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Les petits bonheurs du jeudi


Les petits bonheurs du jeudi
Ils avaient tout partagé quand ils étaient tout petits. Enfin «tout», ça veut dire les misères de leur époque qui font aujourd'hui autant d'émouvants et parfois succulents souvenirs. Mouloud et Zouheir étaient inséparables. Même quartier, même immeuble, même école, mêmes aires de jeux, mêmes rêves et mêmes cauchemars. Mouloud dépassait Zouheir d'une année et Zouheir dépassait Mouloud d'une petite dose de sagesse qui a parfois alimenté leurs rares querelles d'enfants. Ensemble, ils ont tapé des journées entières dans un ballon en chiffon, ils ont joué aux billes, à la toupie et aux «noyaux». Ils ont regardé arriver et partir des bateaux, plongé des rochers, mangé du pain sec et bu de l'eau en coupant le tuyau.Ensemble, Mouloud et Zouheir partaient à l'école. Ils n'ont jamais été dans la même classe en raison de cette année de différence d'âge, mais ils savaient se retrouver au bas de l'immeuble ou dans la cage d'escalier. Et au retour, ils se donnaient rendez-vous dans la cour ou devant le portail, selon les horaires et l'emploi du temps qui n'étaient pas tous les jours les mêmes, pour la raison que l'on sait. Ils n'étaient pas dans la même classe mais ils étaient? de la même classe. Tous les deux, ils n'étaient ni brillants ni cancres.Ils étaient des élèves «normaux», même si, aujourd'hui, la cinquantaine bien entamée, rien de ce qu'ils ont vécu ensemble ne leur paraît? normal. Ensemble, ils ont fait les farces les plus vilaines et accompli les gestes les plus émouvants de générosité. Ils se rappellent cette histoire hilarante qu'ils ont «montée» au collège. Un de leurs profs était connu pour donner de violents coups de pied ou de poing devant lui dès que quelqu'un le touchait dans le dos. Ils se sont alors arrangés pour un coup qui est resté dans les annales de l'établissement.Pendant que le prof en question était en discussion avec le directeur du collège dans le hall grouillant de monde à l'heure de la sortie des classes, ils sont allés en catimini se rapprocher des deux hommes et piquer dans le dos l'enseignant qui avait maladivement réagi par un violent coup de poing dans le visage de son responsable qui s'en est sorti avec une mémorable saignée du nez et des lunettes cassées.Une autre fois, le prof de sciences naturelles, une femme particulièrement guindée et toujours sur ses gardes, a frôlé la syncope à cause d'un gag machiavélique trouvé par Mouloud et exécuté par Zouheir. Dans la salle de cours aménagée en «laboratoire» d'expériences, elle faisait sa démonstration d'anatomie sur un pigeon en peluche. Profitant d'un moment d'inattention, Zouheir avait remplacé le faux pigeon par un vrai que Mouloud avait attrapé sur le balcon de la maison familiale avant de le lui confier pour le cacher sous sa veste jusqu'à l'arrivée en classe.En se retournant donc pour reprendre sa démonstration, la bonne dame a été surprise par un battement d'ailes d'un vrai pigeon qui a failli l'envoyer dans les vaps !Des histoires comme celles-là, ils ont dû s'en raconter lors de leurs récentes retrouvailles? trente ans après. Parce qu'entre-temps, Mouloud et Zouheir se sont perdus de vue, l'un ayant changé de quartier, l'autre ayant fait sa vie dans un lointain pays étranger. Et même leurs retrouvailles ressemblaient à une farce, puisque c'est un ami commun qui voulait? les présenter puisqu'il ignorait tout de ce qu'ils ont vécu ensemble. L'embonpoint et les cheveux blancs les avaient beaucoup changés mais ils se sont reconnus tout de suite. Il paraît que tout peut changer chez l'homme, sauf le regard.




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