Les répondeurs

Quand vous dénoncez une monstruosité, il y a toujours quelqu'un de plus perspicace que tout le monde pour vous faire un procès d'intention en vous demandant pourquoi vous ne dénoncez pas tous les autres. En fait, l'arrière-pensée est évidente : il vous demande de n'en dénoncer aucune !Il est ainsi du parallèle confortable, de la comparaison facile et de la généralisation commode. Ça va parfois très loin mais ça ne gène pas ceux qui en usent, c'est même «fait pour». Il arrive que le propos soit édulcoré de façon à donner l'impression de partager l'essentiel avec celui qui s'indigne tout en mettant quelque réserve ou nuance mais c'est souvent trop gros pour passer.Vous êtes indigné par un acte terroriste monstrueux ' C'est juste si on ne vous prend pas à la gorge pour vous «rappeler» qu'il n'est pas le premier du genre et que vous avez la dénonciation -et la mémoire dans la foulée- sélective. Et ça remonte dans le temps, ça «parallélise» avec d'autres situations et ça compare avec des crimes d'une autre nature que vous aurez oubliés. Vous évoquez un crime économique et c'est reparti pour sortir le listing de toutes les rapines du monde sur lesquelles vous êtes censés vous taire, un peu comme un voleur qui se défend en disant qu'il n'est pas le seul? voleur sur terre et à ce titre, il mérite toutes circonstances atténuantes imaginables, quand ce n'est pas l'acquittement ! Vous êtes irrités par une aberrance dans la gestion des affaires publiques en citant un cas précis 'Vous en aurez pour votre compte de la part de sombres personnages qui donnent l'impression de n'être là que pour ça. Ils vous font de go des problèmes de conscience en vous prenant dans le meilleur des cas pour un ringard qui ne sait pas que c'est comme ça que ça se passe partout, depuis toujours et s'en offusquer est une complaisance, quand ce n'est pas carrément une complicité.Vous évoquer la gabegie au sommet et on vous répond que ça commence plus bas et que nous avons les responsables qu'on mérite. Vous parlez d'une incurie à un niveau intermédiaire, on vous rétorque que l'escalier se nettoie par le haut. Vous vous inquiétez de la situation à l'université, on vous rit au nez en vous rappelant que l'école, à la base, ne peut donner que ça. L'industrie ne marche pas ' Il aurait fallu commencer par développer? l'agriculture. Vous faites preuve d'un minimum d'humanité en exprimant votre douleur sur un drame survenu quelque part dans le monde 'La «réponse» est aussi instantanée que péremptoire : on ne vous a jamais entendu vous indigner quand dans votre propre pays, il y a eu des tragédies plus graves ! Il y a toujours une réponse à l'indignation et aux indignés de la part de ceux qui ne veulent pas s'indigner.Ou qui voudraient bien mais n'en ont pas le courage. Ils compensent alors le déficit de courage et de conviction par la «perspicacité» parfois exprimée dans la véhémence à l'endroit de ceux avec qui ils ne risquent rien. A l'endroit de ceux qui tuent ou volent, ils mettent le cran de sécurité en maintenant la porte entrouverte, sait-on jamais. Ça peut même rapporter quelque chose.