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Les petits bonheurs du jeudi




Les petits bonheurs du jeudi
Quand son père est mort au maquis, M'hand n'avait que trois ans. Comme beaucoup de maquisards, paysans sans terre et sans condition, le vaillant Belaïd n'avait laissé aucune photographie, ceux de ses proches qui n'étaient pas en âge de se souvenir des traits de son visage et de sa silhouette ne savent pas et sans doute ne sauront jamais à quoi ressemble ce soldat de la guerre de Libération dont on n'arrête pas de louer la bravoure au combat et la rectitude morale dans la vie. A l'époque, le «selfie» n'avait même pas intégré la science-fiction.Dans l'existence quotidienne d'avant-guerre comme dans le feu de la lutte, il y avait d'autres préoccupations et d'autres réflexes, plus vitaux que poser pour la postérité. Quand il a atteint l'âge de prendre conscience des choses, M'hand n'avait pas trop souffert de l'absence d'un père. Il a, comme tous les enfants de son âge et de sa condition souffert des manques en tous genres et de quelques douleurs personnelles mais rarement d'être orphelin de son géniteur.De ce dernier et de son sacrifice, il tirait une fierté apaisée, sans jamais la brandir comme faire valoir, sans jamais chercher dans quelque intérêt. Pour lui, son père avait fait ce qu'il y avait à faire à son époque, il en est mort parce qu'on ne prend pas les armes sans envisager de mourir et puis c'est tout. Il parait même que lorsqu'on a n'a jamais connu quelqu'un, on ne ressent pas son absence. M'hand était l'enfant unique de ses parents et sa mère, veuve très jeune, s'est sacrifiée pour lui. Ce ne sont pourtant pas les opportunités de refaire sa vie qui ont manqué.Elle a bien eu des propositions de mariage, toutes fermement rejetées. Elle a même été choquée par certaines de ces sollicitations qu'elle a trouvées indécentes parce qu'elles émanaient de proches qui ont connu son mari. Dans sa tête, les choses étaient claires, il n'était pas question pour elle de rencontrer un autre homme après avoir vécu et partagé la vie de Si Belaïd le maquisard.A l'un de ses courtisans qui avait eu l'outrecuidance d'insister, elle avait eu cette cinglante réponse, restée célèbre dans la localité : «La veuve d'un lion ne peut pas se remarier avec un chat» ! M'hand a grandi sous la protection de sa mère et la bienveillance de son grand-père, il a fait des études d'ingénieur et il a travaillé à Sonatrach avant de prendre sa retraite très jeune grâce aux sept ans et demi de bonus dont bénéficient les fils de chahid. Oui, M'hand ne demande pas de privilèges mais il n'en refuse pas, non plus. En plus de sa confortable pension de retraite, M'hand, en travailleur passionné par son métier a ouvert une petite entreprise d'électricité, sa spécialité, il mène une vie pleine et confortable avec femme et enfants. Il était aussi connu pour son humilité et sa générosité. Un jour qu'il revenait du Sud en «récupération», deux jours avant l'Aïd, il s'est arrêté au marché de sa petite ville où il rencontre un cousin avec qui il avait entrepris de faire quelques courses. Chemin faisant, ils se font aborder par un homme, sensiblement de son âge mais visiblement malmené par la difficulté. Il est d'un village voisin et M'hand le connaissait vaguement de vue sans savoir vraiment qui il est. Ayant vite compris pourquoi le bonhomme est venu vers lui, M'hand le tire en aparté et discrètement, il lui remet quelques billets.L'homme, heureux mais visiblement surpris par autant de générosité, remercie et s'en va. Revenu vers son parent, M'hand avait remarqué sa mine irritée et quand il lui en demande la raison, le cousin lui avait appris que le bonhomme à qui il venait de donner de l'argent était le fils d'un harki qui n'était pas étranger à la mort de son père ! Gentil, généreux mais très franc, M'hand a eu cette réponse que tout le monde raconte encore dans le coin : «En quoi, le fils d'un harki est responsable des méfaits de son père ' Et en quoi, ça te regarde, toi, dont le père se la coulait douce en France pendant que mon père était au maquis '»




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