Algérie - Revue de Presse

Léopold Sédar Senghor l’Africain



Président et grand poète Leur regard est clair et toujours Henri Fauconnier disait, dans un écrit passé inaperçu: «Dans un monde où tout ne serait pas à l’envers, le gouvernement du monde appartiendrait aux poètes; car ils sont les plus lucides des hommes. Sous les apparences et conventions qui nous aveuglent, eux seuls voient la réalité dans toute sa richesse, sa profondeur, son instabilité. neuf. Ils voient et ils prévoient. En Afrique, le seul homme qui fut de cette catégorie est Loépold Sédar Senghor.» Poète et premier président du Sénégal indépendant à partir de 1961. L’année passée, on fêtait le centenaire de sa naissance. Enfant de la lignée des Sérère, d’un catholicisme ardent, il fera ses études secondaires et universitaires en France. Il sera le premier Africain agrégé en lettres (en 1933). Il sera adopté par ce pays avec qui il vivra comme un concubinage, avant que s’établisse entre eux, dira-t-il, un mariage de raison (en réalité un mariage d’amour). Durant la deuxième guerre mondiale, il sera résistant, prisonnier dans les Stalag puis, en 1945, parlementaire représentant du Sénégal encore sous domination française. Sa lutte pour l’indépendance de son pays et, d’une façon plus large, contre le mépris et la méconnaissance du Noir, ne réduira pas chez lui la fascination pour ce pays. Il y découvrira, à la faveur d’un contact ouvert, sensible, la signification profonde de la différence et ne rejettera alors aucunement les charmes de la civilisation des Blancs. Il vivra cela jusqu’à dans la division de son être, à qui viendra s’ajouter plus tard, la division en lui entre le poète et l’homme en charge de son peuple. Mais par le poème, il fondera tous ces aspects de son être, et ce qui aurait pu être une dualité paralysante est devenue richesse, force de l’homme. Senghor ne voulait ni faire du suivisme (mot dont il est l’inventeur), ni être une fiction (comme se voulait un Fernando Pessoa). Ce vocable de socialisme spirituel, qu’il a utilisé un jour, contient à lui seul ses vœux d’être.Marqué dans son enfance par des événements et des comportements humiliants envers les noirs, il sera toute sa vie imprégné d’une volonté de combat pour la cause noire. Bien qu’il fut un maître, rarement égalé, en langue française, il ne se «blanchira» pas dans sa création: la négritude y sera présente dans le sujet, dans le langage et dans le rythme même. Concrètement il se présentera, dès 1937, comme un homme public porteur de cette cause: il participe à des congrès, apporte des témoignages, intègre des mouvements pour faire connaître la personnalité et les apports de l’homme noir. Pour lui comme pour Aimé Césaire et un Sartre auteur de Orphée noir, le Noir aurait cette mission salutaire: «Irriguer des eaux de la sensibilité le rationalisme mécaniste de la vieille Europe.», ce qui l’amène en 1951 à revendiquer «le domaine royal du nègre, qui est l’émotion.» Mais n’était-ce pas réducteur? N’est-ce pas contradictoire avec le concept de différence? La question de la négritude n’étant pas encore tranchée en ces années-là, Senghor aura le mérite de freiner une tendance vers le contre-racisme, partant d’une formule si pertinente et qui eut beaucoup d’effet: assimiler, non être assimilés, «prônant par-là une association qui facilite les échanges et permette à la métropole linguistique de redécouvrir dans sa tradition propre les éléments les plus fécondants qui coïncident avec les valeurs noires toujours vivantes.» (A.Guibert.) Son œuvre sera remarquée surtout après 1945, elle sera assez importante en nombre de titres depuis cette année-là jusqu’aux années soixante ; et on est tenté de dire que la charge de gouverner un pays rendait de plus en plus difficile celle de le chanter. Bref, on relèvera, pour l’essentiel, qu’ en 1945 paraîtra son premier recueil «Chants d’ombre», deux ans plus tard des textes de sa plume figurent parmi les meilleurs des textes choisis par Léon Damas dans «Poètes d’expression française.» En 1948, en même temps que «Les hosties noires», «Le chant de l’Initié» est plus largement reçu grâce à un ouvrage auquel une préface de J- P-Sartre donnera une large audience: «L’anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française». «Les chants pour Naëtt», en 1951, marque «une interruption dans le jaillissement de son chant personnel»(A. Guibert) ; il faut attendre 1956 pour retrouver le même souffle senghorien. Bien que d’une langue d’une grande vigueur, hautaine et d’une rigueur rhétorique, la poésie de Senghor participe de la voix même de l’Afrique. Elle porte la trace de ses mythes, de ses coutumes, de ses valeurs, de ses gestes saisonniers mais aussi de la substance de sa terre, de sa magie et de son esprit. «Que je bondirai comme l’Annonciateur, que je manifesterai l’Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense...». Dans tous ses poèmes presque, il suggère son appartenance et son attachement à son peuple, laisse retentir sa condition d’Africain, avec, à la fois, une noblesse et une douleur virilement assumées : «Me voici rendu à mon peuple et mon honneur... « Mais la particularité la plus importante dans la poésie de Senghor est le rythme. Il confirme la nature auditive de l’Africain, ajoutée à celle du mouvement cadencé comme par une musique, qui est elle-même la manifestation de valeurs et de messages de l’être et non une simple répétition de sons - des poèmes portent des indications musicales locales (woi, kora, balafong) comme «pour impliquer l’auditoire à la dynamique du chant» (A. Guibert). Un rythme donc qui reconstitue la vie africaine, qui exorcise son mal: «Le rythme chasse cette angoisse qui nous tient à la gorge»( dira-t-il), et qui éclaire, comme dans les danses, les incantations ou les gestes sacrés, l’âme quand elle étouffe dans les ténèbres: « Le poème fait transparaître toutes choses rythmées.» Poète et Président, Senghor le fut. Mais a-t-il gouverné son peuple, la réalité de son peuple, aussi bien qu’il le chantait ? Sans porter de jugement, nous redonnons la parole à Henri Fournier quand il parle des poètes aux commandes du monde: « Toutes découvertes humaines, religions, révolutions, sont leur œuvre, mais leur œuvre occulte.» Leur œuvre occulte !
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