Algérie

Les coulisses de l'Union méditerranéenne


Avant d'analyser en profondeur le contenu et les thèmes qui vont dominer l'Union méditerranéenne (UM), il est toujours utile et éclairant de raconter l'Histoire par la petite, en entrant dans les coulisses de ce grand projet. Car voici une idée, née d'un discours prononcé par Nicolas Sarkozy candidat, le 7 février 2007 à Toulon (1), reprise le 6 mai dernier, le soir même de son élection en tant que nouveau président de la France, et de nouveau reformulée et présentée comme un axe majeur de la diplomatie française lors de la Conférence des ambassadeurs (fin août dernier): cette idée n'était ni plus ni moins qu'une coquille vide, ne correspondant donc à aucun contenu réel. Malgré cet aspect des choses, Nicolas Sarkozy a su - ne lésinons pas sur les mots -magistralement préempter ce concept d'avenir qu'est la Méditerranée. Car, il suffit pour cela de regarder la géographie de la France et de l'Europe pour comprendre les enjeux géopolitiques cardinaux qui en découlent. Dans le cheminement de la pensée présidentielle par rapport à ce choix, le poids d'Henri Guaino a été essentiel et décisif. Ce dernier est d'abord sa « plume » et l'une de ses éminences grises, avant de chausser le maroquin de conseiller spécial à l'Elysée (2). C'est lui qui a permis à Nicolas Sarkozy de porter sur les fonts baptismaux ce projet et de se l'approprier dans ses discours publics. Sans consulter ses partenaires européens, le nouveau chef d'Etat a osé prendre tout le monde de court. Dans ce contexte, il faut dire que l'euphorie qui a suivi son élection a anesthésié toute velléité critique à son égard dans l'Hexagone et ailleurs. Habile tacticien, il informera, dès les premières semaines de son installation, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, puis, dans la foulée, José Luis Zapatero, le Premier ministre espagnol, et Romano Prodi, celui d'Italie, en les associant tardivement à cet acte de naissance. Malgré les frustrations des uns et des autres - pour éviter de parler d'une certaine colère contenue -, le président français réussira à obtenir publiquement leur appui. Nicolas Sarkozy - maître de la com'-renouvellera l'exercice lors de sa visite en Algérie et en Tunisie - en juillet -, où le verbe présidentiel dessinera et précisera l'ossature d'un projet ambitieux. L'écho favorable suscité, à tous les échelons, est à la mesure des attentes, et, pourquoi pas ne pas le dire, des déceptions intériorisées. Ce premier test grandeur nature a permis de jauger et de juger le principe d'adhésion des décideurs et des populations méditerranéens. Incontestablement, le président français a fait véritablement mouche ! Puis, mesurant les gigantesques espoirs ainsi éveillés, l'Elysée s'est mis en mouvement en actionnant la machine diplomatique française. Jean-David Levitte, sherpa du chef de l'Etat, et Henri Guaino, surtout, ont impulsé une série d'actions pour structurer le contenu de l'Union méditerranéenne. En appui, une task-force s'est créée au ministère des Affaires étrangères pour dénicher, identifier et répertorier des projets et de les examiner en termes de faisabilité. Pour éviter que les diplomates français établis dans cette région (Algérie, Maroc, Tunisie et Egypte) évoluent à vide, un document servant d'argumentaire - ou des éléments de langage, comme on dit en langage diplomatique - avait été élaboré pour les aider à communiquer sur ce sujet. Pendant ce temps, une véritable frénésie s'est saisie des milieux universitaires, des experts et de la presse, particulièrement en France. Certains - faisant de l'autosaisine, c'est même assez amusant à noter - ce sont lancés dans la rédaction de rapports sur le sujet (3). Sans commanditaires. Jamais la Méditerranée n'a autant mobilisé les énergies et la réflexion. Ce processus est toujours en cours. Cependant, il est impossible de l'apprécier avec précision, tant les choses bougent, se modifient, évoluent de jour en jour. Depuis fin septembre-début octobre, l'Elysée a franchi une étape supplémentaire en terme d'accélération, en mettant sur pied l'équipe qui va porter et cornaquer ce projet. Henri Guaino est nommé « Monsieur UM », ensuite viennent Alain Le Roi, ambassadeur en charge du projet de l'Union méditerranéenne - il est spécialiste des questions multilatérales -, Jacques Huntzinger, ambassadeur itinérant en charge de l'atelier culturel. Dans ce dispositif, Jack Lang (68 ans) est désigné pour présider un Comité des intellectuels des deux rives (une rencontre est prévue l'année prochaine pour marquer son lancement). D'autres personnalités seront, ponctuellement, associées à ce « noyau dur ». Le discours prononcé à Tanger par Nicolas Sarkozy, lors de sa visite d'Etat au Maroc, fin octobre dernier, a encore placé le curseur plus haut, et marque ainsi la détermination française de vouloir piloter et réaliser ce projet. Pour éviter de mécontenter ses partenaires européens et ceux de la rive sud, le chef de l'Etat français s'est empressé de préciser, dans ses différentes déclarations à la presse, que le contenu de l'UM est « l'affaire de tous ». Tout au long de ces derniers mois, j'ai pu observer et mesurer l'extraordinaire force de frappe de la machine diplomatique française, dont l'expertise et le pouvoir d'influence sont considérables. On est en train de passer d'une coquille vide à l'ébauche d'un projet. Autre illustration de cette réalité: malgré les critiques entendues ici ou là, souvent exprimées « off the recorder » par les responsables politiques européens notamment, ces derniers soutiennent le projet français, et attendent d'être renseignés sur les propositions de la France dans ce domaine. Sans pour autant trahir les confidences de mes sources, à travers mes rencontres avec Luis Amado, ministre portugais des Affaires étrangères - début octobre lors du colloque annuel de l'EuroMesco à Lisbonne - et celle avec Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères (lire son entretien paru dans Le Quotidien d'Oran du 5 novembre dernier, ce que je peux dire, c'est que la France est, d'une certaine façon, « attendue au tournant ». Ce ne sont pas leurs propres mots, mais on n'en est pas très loin ! Reste ce constat irréfragable: qu'on le veuille ou non, l'« effet Sarkozy » a fonctionné à plein. Jusqu'à preuve du contraire, sa force est que personne n'ose l'affronter ou le contrarier. Après avoir révisé sa copie et donné certaines assurances - notamment à la CE qui est en charge de l'EuroMed, les propos de Mme Ferrero-Waldner marquent, de ce point de vue, cette évolution - l'Union méditerranéenne est entrée, au pas de course, dans une phase d'élaboration opérationnelle de son contenu. Son actualité évolue chaque jour, mais le socle de base est déjà posé ! D'ores et déjà, chacun sait que l'événement phare de l'Union méditerranéenne sera organisé autour du sommet des chefs d'Etat (Gmed), programmé pour juin 2008. D'ici là, bien des choses seront précisées et annoncées ! Les pays de la rive sud, qui ont approuvé ce projet, doivent « révolutionner » leurs manières d'agir et de raisonner pour que cette idée construite avec eux, en fonction des priorités vitales d'une région taraudée par des urgences majeures. J'y reviendrai. 1- Ce discours est à lire. Car c?est le premier qui annonce ce qui va suivre. Cependant, bien des inflexions ont été apportées depuis. http://www.u-m-p.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_a_toulon2- Lire «Henri Guaino, le gourou du président», Nouvel Observateur, 15-21 novembre 2007.3- Deux rapports distincts, avec des conclusions différentes, viennent d?être publiés par l?Institut de la Méditerranée de Marseille. En plus, le 11 décembre, la fondation pour le monde  méditerranéen sera annoncée officiellement. Celle-ci sera confiée à Jean-Louis Guigou, directeur délégué de l?IPemed.


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