
Les "accords franco-algériens de 1968" font référence à un accord bilatéral spécifique signé le 27 décembre 1968 à Alger entre le gouvernement français (représenté par le ministre des Affaires étrangères Michel Debré) et le gouvernement algérien (représenté par le ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika). Son titre complet est Accord relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles. Cet accord n'est pas à confondre avec les Accords d'Évian de 1962, qui ont mis fin à la guerre d'Algérie et posé les bases d'une coopération post-indépendance, incluant une libre circulation temporaire. L'accord de 1968 est une suite directe de ces Accords d'Évian, visant à réguler les flux migratoires dans un contexte de besoins économiques français et de reconstruction algérienne. Il a été révisé à plusieurs reprises (en 1985, 1994 et 2001) pour s'adapter aux évolutions, mais reste en vigueur malgré des controverses récentes.
Après l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, les Accords d'Évian prévoyaient une libre circulation des personnes entre les deux pays, une coopération économique et des garanties pour les Français d'Algérie. Cependant, cette liberté a rapidement posé des défis : la France, en pleine expansion économique des "Trente Glorieuses", avait un besoin urgent de main-d'œuvre pour ses industries (construction, automobile, mines), tandis que l'Algérie, en reconstruction post-guerre, faisait face à un chômage massif et à une émigration traditionnelle vers la métropole.
Les flux migratoires algériens ont explosé : de 350 000 en 1962, la population algérienne en France atteint près de 600 000 en 1968. Des accords intérimaires (comme les accords Nekkache-Grandval de 1964) tentent de réguler cela, mais des tensions surgissent. En 1965, l'Algérie dénonce ces accords, jugés trop restrictifs par la France, qui impose des quotas pour favoriser d'autres nationalités (Espagnols, Portugais). La crise de mai 1968 en France accélère les choses : le 15 mai 1968, Paris fixe unilatéralement un quota de 8 000 entrées algériennes pour l'année, provoquant une rupture. Les négociations, menées sous la pression mutuelle, aboutissent à l'accord de 1968, qui instaure un régime dérogatoire au droit commun de l'immigration française (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA). Une commission mixte franco-algérienne est créée pour suivre son application.
L'accord de 1968 est structuré en plusieurs titres et un protocole annexe. Il régit de manière exhaustive les conditions d'entrée, de séjour, d'emploi et de regroupement familial des Algériens en France, sans visa préalable pour les séjours courts ou longs (seul un document de voyage valide suffit initialement). Voici les points clés :
| Aspect | Dispositions principales |
|---|---|
| Circulation et entrée | - Entrée en France sans visa, sur simple présentation d'une carte d'identité ou passeport valide. - Séjour initial de 3 mois renouvelable ; au-delà, demande de certificat de résidence. |
| Emploi et séjour professionnel | - Liberté d'exercice pour les salariés, commerçants ou indépendants (sans justification de viabilité économique). - Certificats de résidence : 1 an (salarié, étudiant, visiteur) ou 10 ans (après 3 ans de résidence stable, contre 5 ans pour le droit commun). - Effort français pour former les travailleurs algériens (enseignement aux adultes, préformation professionnelle). |
| Regroupement familial | - Conjoint et enfants mineurs obtiennent un certificat de même durée que le membre de famille résident. - Après 1 an de mariage avec un Français, le conjoint algérien peut obtenir un certificat de 10 ans. |
| Autres | - Amélioration des conditions de vie (logement, santé). - Pas d'accès à certains dispositifs récents du CESEDA (ex. : passeport talent, régularisation exceptionnelle). - Commission mixte pour résoudre les litiges. |
L'accord prime sur le droit français en raison de sa nature internationale, mais les procédures administratives (expulsions, asile) relèvent du droit commun.
À l'origine, l'accord répondait à des besoins immédiats de la France, tout en maintenant un levier de coopération post-coloniale. Les bénéfices étaient concrets et mutuels, bien que asymétriques :
Aujourd'hui, certains y voient un "surcoût" (estimé à 2 milliards d'euros/an pour les aides sociales), mais cela reste débattu, car les Algériens contribuent fiscalement et démographiquement (887 000 en 2021, 12,2 % des immigrés).
Pour l'Algérie indépendante, l'accord est un outil de développement humain et économique, symbolisant la reconnaissance post-coloniale :
L'Algérie y tient fermement : il représente une "dette" historique de la France et un levier diplomatique (refus récent de laissez-passer pour expulsions, en réponse à des tensions).
Révisé en 1985 (durcissement des quotas), 1994 (échange de lettres confidentiel sur les reconduites) et 2001 (suppression de certains avantages, comme l'accès automatique à l'aide sociale), l'accord est figé depuis 24 ans. Il déroge toujours au CESEDA, mais les Algériens n'accèdent pas à des facilités récentes (ex. : titres pluriannuels pour talents, régularisation via métiers en tension), ce qui peut être défavorable. En 2025, au milieu d'une crise diplomatique (expulsions refusées par Alger, attentat de Mulhouse impliquant un Algérien sous OQTF), des figures comme François Bayrou, Édouard Philippe ou Gabriel Attal menacent de le dénoncer unilatéralement pour imposer un "rapport de force". Un rapport sénatorial de février 2025 propose une renégociation, estimant le régime "déraisonnable". Cependant, une dénonciation exposerait la France à des recours internationaux et ne ramènerait pas à la libre circulation d'Évian, mais au droit Schengen.
En somme, l'accord de 1968 incarne un équilibre fragile : un legs colonial transformé en outil de coopération, mais devenu un symbole de discorde. Ses avantages initiaux (économiques pour la France, sociaux pour l'Algérie) persistent, bien que dilués par le temps et les révisions. Une renégociation semble inévitable pour adapter ce texte à 2025.
Posté par : frankfurter
Ecrit par : Rédaction