
Le patrimoine culturel algérien, riche et diversifié, témoigne de millénaires d’histoire, des gravures rupestres du Tassili n’Ajjer aux manuscrits médiévaux, en passant par les objets liés à la résistance anticoloniale. Cependant, la colonisation française, les pillages, les dons sous pression et le commerce illicite ont conduit à l’expatriation de nombreux objets précieux. Ces déplacements, souvent marqués par des spoliations, posent aujourd’hui la question complexe de la restitution, un sujet sensible entre l’Algérie et les pays détenteurs. Les principaux pays concernés sont la France, le Royaume-Uni, l’Italie (notamment via les musées du Vatican) et les États-Unis, avec des pièces conservées dans des institutions publiques comme des musées, des châteaux historiques ou des collections privées.
La France, en tant que puissance coloniale ayant occupé l’Algérie de 1830 à 1962, est le pays détenant la plus grande quantité d’objets du patrimoine algérien. Dès le début de la colonisation, des bibliothèques, des sites archéologiques et des collections privées ont été pillés ou confisqués, souvent sous le prétexte de "sauvegarde" ou de "prise de guerre". Ces objets ont été intégrés dans des institutions françaises comme la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Musée de l’Armée, ou encore des châteaux comme celui de Chantilly.
Les manuscrits de l’émir Abdelkader : Lors de la prise de la Smala (capitale itinérante de l’émir Abdelkader) en 1843 par le duc d’Aumale, Henri d’Orléans, 37 manuscrits rédigés en arabe et en berbère, datant du XVIe au XIXe siècle, ont été saisis. Ces documents, d’une grande valeur historique et intellectuelle, ont été intégrés à la bibliothèque personnelle du duc et sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque du musée Condé à Chantilly. Ces manuscrits couvrent des sujets variés, allant de la théologie à la poésie, reflétant la richesse intellectuelle de l’Algérie précoloniale.
Le burnous et l’épée de l’émir Abdelkader : En 1897, le prince Khaled ben el-Hachemi, fils de l’émir Abdelkader, a fait don de plusieurs objets personnels de son père, dont un caftan (souvent appelé burnous) et une épée, au Musée de l’Armée à Paris. Ce don, selon l’historien algérien Mohamed Lahcen Zeghidi, aurait été effectué sous la pression des autorités françaises, illustrant les dynamiques de pouvoir colonial. Ces objets symbolisent la résistance de l’émir contre la colonisation française et sont aujourd’hui au centre des demandes de restitution algériennes.
Les clés de la citadelle d’Alger : Remises par le dey Hussein à l’armée française après la capitulation d’Alger en 1830, ces clés sont conservées au Musée de l’Armée à Paris. Considérées comme un "trésor national" français, elles sont inaliénables selon le Code du patrimoine français, ce qui complique leur restitution malgré les demandes algériennes, notamment en 2012 sous la présidence de François Hollande.
Le canon Baba Merzoug : Ce canon, qui protégeait la baie d’Alger dès le XVIe siècle, a été saisi en 1833 lors de la conquête française et transporté à Brest, où il est intégré à l’histoire de la Marine nationale française. Malgré des discussions sur sa restitution en 2012, des obstacles juridiques liés à son statut de bien national ont empêché son retour en Algérie.
La bibliothèque de Cheikh El Haddad : Confisquée lors de l’insurrection de 1871-1872, cette collection de manuscrits a été intégrée à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations à Paris. Les modalités exactes de cette acquisition restent floues, mais elles reflètent les pratiques coloniales de saisie des biens culturels des résistants algériens.
Œuvres d’art transférées au Louvre : En 1962, juste avant l’indépendance de l’Algérie, 293 œuvres d’art, incluant des peintures de Claude Monet et Auguste Renoir, ont été transférées du Musée national des Beaux-Arts d’Alger au Louvre. Ces œuvres ont été restituées en 1969 suite à un accord bilatéral, mais d’autres pièces restent dans les collections françaises.
Les objets algériens en France se trouvent principalement dans :
La restitution des objets algériens se heurte à des obstacles juridiques, notamment le principe d’inaliénabilité des collections nationales françaises. Par exemple, le statut de "trésor national" appliqué aux clés de la citadelle ou au canon Baba Merzoug rend leur transfert difficile sans une loi spécifique. En 2020, la France a restitué les crânes de 24 résistants algériens conservés au Musée national d’histoire naturelle, un geste symbolique, mais les discussions sur d’autres objets, comme ceux de l’émir Abdelkader, restent bloquées.
Le Royaume-Uni, bien que n’ayant pas colonisé l’Algérie, a acquis des objets du patrimoine algérien par le biais du commerce d’antiquités, des fouilles archéologiques menées sous l’égide coloniale française, ou via des collectionneurs privés. Le British Museum à Londres est l’une des principales institutions détenant des artefacts algériens, souvent issus de sites archéologiques romains ou paléochrétiens.
Artefacts romains et paléochrétiens : Le British Museum conserve des pièces provenant de sites archéologiques algériens, comme Timgad ou Djemila, qui ont été excavées pendant la période coloniale. Ces objets, incluant des mosaïques, des stèles et des sculptures, ont souvent été acquis par des marchands d’art ou des archéologues européens opérant sous l’autorité coloniale française. Leur transfert au Royaume-Uni s’est effectué via des réseaux de commerce d’antiquités au XIXe et début du XXe siècle.
Collections privées : Des pièces algériennes, notamment des céramiques, des bijoux ou des textiles, ont été acquises par des collectionneurs britanniques via des maisons de vente aux enchères en Europe. Ces objets, souvent mal documentés, rendent leur restitution complexe, car leur origine exacte est difficile à retracer.
La restitution des objets détenus au Royaume-Uni est compliquée par l’absence d’un inventaire précis et par le statut juridique des collections muséales britanniques, qui interdit souvent le transfert d’objets considérés comme faisant partie du patrimoine national. De plus, les objets en collections privées sont encore plus difficiles à identifier et à rapatrier.
L’Italie, via les musées du Vatican, détient des objets du patrimoine algérien, principalement des artefacts paléochrétiens issus de sites archéologiques. Ces pièces ont souvent été offertes par des figures religieuses ou coloniales, comme des missionnaires ou des archevêques, dans un contexte de propagation du christianisme ou de relations diplomatiques avec le Vatican.
La restitution des objets détenus par le Vatican est compliquée par leur statut de dons religieux, souvent perçus comme des offrandes sacrées. De plus, l’absence d’un inventaire exhaustif des pièces algériennes dans les collections vaticanes rend leur identification difficile.
Les États-Unis, bien qu’éloignés géographiquement, ont acquis des objets algériens via le commerce international d’antiquités et les donations de collectionneurs privés. Le Metropolitan Museum of Art (MET) à New York est l’une des institutions américaines détenant des pièces algériennes, souvent issues de fouilles archéologiques ou de réseaux de marchands d’art européens.
Comme pour le Royaume-Uni, la restitution des objets aux États-Unis est entravée par le manque de documentation sur leur origine et par les lois protégeant les collections muséales. Les discussions sur la restitution sont moins avancées qu’avec la France, en raison de l’éloignement géographique et de l’absence d’un passé colonial direct.
D’autres pays, comme l’Espagne, la Turquie ou la Syrie, peuvent détenir des objets algériens, souvent liés à la période ottomane ou à des échanges culturels précoloniaux. Par exemple, l’éventail (en réalité un chasse-mouche) du dey Hussein a été rapatrié en 2003 de Syrie par l’ambassadeur algérien Kamel Bouchama, grâce à la famille de l’émir Abdelkader. Cet objet, d’une valeur inestimable, est aujourd’hui exposé au Musée central de l’Armée à Alger.
Les collections privées, dispersées à travers l’Europe et l’Amérique du Nord, constituent un défi majeur pour la restitution. Les contrebandiers, souvent organisés en réseaux internationaux, écoulent des pièces volées via des maisons de vente ou des marchands d’art, rendant leur traçabilité complexe. Selon les douanes algériennes, 38 % des contrebandiers impliqués dans le trafic d’objets archéologiques sont âgés de 39 à 74 ans, et 7 % sont des agents de sécurité affectés à des musées ou sites archéologiques, ce qui souligne l’ampleur du problème.
La restitution des biens culturels algériens est encadrée par des conventions internationales, notamment la Convention de La Haye (1954) sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Cependant, les obstacles juridiques, comme l’inaliénabilité des collections nationales en France, et l’absence d’inventaires exhaustifs compliquent les démarches. L’Algérie a intensifié ses efforts, notamment via la commission mixte d’historiens franco-algérienne, qui a transmis en mai 2024 une liste d’objets à restituer, incluant les effets de l’émir Abdelkader et d’autres chefs de la résistance.
Des avancées ont été réalisées, comme la restitution des crânes de 24 résistants en 2020 ou du sceau du dey d’Alger en 2003. Cependant, la majorité des objets restent à l’étranger, et les discussions se heurtent à des considérations politiques et juridiques. L’Algérie encourage également les dons d’œuvres aux musées nationaux, avec des incitations fiscales pour récupérer des pièces détenues à l’étranger.
La France, le Royaume-Uni, l’Italie (via le Vatican) et les États-Unis sont les principaux pays détenant des objets du patrimoine algérien, acquis par des pillages coloniaux, des dons sous pression ou le commerce d’antiquités. Les manuscrits, artefacts archéologiques et objets symboliques, comme ceux de l’émir Abdelkader, illustrent la richesse culturelle de l’Algérie et les violences de son passé colonial. Si des efforts de restitution sont en cours, les défis juridiques, l’absence d’inventaires complets et la dispersion dans des collections privées entravent ce processus. La restitution de ces biens reste un enjeu crucial pour la préservation de l’identité culturelle algérienne et la réconciliation avec son passé.
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Hichem BEKHTI aidé par l'I.A