Algérie

Les mille et une nuits


Histoire du premier frère barbier CXLVe nuit Le calife ne put s’empêcher de rire de mon aventure; et, tout au contraire de ce jeune boiteux qui me traite de babillard, il admira ma discrétion et ma constance à garder le silence: «Commandeur des croyants, lui dis-je, que votre majesté ne s’étonne pas si je me suis tu dans une occasion qui aurait excité la démangeaison de parler à un autre. Je fais une profession particulière de me taire; et c’est par cette vertu que je me suis acquis le titre glorieux de Silencieux. C’est ainsi qu’on m’appelle pour me distinguer de six frères que j’ai eus. C’est le fruit que j’ai tiré de ma philosophie: enfin cette vertu fait toute ma gloire et mon bonheur. —J’ai bien de la joie, me dit le calife en souriant, qu’on vous ait donné un titre dont vous faites un si bel usage. Mais apprenez-moi quelle sorte de gens étaient vos frères. Vous ressemblaient-ils? —En aucune manière, lui repartis-je: ils étaient tous plus babillards les uns que les autres; et quant à la figure, il y avait encore une grande différence entre eux et moi: le premier était bossu; le second, brèche-dent; le troisième, borgne; le quatrième, aveugle; le cinquième avait les oreilles coupées, et le sixième les lèvres fendues. Il leur est arrivé des aventures qui vous feraient juger de leurs caractères si j’avais l’honneur de les raconter à votre majesté». Comme il me parut que le calife ne demandait pas mieux que de les entendre, je poursuivis sans attendre son ordre. «Sire, lui dis-je, mon frère aîné, qui s’appelait Bacbouc le bossu, était tailleur de profession. Au sortir de son apprentissage, il loua une boutique vis-à-vis d’un moulin; et comme il n’avait point encore fait de pratiques, il avait bien de la peine à vivre de son travail: le meunier, au contraire, était fort à son aise et possédait une très belle femme. Un jour, mon frère, en travaillant dans sa boutique, leva la tête et aperçut à une fenêtre du moulin la meunière qui regardait dans la rue. Il la trouva si belle qu’il en fut enchanté. Le jour, qui paraissait, obligea Schéhérazade d’interrompre son récit en cet endroit. Elle en reprit le fil la nuit suivante. Sire, le barbier continua l’histoire de son frère aîné: «Commandeur des croyants, poursuivit-il, en parlant toujours au calife Mostanser Billah, vous saurez que la meunière n’eut pas plus tôt pénétré les sentiments de mon frère, qu’au lieu de s’en fâcher elle résolut de s’en divertir. Elle le regarda d’un air riant; mon frère la regarda de même, mais d’une manière si plaisante, que la meunière referma la fenêtre au plus vite, de peur de faire un éclat de rire qui fît connaître à mon frère qu’elle le trouvait ridicule. L’innocent Bacbouc interpréta cette action à son avantage, et ne manqua pas de se flatter qu’on l’avait vu avec plaisir.   A suivre...


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