Algerie - Patrimoine Culturel

Les Publications Littéraires sur les Tatouages en Algérie : Un Héritage Berbère Inscrit dans la Peau


Les Publications Littéraires sur les Tatouages en Algérie : Un Héritage Berbère Inscrit dans la Peau

Les tatouages berbères, ou tiçrad en tamazight, représentent bien plus qu'un simple ornement corporel. En Algérie, ces marques gravées sur la peau des femmes – et parfois des hommes – portent en elles des symboles ancestraux de protection, de beauté, d'identité et de rites de passage. Pratiques préhistoriques remontant au Néolithique, elles étaient réalisées à l'aide d'aiguilles ou de couteaux, souvent par des tatoueuses itinérantes, et variaient selon les régions : de l'Aurès aux oasis du Sud-Est comme Biskra et Touggourt. Cependant, avec l'islamisation, la colonisation et la modernisation, cette tradition s'est presque éteinte au XXe siècle, reléguée au rang de tabou ou de 'livre du diable' par certains fondamentalistes. Heureusement, une poignée d'ouvrages précieux, issus d'études ethnographiques et de recherches contemporaines, ont permis de documenter et de ressusciter cet art millénaire. Ces publications, souvent illustrées de croquis, photos et témoignages, offrent un pont entre passé et présent, préservant un patrimoine immatériel menacé d'oubli. Explorons les plus emblématiques.

Des Racines Ethnographiques : Les Premiers Témoignages du XXe Siècle

Les premières études sur les tatouages algériens émergent au début du XXe siècle, portées par des ethnologues français fascinés par les populations berbères isolées. Parmi les pionniers, Les Tatouages des Chaouïa de l'Aurès (1935), rédigé par Thérèse Rivière et Jacques Faublée, reste une référence incontournable. Publié dans les annales de la Société des Africanistes (tome XII d'Afrique), cet ouvrage décortique les pratiques des Chaouïa, un groupe berbérophone des montagnes de l'Aurès. Les auteurs distinguent deux catégories de tatouages : les lušam, décoratifs et réalisés à l'aiguille (motifs comme la croix, le 'burnous' sur le front ou la 'palme' symbolisant la déesse-mère), et les ahajam, thérapeutiques et protecteurs, tracés au couteau pour guérir maux de tête, stérilité ou fièvres. Influencés par des rêves ou des rites magiques, ces tatouages variaient selon les tribus, plus ornés au Nord-Ouest et plus archaïques au Sud. Accompagné de planches dessinées au Musée de l'Homme, le livre souligne l'unité culturelle des Chaouïa malgré les apports romains, arabes et kabyles, tout en notant le mépris croissant des plus pieux envers ces marques 'païennes'.

Complément idéal, l'album photographique Aurès (Algérie) 1935. Photographies de Thérèse Rivière et Germaine Tillion capture ces mêmes motifs en images rares et poignantes. Réalisé lors d'une mission ethnographique, il documente des portraits de femmes et d'hommes tatoués, offrant un témoignage visuel irremplaçable de cette tradition en voie de disparition. Ces œuvres pionnières, ancrées dans le contexte colonial, posent les bases d'une compréhension scientifique, loin des jugements moralisateurs.

 


Lucienne Brousse - Beauté et identité féminine. Lewcam. Les tatouages féminins berbères. Régions de Biskra et de Touggourt (En vente chez www.vitamine.dz)

 

Des Études Contemporaines : Décryptage et Témoignages Intimes

Au XXIe siècle, les chercheurs algériens et franco-algériens prennent le relais, enrichissant l'analyse d'enquêtes de terrain et de perspectives féministes. Lucienne Brousse, dans Beauté et identité féminine : les tatouages féminins berbères des régions de Biskra et de Touggourt (2015, éditions Dar Khettab), propose un 'petit manuel de lecture' accessible et fidèle. Basé sur les croquis et notes d'Eliane Ocre, infirmière en Algérie dans les années 1950, l'ouvrage recense des motifs authentiques des oasis du Sud-Est (Batna, Barika inclus). On y découvre le 'abernus' (burnous frontal, variant par zone), l''œil-de-perdrix' (losange symbolisant agilité et beauté), la 'palme' (protectrice, liée à la fertilité) ou le simple 'nuqat' (point évoquant le foyer et la stabilité). À travers des témoignages de femmes, Brousse met en lumière la liberté créative de ces artistes anonymes, exprimant frustrations et vœux pour l'avenir – comme le 'cebbak', un jeu de marelle codant des espoirs intimes. Non exhaustif mais pratique, ce livre sert d'outil pour décrypter un héritage personnel et culturel.

De son côté, le professeur Mohamed Dahmani signe Tiçrad, tatouages : De leur genèse à leur extinction (édité en 2024), un plaidoyer vibrant pour la sauvegarde. Fruit de 32 ans d'enquêtes en Kabylie (1990-2022), il trace l'histoire des tiçrad depuis le Paléolithique – en lien avec les momies égyptiennes et peintures rupestres – jusqu'à leur déclin post-indépendance. Dahmani interroge des tatouées comme Fatma G. (tatouée à 13 ans) et explore les motifs kabyles : décoratifs, prophylactiques ou tabous, vus par des ethnologues comme Arnold van Gennep. Il dénonce les facteurs d'extinction – misère rurale, interdits religieux – tout en célébrant cet 'art féminin' vieux de plus de 10 000 ans, essentiel au patrimoine immatériel amazigh.

 


Mohamed DAHMANI - TICRAD Tatouages De leur genèse à leur extinction (En vente chez www.vitamine.dz)

 

Guides Symboliques et Ouvrages Poétiques : Vers une Renaissance Culturelle

Pour une approche plus large, le Guide de la culture berbère de Mohand-Akli Haddadou (linguiste kabyle, 1954-2018) intègre les tatouages dans un panorama exhaustif de l'identité amazighe. Avec des planches illustrées, il décrypte leurs significations symboliques, reliant motifs cutanés à la cosmologie berbère. De même, Paroles de symboles de Noureddine Hamouche (150 pages, auto-édité) tisse une histoire poétique des signes berbères, des tapisseries aux tatouages thérapeutiques (tichrad). Ces 'paroles gravées' narrent la vie, la nature et la sagesse des 'peuples libres', invitant à une lecture esthétique et médicale. Hamouche collabore aussi à Couleurs de terre, couleurs de rêve (avec Hanifa Hanchi), où poèmes et symboles tatoués se mêlent en un hommage lyrique.

Enfin, Les femmes vont, et les tatouages racontent de Rym Boudjemaa et Camille Clément (2022, Taszuri Créations) modernise le genre avec un récit graphique. Plus de cent motifs amazighs y sont répertoriés, accompagnés de leurs significations et d'illustrations douces. Immersion dans la vie des femmes berbères – rites, forces secrètes –, cet ouvrage est un 'hommage passionné' fruit d'années de recherches, reliant tatouages à l'histoire féminine.

Conclusion : Tatouer la Mémoire Collective

Ces publications, des ethnographies austères aux guides poétiques, forment un corpus vital pour ranimer les tiçrad. Elles ne se contentent pas de cataloguer : elles restituent une voix aux femmes berbères, gardiens d'un savoir corporel millénaire. Face à leur disparition – seule une poignée de tatoueuses subsiste –, ces livres appellent à une reconnaissance UNESCO et à une renaissance artistique. En Algérie, où le tatouage renaît timidement via des compositions contemporaines, ces ouvrages rappellent que la peau, comme le papier, porte l'histoire d'un peuple. Pour les passionnés, ils sont des portails vers un legs préhistorique, gravé pour l'éternité.


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