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«Les ravages et l'ignorance de la bureaucratie»


«Les ravages et l'ignorance de la bureaucratie»
Une vision précise du théâtre arabe liée à la société et l'époque- vent-ils suivre les changements, l'accélération des événements et les appels pour plus de liberté dans la région 'La balle de toute évidence n'est pas dans le camp des gens du théâtre. Dans la région, de Beyrouth à Alger, il y a un effondrement collectif politique et social. Cela dit, il existe une belle génération qui peut faire des choses. Il est possible d'avancer avec elle, d'aller vers des projets de refondation, de révision, de réécriture. Il existe dans le théâtre, des jeunes capables de faire beaucoup de choses, de proposer des spectacles de qualité tant au plan esthétique que conceptuel.Le problème est que la décision ne leur appartient pas. De nombreux jeunes ont la volonté et la capacité de changer des choses, de crier leur colère, exprimer leur amertume, de dénoncer la situation actuelle? Seulement, le blocage se trouve au niveau des autorités culturelles, des pouvoirs politiques qui souffrent de stérilité, d'incapacité à élaborer des plans pour le futur. Nous sommes face à un grave démantèlement. Tous les Etats arabes consacrent les deux tiers des budgets annuels à l'armement, à l'armée, aux services secrets, à la police.- La théorie sécuritaire est toujours dominante, envahissante?.Absolument ! Cette théorie a mené à l'échec. Rien n'a bougé depuis des années. La cause palestinienne est toujours au même niveau. L'homme arabe n'a pas été libéré, n'a pas accédé à son émancipation. La société civile n'a pas été construite. L'institution culturelle officielle a échoué à faire une relecture de la société prenant en compte le caractère mosaïque de cette société. Cette relecture est pourtant nécessaire pour aller vers une véritable renaissance. Nous reconnaissons tout ce que nos aînés ont fait pour la culture arabe. Seulement voilà, la continuité doit être assurée par les jeunes. L'ignorance et la bureaucratie font des ravages.L'incapacité à suivre l'évolution du monde, de faire partie d'un réseau cohérent a conduit à une paresse collective. Rien que pour le théâtre, cette mentalité a provoqué tant de dégâts, tant d'échecs dans la création. Les théâtres arabes oublient de former, d'organiser des ateliers, de faire émerger des metteurs en scène à même de monter des spectacles de qualité mondiale, de faire découvrir des dramaturges pouvant proposer des textes d'un certain niveau. Il est urgent de réhabiliter les théâtres pour qu'ils se transforment en tribunes et en espaces qui s'adressent à la société avec un autre langage, un autre discours.- Faut-il encourager de nouveaux textes dramaturgiques arabes portant de nouvelles visions ou continuer d'adapter des textes du «patrimoine universel»'Il est possible de faire les deux à la fois. Les sociétés européennes ont construit des cultures d'avant-garde. Une construction qui a pris des dizaines d'années. Il fallait creuser, faire des recherches, fonder une société civile, bâtir des théâtres utilisant des techniques modernes dans le jeu d'acteur, dans la mise en scène'tourner le dos à ce cumul culturel riche serait contre- productif. Nous ne pouvons pas, à l'heure actuelle, nous passer de Becket, de Tchekhov, de Pirandello, de Shakespeare'pour moi, la priorité doit être donnée à un travail artistique inspiré du vécu actuel de la société arabe. Il faut s'intéresser à l'homme arabe, à ce qui le préoccupe, à ses espoirs, à ses échecs, à ses cassures, à ses troubles. Dans le monde arabe, nous avons des textes tels que ceux de Kateb Yacine, de Saadallah Wanous, de Abdelkader Alloula'il y a donc une histoire d'écriture dramaturgique qui ne doit pas être ignorée ou dépassée. Ces textes doivent être repris sur scène, réécrits avec les comédiens modernistes rénovateurs.Parallèlement, il est nécessaire de continuer de chercher, de forer, d'explorer le sous-sol pour faire sortir des textes nouveaux qui permettront au théâtre d'être créatif, d'avoir un nouveau souffle. Dans ce travail, il est important de s'éloigner de la politique, de la propagande'tchékhov a évoqué l'écroulement de la société russe mais sans verser dans le discours politique direct. Ses personnages souffrent d'amertume, rient et pleurent. Mais, on comprend bien ce que Tchékhov voulait bien nous dire, pas besoin d'aller loin.Il n'est pas demandé à un artiste de se transformer en politique. (?)- Vous assistez à plusieurs pièces de théâtre dans les pays arabes. Par quoi sont-elles caractérisées 'Les jeunes impliqués dans le quatrième art croient à un mirage : la modernisation du spectacle théâtral. Selon eux, l'introduction des techniques visuelles, de la chorégraphie et de la musique permettent de moderniser ce qui est proposé sur scène. Il n'est pas interdit de s'appuyer sur la chorégraphie ou sur la musique dans une pièce, mais il faut éviter toute rajout forcé et injustifié à la construction dramatique. Il ne faut pas qu'on perde de vue une donnée essentielle : le théâtre est un art qui est bâti sur le jeu des comédiens et sur le texte dramatique qui a du sens.L'interprétation du texte par les comédiens doit se faire dans une atmosphère scénographique où apparaît la créativité artistique. Le surdosage technique doit être évité. L'utilisation de la technologie dans le théâtre doit se faire d'une manière étudiée, raffinée et transparente. Dans le cas contraire, le spectacle théâtre mute en un show technique vide et sans valeur. Au Festival national du théâtre professionnel ici à Alger (début septembre 2014), j'ai vu des pièces où la danse et parfois la musique n'ont aucune fonction, aucune utilité dans l'expression dramatique.L'équation est donc celle-là : construire une pièce à partir d'un texte beau et dense avec une certaine économie esthétique. (?) J'ai constaté qu'en Algérie, il existe un grand potentiel et beaucoup de talents parmi les jeunes comédiens et metteurs en scène. Ils ont une telle envie d'améliorer les choses !- Vous êtes metteur en scène à Masrah Babel à Cairo Street à Beyrouth au Liban. Parlez-nous de cette expérience 'Je suis un apatride, chassé de l'Irak depuis des dizaines d'années. J'ai préparé mon doctorat en Russie et en Bulgarie. Après l'obtention de mon diplôme, je ne suis pas revenu en Irak en raison de l'absence de démocratie. La situation est pire actuellement. Dans mon pays, les conditions de création artistique ne sont pas réunies. C'est pour cela que j'ai décidé de mettre en place un théâtre-patrie. L'Irak, le pays des deux fleuves, n'a pas eu cette chance d'être dirigé par des responsables capables d'en faire un Etat à la hauteur de son Histoire. Masrah Babel, c'est le grand poumon qui me permet de respirer.Malheureusement, j'ai rencontré au niveau de ce théâtre beaucoup de difficultés liées notamment au financement et à la rareté des sponsors. S'ajoutent à cela d'autres difficultés : je suis un Irakien de gauche qui vit à Beyrouth, qui n'a pas de parti, qui n'est pas chauvin, qui est libre'beaucoup d'entraves qui m'empêchent donc d'exprimer tant de choses sur la scène de Masrah Babel. Cela me déçoit au plus haut point. Mais, je m'accroche. J'adore embarquer dans les bateaux qui avancent à contre-vent ! Masrah Babel, un espace pluriculturel, ouvert aux spectacles vivants, au théâtre d'avant-garde, est toujours là. Je continue de militer. J'ai déjà présenté plusieurs pièces au nom de ce théâtre.- Est-il possible d'aller vers une révolution culturelle contre tous les courants extrémistes et archaïques dans les pays arabes 'Oui. J'appelle et je souhaite cette révolution. Aujourd'hui, il existe un combat entre le radicalisme religieux et l'esprit des lumières après «l'hiver» arabe, «un hiver» mortel. En raison de cette situation, les intellectuels arabes sont tenus de jouer un rôle exceptionnel pour éviter la destruction des sociétés et répandre l'esprit de l'Etat civil. Cela peut se faire à travers le théâtre, la littérature, le cinéma, la musique. C'est le moment. Le créateur et l'intellectuel arabes doivent bouger vite, puiser dans toutes les ressources esthétiques et artistiques pour agir sur le terrain et exprimer leur point de vue. Maintenant et pas demain.




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