Algérie - Thermes de l'Ouest de Cherchell	(Commune de Cherchell, Wilaya de Tipaza)


Les Thermes de l'Ouest de Cherchell
La ruine la plus intéressante de Cherchel se trouve au nord-ouest de la petite ville, près de la mer (n° 1 sur notre carte). Les Arabes l'appelaient le palais du Sultan, mais ce sont des thermes ou bains publics, ainsi que l'ont prouvé des fouilles faites à diverses époques : en 1842, en 1856, et surtout en 1886-1889, ces dernières sous la direction de M. Waille et des commandants du pénitencier militaire. Nous donnons ci-contre le plan des salles visibles une partie de l'édifice est en effet recouverte par les constructions voisines : la manutention à l'est, la prison civile au sud. - Ce qui frappe tout d'abord, c'est la symétrie presque parfaite des aménagements : on voit que ces thermes ont été élevés d'un seul coup, suivant un plan bien conçu. D'après leurs dispositions architecturales et leur décoration, ils paraissent appartenir à la fin du second siècle ou au commencement du troisième, époque de grande prospérité pour Césarée, comme nous l'avons t. Quelques remaniements, du reste peu importants, ont été faits plus tard. La construction est en éclats de pierre, noyés dans du mortier, avec des assises de petites pierres plus ou moins rectangulaires pour parement, et des parties en briques plates (surtout aux angles, aux niches, aux portes, aux fenêtres). Sauf de très rares exceptions, on n'a pas employé de grandes pierres de taille, matériaux plus coûteux, plus longs à préparer, plus difficiles à mettre en place: on était pressé et on voulait faire des économies sur les parties de œuvre qui devaient rester cachées aux yeux ; le luxe était réservé aux revêtements et à la décoration. Les parois étaient en effet couvertes de plaques de marbre de différentes couleurs ; les plafonds, de mosaïques ou de stucs peints; le sol des salles, de dallages en mosaïque ou e marbre. De nombreuses statues- on a retrouvé les fragments de. plus de cinquante d'entre elles - animaient les niches ou étaient placées sur des bases, le long des murs. C'étaient des divinités, Jupiter, Mercure, Apollon, Bacchus., Esculape, Vénus, Hercule, etc.; des satyres et des pans, compagnons de Bacchus, personnages aussi familiers à l'art gréco-romain que les amours à notre art du dix-huitième siècle ; des sujets de genre, comme le Tireur d'épine; des femmes drapées dans de larges manteaux, aux plis harmonieux. La plupart de ces statues ont été transportées au musée, où nous les retrouverons. Elles sont d'un travail fort inégal, car les commandes furent données à divers artistes qui ne se valaient pas tous; il semble aussi qu'un certain nombre d'entre elles aient été, lors de la construction des thermes, enlevées à des monuments datant d'une époque plus ancienne, où l'habileté des sculpteurs était plus grande. On ne les avait pas disséminées au hasard dans ce vaste édifice : elles paraissent, au contraire, avoir été groupées de telle sorte que, dans les diverses pièces et dans les niches symétriques de chaque salle, les figures semblables ou analogues se fissent pendant ou vis-à-vis : dieux avec déesses, satyres avec satyres, etc. Aux premiers siècles de notre ère, les thermes ne servaient pas seulement à prendre des bains, dont les Romains, il faut le dire, ressentaient le besoin beaucoup plus fréquemment que nous ; c'étaient aussi des lieux de rendez-vous, ayant sur les places l'avantage de pouvoir être fréquentés en tout temps : l'on y venait causer, flâner, jouer, essayer les modes nouvelles, parfois traiter d'affaires sérieuses. C'étaient les cafés de l'époque, avec cette différence que les thermes étaient des établissements publics, construits par des municipalités soucieuses de l'hygiène et, plus encore, de l'agrément de leurs concitoyens. Aussi ne doit-on pas s'étonner des grandes dimensions et de la magnificence de ces monuments, que l'on rencontre partout dans le monde romain. A Cherchel, il y en avait au moins trois, répartis dans divers quartiers ; mais ceux dont nous parlons en ce moment étaient certainement les plus importants.

L'entrée principale se trouvait, croit-on, à l'est, à l'endroit où s'élève actuellement la manutention. On a exhumé là les restes d'un beau .portique, auquel plusieurs marches donnaient accès. Les colonnes, en granit vert, avaient plus de huit mètres de hauteur, et des chapiteaux à volutes, de l'ordre que l'on appelle ionique, les surmontaient. La tradition veut qu'au seizième siècle, les constructeurs de la grande mosquée ( hôpital militaire, n° 14 sur la carte), y aient pris les fûts qui ont fait donner à ce monument religieux le nom de mosquée aux cent colonnes. Il est possible que d'autres portiques, dont il ne reste plus trace, aient fait le tour des thermes tout entiers.

Dans la partie que l'on peut visiter aujourd'hui, la principale salle, longue de vingt-quatre mètres, large de quatorze, est indiquée sur notre plan par la lettre A. Le sol en était recouvert de dalles faites d'un bel onyx, aux veines jaunes, brunes et blanches, provenant de carrières situées dans la province d'Oran. Quatre énormes colonnes de granit, d'un mètre de diamètre, soutenaient le toit; quelques débris en sont conservés. Cette salle était ornée de statues de satyres, représentés dans diverses attitudes : tenant une flûte, jouant avec une panthère, ou groupés avec de voluptueux hermaphrodites, au sexe ambigu . En avant, s'étend une grande piscine pour les bains froids, B, pavée d'une mosaïque grossière et plaquée de marbre. On y descendait par quatre marches. Les niches latérales étaient occupées par des images de femmes drapées ; celles du fond, probablement par quatre grandes statues de dieux : un Jupiter, qui est maintenant au Louvre ; un Neptune, qu'on a transporté à Alger, et deux Vénus nues, dont l'une se trouve au musée de Cherchel (no 20 de notre catalogue, au chapitre III), tandis que le torse de l'autre fait l'ornement du musée d'Alger. Ce bassin a été plus tard rétréci, nous ne savons pourquoi (Les deux murs d'époque postérieure sont indiqués sur notre plan par des traits inclinés. ). - La salle A était aussi flanquée de deux autres bassins plus petits, C et D, jadis surmontés de statues de femmes analogues à celles de la piscine principale.

A droite comme à gauche de cet ensemble, deux grandes pièces, E et F, G et H, sont pavées de mosaïques présentant des ornements divers, aux brillantes couleurs : lignes brisées, losanges, tresses, rosaces enfermées dans des cercles et dans des hexagones, croix aux branches recourbées. On n'y trouve aucun bassin : c'étaient sans doute soit des vestibules, soit des salles de conversation ou de jeu. Les cabinets ou couloirs I, J, K étaient aussi décorés de mosaïques. Dans de petits réduits, L et M, s'élèvent des cages d'escaliers qui menaient aux parties hautes de l'édifice : sur une terrasse, ou à des chambres situées au-dessus des pièces B, S, T, car les dimensions de la salle A ne comportaient certainement pas d'étage supérieur.

Par derrière, deux grands vestibules, N et 0, pavés aussi de mosaïques, d'une facture assez grossière (On ne voit actuellement que celles de la salle 0; le sol de la salle N est recouvert de terre.), occupent les deux extrémités d'une longue série de chambres, P, Q, H, S, T, U, V, qui pouvaient être chauffées : on y prenait des bains chauds ou tièdes dans des baignoires Mobiles, qui ne sont pas conservées. Les murs en étaient doublés par des tuiles, posées verticalement et qui formaient, quelques centimètres en avant, une sorte de paroi ou rideau, de telle manière qu'un vide étroit fût ménagé dans l'intervalle. Sur l'aire des chambres, se dressaient, à des distances égales, de nombreuses piles de petites briques, hautes d'environ un mètre, qui supportaient un deuxième sol en béton, aujourd'hui disparu dans les salles R, S, T, U,

A travers ces couloirs latéraux et ce sous-sol, circulait la vapeur d'eau produite par des fourneaux voisins, et ainsi un température douce, humide, semblable à celle des bains maures, régnait dans les chambres. Il y a au fond de salle Q une vaste baignoire, maçonnée sans doute à une époque tardive ; on y entrait après avoir franchi trois marches. En face, dans une niche
carrée, une statue représentant une divinité, Vénus drapée ou Coré (Voir le n° 29 du musée, au chapitre III.), s'élevait sur une base de marbre blanc, encore en place. De l'autre côté des thermes, dans la salle 13, symétrique celle-là, la niche paraît avoir été occupée par un Hercule. En l'état actuel, il est impossible de reconnaître avec certitude la destination précise des diverses pièces. Celle qui est indiquée par la lettre S, et dont le sol se trouvait jadis de plain- pied avec les seuils, encore apparents, des portes, était flanquée de deux cabinets; elle mettait en communication la salle dallée d'onyx A avec une autre grande salle, X. Cette dernière pièce, qui pouvait aussi être chauffée, et dont la voûte reposait sur d'énormes massifs de maçonnerie, se terminait à l'ouest par un espace en forme de demi-cercle. A droite et à gauche, étaient des couloirs de dégagement, des conduites amenant les eaux aux thermes ou les évacuant vers la mer (l'égout Y Y Y est très reconnaissable), des réservoirs, probablement aussi de vastes fourneaux.

Nos thermes n'eurent sans doute pas trop à souffrir des dévastations de Firmus. Aux derniers temps de la domination romaine, ils semblent être devenus une sorte de musée, un asile pour les statues des dieux déchus, anciennes idoles qui n'étaient plus maintenant que des œuvres d'art. Plusieurs piédestaux, que l'on a trouvés dans les fouilles, et dont l'un, de forme hexagonale, est encore aux thermes (salle G), portent l'inscription : "translata de sordentibus lotis" c'est-à-dire : statue transportée des lieux de souillure . Ces mots désignent-ils des temples tombés presque en ruines? ou bien des cachettes, des grottes dans lesquelles des païens dévots auraient porté jadis secrètement leurs idoles, pour les soustraire aux profanations des chrétiens triomphants? ou bien encore des cloaques dans lesquels des fanatiques de la religion nouvelle auraient jeté ces pauvres images, et d'où elles auraient été tirées longtemps après, quand les passions se furent calmées ?. Il est bien difficile de se décider pour l'une ou l'autre de ces hypothèses.

L'édifice intéressant que nous venons de décrire, et qui est laissé aujourd'hui dans un si complet abandon, mériterait de redevenir le musée de Césarée. Il suffirait pour cela d'aménager deux ou trois salles en les couvrant d'une toiture légère. Les statues, entassées dans la cour qui leur sert aujourd'hui de dépôt, retrouveraient là un cadre digne d'elles.




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