître ne s'éteignent jamais, étant à jamais gravées dans le marbre.
Que ces lignes rendues maladroites par l'émotion daignent retenir un instant votre regard, car elles portent la marque indélébile d'un profond respect et d'une profonde admiration.

Ali DOUIDI

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