Algérie - Revue de Presse

Le transfert des résultats de la recherche scientifique au cœur du développement technologique



Le transfert des résultats de la recherche scientifique au cœur du développement technologique
Publié par Le Soir d’Algérie le 15.02.2021
Par Pr Baddari Kamel*
Le transfert ou la valorisation des résultats de la recherche scientifique réalisés dans les centres, écoles nationales et universités ne semble se mobiliser que dans les lieux qui les ont vus naître. Les acteurs, aussi bien les chercheurs que les partenaires sociaux, tiennent le plus souvent des discours qui se croisent sans se rencontrer, et chacun se morfond et se plaint de l’incompréhension et du manque d’engagement ou de la volonté de l’autre. Pourtant, les mécanismes et les outils de la valorisation des résultats de la recherche, rendus indispensables par le progrès scientifique et les intérêts réciproques entre les partenaires, sont l’objet d’une attention particulière de la part des autorités publiques, compte tenu de leur impact économique sur la société.
Qu’entendons-nous par valorisation des résultats de la recherche ?
Le concept de valorisation tend à prendre une dimension aussi large que possible pour permettre aux acteurs concernés, à savoir l’opérateur économique et l’organisme de recherche d’opérer dans un cadre réglementaire adéquat. Si elle est l’objet d’un débat traditionnel entre plusieurs conceptions, nous retenons que la valorisation inclut l’ensemble des activités, à savoir la publication et la diffusion mais aussi l’exploitation économique comprenant les aspects contractuels, le droit de propriété, la communication du savoir-faire, l’information au public, la commercialisation, l’incubation pour la création d’entreprises et de startup… Si cette conception ne semble se concentrer que sur les aspects économiques de la valorisation comme si cette dernière est essentiellement marchande, il n’en demeure pas moins qu’il n’est point besoin de rappeler que la valorisation des résultats d’une recherche publique n’est pas seulement marchande mais elle a (doit avoir) aussi une implication forte dans le développement du pays outre sa contribution au progrès sociétal et ce, en dehors de toute considération mercantile.
Un mot sur le paysage de la recherche scientifique en Algérie
La planification et la coordination de la recherche scientifique et technique sont assurées par une direction générale rattachée au ministère en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. La mise en œuvre des programmes de recherches inscrits dans le tableau des priorités nationales en fonction des orientations politiques ou stratégiques est assurée par des entités de recherche telles que les centres et unités de recherche ainsi que des laboratoires dans les écoles nationales et les universités. Il y a deux grandes classes de projets de recherche au niveau national : les PRFU (Projets de recherche de la formation universitaire) et les PNR (Projets nationaux de recherche). Les PRFU, dans le cadre de la recherche universitaire, développent des thématiques pour les besoins des études de doctorat et de la production des connaissances. Le nombre de projets PNR, développés entre 2009 et 2012, est de 2 728 (dont 691 pour les sciences fondamentales, 258 pour l’agriculture et l’alimentation, 154 pour les technologies industrielles, et 202 pour la santé).
Le nombre de publications nationales dans les sciences humaines et sociales est de 121 986. Elles sont publiées dans des revues nationales de rang C, classées par la Direction générale de la recherche. A ce nombre, il faut ajouter 83 171 publications internationales dans Scopus (une base de données transdisciplinaire de résumés et de citations de publications scientifiques). Le nombre de thésards formés est de plusieurs milliers dans les dix dernières années. Afin de permettre au chercheur et à l’enseignant-chercheur de se consacrer davantage à la recherche, des mesures incitatives ont été promulguées consistant au financement de la recherche par la publication.
Un travail au quotidien pour faire sauter les verrous de blocage relationnel
L’association d’intérêts réciproques entre les organismes de recherche et l’industrie permet de créer entre eux des occasions de dialogues infiniment indispensables à la valorisation des résultats de la recherche. C’est dans ce cadre que les organismes de recherche sont appelés à favoriser l’accueil des stagiaires d’entreprises et la préparation de doctorats mixtes université – industrie. C’est là, à notre sens, un point important qui permet à la valorisation de s’effectuer et de trouver l’équilibre global entre l’effort consenti par les chercheurs pour le progrès technique et celui réalisé par l’industrie pour le progrès économique. Mais cette association tant recherchée est ankylosée par plusieurs lacunes. La première apparaît au niveau du décalage entre l’entreprise et l’organisme de recherche où des produits sont étudiés dans des laboratoires sans que l’on prenne garde aux possibilités et à l’insuffisance de l’environnement industriel qui ne dispose pas toujours des moyens et des compétences à consacrer à l’appropriation ou à l’intégration de ces produits de recherche. L’autre lacune, d’allure psychologique où chacun se morfond et se plaint de l’autre pour des raisons essentiellement administratives liées à l’adaptation des textes en vigueur en la matière. La dernière lacune, subsidiaire, est liée à la configuration sociale d’une partie des entreprises où la R&D (recherche développement) est absente pour des raisons diverses : manque de culture scientifique, absence de relation université-entreprise, appât du gain sans effort, absence de vision stratégique… Ce sont ces lacunes qui semblent coaguler la valorisation des résultats de recherche et l’empêchent de se réaliser. Il faut y pallier par une volonté originale à même de favoriser l’association avec les partenaires sociaux, et qui crée les conditions générales et les moyens de tout ordre pour les satisfaire.
Etre au rendez-vous des grandes mutations techniques et technologiques
Les mutations techniques et technologiques génèrent ce que les économistes appellent la destruction créatrice, un principe selon lequel de nouvelles activités émergent alors que d’autres mutent ou disparaissent. Autrement dit, face à l’évolution générale en la matière, l’organisme de recherche se doit être attentif à l’approche des mutations qu’il pressent, exigeant de lui davantage de travaux préparatoires pour trouver des partenaires et des financements suffisants, préparer les moyens et les infrastructures nécessaires... Le même organisme est appelé à anticiper le changement, sensibiliser la communauté et participer à l’effort technique qu’impose sa maîtrise. En effet, les mutations techniques et technologiques opèrent par vagues successives. Celle de 1990, dans le monde essentiellement occidental, a concerné l’informatisation générale que beaucoup n’avaient pas vue venir, celle d’aujourd’hui est marquée par l’intelligence artificielle, les Big-Data, la nanotechnologie, la biologie, la génétique, la robotique, l’ordinateur quantique… que beaucoup ne voient pas aussi venir. Cette vague doit concerner tous les pays pour les raisons évidentes que les frontières technologiques ne sont plus franchement hermétiques qu’elles ne l’eussent été à la fin du siècle dernier.
La demande de brevet est-elle un encouragement à l’individualisme ?
Un autre motif d’ankylose de la valorisation des résultats de la recherche serait la propriété intellectuelle ou la demande de brevet. Une demande de brevet ou titre exclusif d’une propriété intellectuelle permet à son auteur d’avoir le monopole d’exploitation pour une durée déterminée. S’il est important de protéger une invention, en revanche, un brevet ne doit pas constituer un frein à l’épanouissement de la recherche, ni un obstacle à la diffusion et à la valorisation. S’il n’y a pas un réel management sur l’invention brevetée de la part de son auteur ou de l’organisme hébergeur pour notamment trouver le capital-risque, il est fort à parier que l’invention s’expose à une dépréciation de son contenu sans entraîner le bénéfice de l’impact socioéconomique attendu d’elle. Cela pourrait se comprendre lorsqu’il s’agit de la recherche privée où sa vocation est de maximiser le profit (ce sera le cas certainement du vaccin contre le Covid-19), mais cette attitude ne devra pas subsister lorsque l’invention est faite dans un organisme d’Etat qui a un droit sur cette invention. L’Etat a le devoir de faire de telle sorte que l’invention puisse intéresser et l’industrie et la société en général.
Le rôle de la normalisation et de l’assurance-qualité dans la valorisation
L’innovation, le contrôle, l’assurance-qualité et la normalisation sont liés dans la phase de conception mais aussi dans la diffusion des résultats de recherche. Une norme (découlant du procédé de normalisation) est fixée par un organisme gouvernemental ou privé encadrant un secteur d’activité. L’utilisation de la normalisation dans le processus de conception d’un produit de recherche est importante pour au moins les raisons suivantes. La première raison est qu’elle favorise la protection des consommateurs et facilite la rationalisation de la production une fois le transfert effectué. La seconde, c’est qu’elle est un excellent outil qui encourage le transfert de technologies grâce aux consensus entre les acteurs mondiaux et l’exportation des produits. En outre, la normalisation favorise l’obtention de la certification, voire de l’accréditation, mécanismes indispensables à l’exportation ou à celui d’un solide positionnement dans le marché mondial.
La Commission européenne, à titre d’exemple, reconnaît la normalisation « comme un instrument-clé de promotion de l’innovation». Le même texte ajoute que « la normalisation constitue à la fois un formidable outil de valorisation de la recherche et un vecteur de diffusion des innovations ». Quant à la qualité, elle se réalise tout au long du processus de fabrication grâce à des contrôles réguliers de qualité et après la fabrication grâce à l’assurance qualité. Toutes les deux (normalisation et qualité) permettent de rassurer sur la qualité du produit. Il s’ensuit que la normalisation et la qualité dans la recherche préparent l’invention à devenir compétitive sur le marché national et mondial.
Conclusion
Les organismes de recherche ont pour rôle de doter le pays d’un capital de connaissances scientifiques ; la valorisation, c’est d’ouvrir ce capital et le mettre à la disposition des entreprises et au développement des collectivités locales et/ou nationales. Il ne va pas sans dire que cette notion de valorisation est au carrefour d’intérêts scientifiques, technologiques et financiers et il est indispensable que la volonté de dialogue se retrouve chez chacun des partenaires par l’établissement de nouveaux rapports ; chacun s’attachant à la compréhension de problèmes industriels, techniques, économiques et sociaux en apportant sa spécificité. Il faut se départir de cette coagulation qui fait que de réelles opportunités susceptibles de se transformer en projets structurants soient laissées en friche dans des organismes de recherche hautement financés par l’Etat. Il est donc indispensable de réunir les éléments qui provoquent la réaction nécessaire au déclenchement du processus de changement pour catalyser les résultats de la recherche scientifique aussi bien publique que privée.
B. K.
*Professeur des universités. Expert en stratégie de l’ESRS et conduite de changement

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