Algérie

Les Algériens et le rêve touristique tunisien, L’euro, le racket et les plages




La Tunisie, c’est d’abord un pays où tout se vend… ou presque. Un pays où, au détour d’une ruelle, un jeune vous propose une fleur de jasmin, pour quelques dinars, faire une balade en calèche ou en petits trains motorisés ou une virée en mer à bord d’un bateau pirate. On peut également faire des courses dans les souks envoûtants des médinas, aller en boîte de nuit ou encore fumer un narghilé nonchalamment sur une terrasse de café.
La Tunisie, c’est surtout un pays où de plus en plus de nos concitoyens, toutes classes sociales confondues, se rendent régulièrement et les prévisions font état de seuils de fréquentation jamais atteints. Cela pour le côté charmeur et exotique, mais la réalité est tout autre, car au-delà de la manne financière générée par les « touristes algériens » qui, selon une source de l’Office du tourisme de Tunisie (OTT), représenterait les deux tiers des recettes du secteur du tourisme en Tunisie, tout laisse croire que c’est un « tourisme » plutôt subi plus que voulu ou désiré. Un tourisme compensateur de celui des pays occidentaux dont la fréquentation est en nette régression particulièrement après le déclenchement de la guerre au Liban. En effet, le touriste algérien subit déjà aux postes frontaliers, un traitement particulier. Il est, purement et simplement, racketté par les douaniers tunisiens qui, sans aucune retenue, demandent explicitement, à l’aller comme au retour, ce qu’ils qualifient dans leur jargon de « kahwa ». De nombreux concitoyens ayant choisi de passer les frontières terrestres de nuit ont été obligés de donner au minimum 20 dinars tunisiens (DT), environ 12 € par personne pour passer les frontières, faute de quoi, ils restent, des heures et des heures, bloqués sans aucune raison valable, livrés au bon vouloir du chef de poste qui, le plus souvent, reste inamovible et insensible à toute manifestation qui n’a pas l’odeur du dinar.

Villégiature
Une fois les frontières terrestres franchies, les touristes algériens tombent sous le charme d’un pays qui, en quelques années, s’est imposé comme une destination touristique privilégiée. Cette année, la destination de prédilection est incontestablement la ville côtière de Sousse qui a été littéralement submergée par une déferlante de familles algériennes, de groupes de voyages organisés et même des enfants en colonies de vacances. Pour y faire face, de nombreuses bâtisses, notamment les cités universitaires privées, le temps d’un été, se sont transformées en centres d’accueil des vacanciers. Toute la ville de Sousse, sans aucun jeu de mots malsain, est à louer. Il faut reconnaître aussi que Sousse offre aux touristes des atouts non négligeables. D’abord une plage qui rappelle étrangement celle de la Côte d’Azur et qui s’étend sur plusieurs kilomètres de l’esplanade de Boujaâfar, près de la digue, jusqu’au site touristique de Port El Kantaoui où l’on peut faire de la planche à voile, du saut à l’élastique, de la voile tractée par un zodiac, etc. Des sites anciens, tels les remparts qui dateraient, semble-t-il, de l’an 859, la grande mosquée fondée au IXe siècle avec des murs épais en pierre de taille et d’immenses tours rondes qui lui confèrent une allure de forteresse. Le Ribat, à 100 m de la grande mosquée, entrée payante et droit de photo, est un superbe exemple de l’architecture arabo-musulmane. Elle appartenait, selon nos informations, à un système de défense côtière qui s’étend tout au long de la côte du Nord au Sud, construite au temps où les musulmans ne possédaient pas encore de flotte maritime et servaient de refuges aux populations alentours lors des attaques ennemies. Ce même type de construction se retrouve, presque à l’identique, à Monastir et à Hammamet. Les souks : en empruntant la rue d’Angleterre, à droite, on découvre le Souk Errbaâ, où l’on vend les tissus, les parfums et quelques bijoux, se prolonge sur le Souk El Caïd vers Bab El Gharbi. Sa partie couverte, de loin la plus animée, présente des échoppes sous des voûtes en briques rouges où l’on vend toute la gamme des produits de l’artisanat traditionnel tunisien, des bijoux en argent aux parfumeries jusqu’aux peintures sur verre des versets coraniques. Là, les vendeurs, souvent aidés par plusieurs jeunes rabatteurs, interpellent ou invitent avec insistance, c’est selon, les clients à rentrer visiter les boutiques pour mieux les « pigeonner ». Les Algériens sont rarement sollicités, même lorsqu’ils achètent, les marchands se montrent disponibles seulement en l’absence de clients occidentaux avec lesquels la marge bénéficiaire est plus grande. Enfin, Port El Kantaoui, à une dizaine de kilomètres au nord de Sousse, créé autour d’un port de plaisance. C’est une marina inspirée de Port-Grimaud avec de belles résidences, des hôtels et palaces luxueux, parc d’attractions, aquaparc, des sports nautiques et un terrain de golf de 70 ha. Les établissements hôteliers (discothèques, cafétérias,…) de la ville de Sousse exhibent sur leurs devantures et façades l’emblème national à côté de celui de la communauté européenne, pour dire que les Algériens sont les bienvenus dans leurs établissements. Mais, l’exubérance des Algériens, qui se permettent toutes les attractions qu’offre la ville de Sousse, agace de nombreux Tunisiens qui ne manquent pas de montrer une sorte de répulsion à peine contenue. Pour certains, c’est un mal nécessaire, mais pour la grande majorité, « ce sont des fêtards qui se permettent des folies (l’entrée en boîte à 10 DT par personne, l’aquaparc à 15 DT, un tour en mer sur bateau pirate à 15 DT, un parasol avec chaise longue sur la plage à 10 DT, l’entrée au musée à 3 DT, etc.) inaccessibles pour eux dans leur propre pays ». Le salaire d’un professeur de lycée avoisine les 750 DT en moyenne.

Exubérance irritante
Trois jeunes de Blida, voulant louer un véhicule chez l’une des très nombreuses agences de location de voitures, se sont vu signifier un refus catégorique à la seule présentation de leur passeport algérien, bien qu’ils aient présenté toutes les garanties requises (le prix de la location, le cautionnement, etc.) Pourtant, tous les Algériens rencontrés à Sousse, Hammamet, Monastir ou à Nabeul sont unanimes à dire que la Tunisie est une destination comme une autre, elle a été choisie avant tout pour sa proximité avec l’Algérie et on s’y rend en voiture et en famille. Un président de groupe parlementaire d’un parti politique à l’Assemblée populaire nationale (APN), rencontré à Sousse nous confiera : « Avec 500 euros en poche, j’ai loué un appartement pour dix jours et mes enfants se permettent toutes les folies et attractions de la ville. Chose que je ne pourrai jamais me permettre en Algérie. » Un chef de daïra de l’ouest du pays, rencontré en famille à la médina de Sousse, nous tiendra les mêmes propos. Un chef d’entreprise algérien, installé en France, en vacances à Hammamet et rencontré à Nabeul nous confiera : « C’est la seule destination où l’on retrouve plus ou moins les saveurs du bled. Mais, malgré les nombreuses attractions de la région, les enfants s’ennuient énormément. Le pays leur manque. » Malgré une volonté politique perceptible des autorités tunisiennes à favoriser la venue des Algériens, il n’en demeure pas moins que nos concitoyens font face à un comportement ambivalent qui frôle parfois la répulsion. Le soir, ils investissent le boulevard Hedi Chaker et forment des cortèges de voitures interminables arborant le drapeau national et scandant à tue-tête : « One, two, three, viva l’Algérie. » A eux seuls, ils font l’animation et constituent une des attractions principales de la ville. Des dizaines de voitures stationnent le long de la corniche, portières ouvertes, radio-cassettes à fond et dansent sous les airs de la musique raï qui d’ailleurs est la seule musique que les Tunisiens eux-mêmes adulent. Elle est présente partout, dans les transports publics, les taxis, les cafés, les souks. Un chauffeur de taxi nous dira qu’il aime le raï parce qu’il exprime mieux la malvie des jeunes Tunisiens. « C’est une musique qui nous offre un sentiment de liberté », conclura-t-il. Mais cette exubérance irrite de nombreux Tunisiens qui n’acceptent pas cette joie de vivre, cette gaieté et cette insouciance. D’ailleurs, un chauffeur de taxi clandestin nous accoste à Haï Ryadh, côté ouest de Sousse et au détour d’une discussion, résumera admirablement ce sentiment : « Vous allez à la plage ? Montez. » Une fois entassés à cinq comme des sardines à bord de son véhicule, il nous dira : « Vous êtes Algériens ? » Nous répondons évidemment par l’affirmatif et il reviendra à la charge avec une autre question : « Vous êtes des fonctionnaires en vacances ? » Nous répondons aussi par l’affirmative omettant volontairement de dévoiler notre profession de journalistes. Après un court moment de silence, il nous dira : « Vous savez, vous les Algériens, vous savez vivre, vous avez la liberté, vous voyagez beaucoup et vous avez de l’argent. » Devant notre stupéfaction, il exhibera sa carte professionnelle et enchaînera : « Moi, je suis gendarme. Je viens de finir mon service et je fais le clandestin pour arrondir mes fins de mois. Je rêve de faire un voyage comme vous, faire le touriste dans un pays étranger. » Ce sentiment d’envie revient pratiquement sur toutes les lèvres en Tunisie. Un plagiste au moment de négocier avec lui le droit de place sur la plage de 10 à 5 DT nous dira : « Vous, vous avez du pétrole, vous pouvez tout vous permettre. La preuve, vous avez un portable que seuls les ministres peuvent se permettre en Tunisie. » Un guide touristique de renom écrit dans la présentation : « Allez la découvrir, mais ne le répétez pas trop, car là-bas, comme ailleurs, la pollution existe tant dans les sites que dans les mentalités. » Cela dit, la destination Tunisie attirera encore de nombreux concitoyens et familles en quête de vacances pas chères tant que les frontières terrestres Ouest demeurent hermétiquement fermées.


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