Algérie

Les mille et une nuits




Les dix voleurs de Bagdad CXLIIIe Nuit Je ne veux point y retourner, lui répondis-je; ce détestable barbier ne manquerait pas de m’y venir trouver: j’en serais tous les jours obsédé, et je mourrais, à la fin, de chagrin de l’avoir incessamment devant les yeux. D’ailleurs, après ce qui m’est arrivé aujourd’hui, je ne puis me résoudre à demeurer davantage en cette ville. Je prétends aller où ma mauvaise fortune me voudra conduire. «Effectivement, dès que je fus guéri je pris tout l’argent dont je crus avoir besoin pour voyager, et du reste de mon bien, je fis une donation à mes parents. Je partis donc de Bagdad, mes seigneurs, et je suis venu jusqu’ici. J’avais lieu d’espérer que je ne rencontrerais point ce pernicieux barbier dans un pays si éloigné du mien; et cependant je le trouve parmi vous. Ne soyez donc pas surpris de l’empressement que j’ai à me retirer. Vous jugez bien de la peine que me doit faire la vue d’un homme qui est cause que je suis boiteux, et réduit à la triste nécessité de vivre éloigné de mes parents, de mes amis et de ma patrie». En achevant ces paroles, le jeune boiteux se leva et sortit. Le maître de la maison le conduisit jusqu’à la porte, en lui témoignant le déplaisir qu’il avait de lui avoir donné, quoique innocemment, un si grand sujet de mortification. Quand le jeune homme fut parti, continua le tailleur, nous demeurâmes tous fort étonnés de son histoire. Nous jetâmes les yeux sur le barbier, et lui dîmes qu’il avait tort, si ce que nous venions d’entendre était véritable. «Messieurs, nous répondit-il en levant la tête, qu’il avait toujours tenue baissée jusqu’alors; le silence que j’ai gardé pendant que ce jeune homme vous a entretenu vous doit être un témoignage qu’il ne vous a rien avancé dont je ne demeure d’accord. Mais quoi qu’il vous ait pu dire, je soutiens que j’ai dû faire ce que j’ai fait. Je vous en rends juges vous-mêmes: Ne s’était-il pas jeté dans le péril, et sans mon secours en serait-il sorti si heureusement? Il est trop heureux d’en être quitte pour une jambe incommodée. Ne me suis-je pas exposé à un plus grand danger pour le tirer d’une maison où je m’imaginais qu’on le maltraitait? A-t-il raison de se plaindre de moi, et de me dire des injures si atroces? Voilà ce que l’on gagne à servir des gens ingrats! Il m’accuse d’être un babillard: c’est une pure calomnie. De sept frères que nous étions, je suis celui qui parle le moins et qui ai le plus d’esprit en partage. Pour vous en faire convenir, mes seigneurs, je n’ai qu’à vous conter mon histoire et la leur. Honorez-moi, je vous prie, de votre attention». «Sous le règne du calife Mostanser Billah, poursuivit-il, prince si fameux par ses immenses libéralités envers les pauvres, dix voleurs obsédaient les chemins des environs de Bagdad, et faisaient depuis longtemps des vols et des cruautés inouïes. Le calife, averti d’un si grand désordre, fit venir le juge de police quelques jours avant la fête du Baïram, et lui ordonna, sous peine de la vie, de les lui amener tous dix». Schéhérazade cessa de parler en cet endroit, pour avertir le sultan des Indes que le jour commençait à paraître. A suivre...
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