Algerie - 07- Occupation Française

Le Texte de Stora au Bac 2025 : Une Polémique au Cœur de la Mémoire Algérienne


Le Texte de Stora au Bac 2025 : Une Polémique au Cœur de la Mémoire Algérienne

La controverse autour du texte historique utilisé dans l'épreuve de langue française du Baccalauréat 2025 en Algérie, tiré du livre Algérie 1954 : une chute au ralenti de l'historien français Benjamin Stora, a suscité une vive indignation, notamment de la part de l'historien algérien Hosni Kitouni. Cette polémique, qui a enflammé les réseaux sociaux et les débats publics, reflète des tensions profondes liées à la mémoire collective, à l'identité nationale et à la manière dont l'histoire coloniale est enseignée et perçue en Algérie. Voici une analyse détaillée des raisons de cette colère et des enjeux sous-jacents, en explorant le contexte, les critiques spécifiques et les implications plus larges.

1. Le texte de Benjamin Stora et son contenu controversé

Le texte en question, extrait de l'ouvrage de Stora publié en 2011, traite de la conquête coloniale de l'Algérie, en particulier de la formation de la propriété coloniale et de la dépossession des terres agricoles des Algériens au profit des colons européens. Selon les critiques, notamment celles de Hosni Kitouni, le texte est perçu comme véhiculant un 'narratif colonial inepte' et contenant des affirmations jugées 'factuellement fausses' ou biaisées. Les points précis de discorde incluent :

  • Négation de la propriété privée avant 1830 : Kitouni reproche à Stora d'avoir soutenu qu'il n'existait pas de propriété privée de la terre en Algérie avant l'arrivée des colons français en 1830. Cette affirmation est vue comme simpliste et comme niant les systèmes complexes de gestion foncière précoloniaux, notamment les terres habous (biens religieux) et les terres collectives gérées par les tribus. Pour beaucoup d'Algériens, cette vision reflète une lecture eurocentrique qui minimise la sophistication des structures socio-économiques préexistantes.
  • Silence sur le séquestre foncier : Le texte omet de mentionner le 'Séquestre', un mécanisme par lequel les autorités coloniales ont confisqué environ 4/5 des 6 millions d'hectares de terres agricoles algériennes pour les redistribuer aux colons. Cette omission est perçue comme une tentative de minimiser l'ampleur de la spoliation coloniale, un sujet hautement sensible en Algérie, où la dépossession foncière reste un symbole fort de l'injustice coloniale.
  • Lien entre colonisation et agriculture : Kitouni conteste l'idée avancée par Stora que la colonisation a lié son avenir économique à l'agriculture. Il argue que l'économie coloniale reposait davantage sur l'exploitation du travail des Algériens que sur un développement agricole véritablement productif. Cette critique souligne une divergence fondamentale dans l'interprétation du projet colonial : un enrichissement des colons au détriment des populations locales, plutôt qu'une modernisation économique.
  • Manque de respect pour les victimes : Kitouni dénonce ce qu'il appelle la 'légèreté' de Stora face à la souffrance des victimes de la colonisation. Pour lui, le texte ne rend pas justice à la mémoire des Algériens dépossédés et opprimés, ce qui est particulièrement choquant dans un contexte éducatif où les élèves sont censés apprendre une histoire respectueuse de leur identité nationale.

Ces critiques, exprimées avec véhémence par Kitouni dans un post sur les réseaux sociaux le 18 juin 2025, ont amplifié la controverse, relayée notamment par le média TSA Algérie et d'autres voix sur X.

 

2. Contexte historique et sensibilité de la mémoire coloniale

La colère suscitée par ce texte s'inscrit dans un contexte plus large de sensibilité autour de la mémoire coloniale en Algérie. L'histoire de la colonisation française (1830-1962) est un sujet brûlant, car elle touche à l'identité nationale, à la lutte pour l'indépendance et à la construction d'une narrative postcoloniale. Plusieurs éléments contextuels expliquent l'ampleur de la polémique :

  • L'héritage colonial et l'éducation : Depuis l'indépendance en 1962, le système éducatif algérien a cherché à promouvoir une vision de l'histoire qui valorise les cultures arabe et berbère, tout en rompant avec le legs colonial. L'introduction d'un texte perçu comme pro-colonial dans un examen aussi crucial que le baccalauréat, qui marque l'entrée dans l'âge adulte pour des milliers de jeunes Algériens, est vue comme une trahison des idéaux nationaux.
  • Le rôle de Benjamin Stora : Stora, historien français reconnu pour ses travaux sur la guerre d'Algérie, est une figure controversée. En France, il est souvent attaqué par les nostalgiques de l'Algérie française pour avoir dénoncé la brutalité coloniale. En Algérie, cependant, certains le perçoivent comme trop conciliant envers la France, notamment à travers son rôle dans la commission mixte d'historiens algéro-française mise en place en 2023. Son rapport sur 'la mémoire de la colonisation' remis à Emmanuel Macron en 2021 a également suscité des débats, car il prône une approche de réconciliation qui ne satisfait pas toujours les attentes algériennes d'une reconnaissance pleine et entière des crimes coloniaux.
  • Le poids de l'histoire dans l'éducation : Le système éducatif algérien est conçu pour transmettre une identité nationale forte, ancrée dans les valeurs de l'islamité, de l'arabité et de l'amazighité, tout en promouvant une vision de l'indépendance comme un triomphe sur l'oppression coloniale. Un texte qui semble relativiser ou mal représenter cette histoire est perçu comme une menace à cette mission éducative.

3. Critiques systémiques du système éducatif algérien

La polémique autour du texte de Stora s'inscrit également dans un contexte de mécontentement plus large envers le système éducatif algérien, qui amplifie la colère suscitée par ce choix. Le rapport de la Cour des comptes de 2024 a mis en lumière plusieurs failles structurelles, notamment :

  • Faiblesse de la qualité pédagogique : Le système éducatif est critiqué pour son accent sur la mémorisation plutôt que sur l'analyse critique, ce qui limite la capacité des élèves à développer des compétences analytiques face à des textes historiques complexes.
  • Manque de suivi des réformes : Les réformes éducatives lancées depuis 2003, bien qu'ambitieuses, sont souvent mal appliquées en raison d'un manque de stratégie claire et de mécanismes de contrôle. Le choix d'un texte controversé peut être vu comme un symptôme de ces lacunes dans la gouvernance éducative.
  • Orientation et rigidité institutionnelle : Le système éducatif algérien est également critiqué pour son manque de prise en compte des aspirations individuelles des élèves, ce qui peut exacerber les frustrations face à des choix pédagogiques imposés, comme l'inclusion du texte de Stora.

Ces dysfonctionnements alimentent un sentiment de méfiance envers les décisions du ministère de l'Éducation nationale, rendant le public particulièrement sensible à ce qui est perçu comme une erreur ou une provocation dans le choix des sujets d'examen.

4. Réactions et implications

  • Réaction de Benjamin Stora : Contacté par TSA Algérie, Stora s'est dit 'touché' par l'agressivité des critiques et a plaidé pour une discussion académique courtoise. Il a rappelé son travail de longue date sur la colonisation, notamment dans ses ouvrages sur Messali Hadj et La guerre d’Algérie vue par les Algériens, pour défendre la rigueur de ses analyses. Cependant, son appel à la modération n'a pas apaisé les critiques, qui y voient une tentative de se dédouaner sans répondre directement aux accusations de Kitouni.
  • Impact sur le débat public : La polémique a ravivé les tensions autour de la manière dont l'histoire coloniale est enseignée. Sur X, des voix comme celle de @radiosansvoix ont dénoncé une 'histoire falsifiée' dans les copies du baccalauréat, reprenant la célèbre citation de Winston Churchill : 'L'histoire est écrite par les vainqueurs.' Ces réactions reflètent une demande pour une histoire qui rende justice aux victimes de la colonisation et qui soit alignée sur la vision nationale algérienne.
  • Enjeux pour l'avenir : Cette controverse met en lumière la nécessité d'une approche plus transparente et participative dans le choix des contenus éducatifs. Elle souligne également les défis de la commission mixte algéro-française, qui cherche à établir un dialogue historique apaisé, mais se heurte à des divergences profondes dans les récits nationaux.

5. Pourquoi une telle colère ?

La colère suscitée par le texte de Stora est le résultat d'une convergence de facteurs :

  • Une blessure historique non cicatrisée : La colonisation reste un traumatisme collectif en Algérie, et tout texte perçu comme minimisant ses injustices est susceptible de provoquer une réaction vive.
  • Un contexte éducatif fragile : Les critiques envers le système éducatif algérien, jugé peu performant et mal géré, amplifient la perception que le choix de ce texte est une erreur supplémentaire.
  • Une question d'identité nationale : L'éducation est vue comme un pilier de la construction de l'identité algérienne postcoloniale. Un texte qui semble dévier de cette mission est perçu comme une attaque contre les valeurs fondamentales du pays.
  • Tensions algéro-françaises : Les relations entre l'Algérie et la France restent marquées par des différends sur la mémoire coloniale, et le choix d'un historien français comme Stora ravive ces tensions.

Conclusion

La controverse autour du texte de Benjamin Stora au Bac 2025 illustre les défis complexes de l'enseignement de l'histoire dans un pays où la mémoire coloniale est encore vive. Elle reflète non seulement des divergences historiographiques, mais aussi des tensions plus larges sur l'identité, la justice historique et la qualité du système éducatif algérien. Pour apaiser de telles polémiques à l'avenir, il serait nécessaire de renforcer le dialogue entre les acteurs éducatifs, les historiens et la société civile, tout en veillant à ce que les contenus pédagogiques soient perçus comme respectueux de la mémoire nationale. Cette affaire, bien que centrée sur un texte d'examen, dépasse le cadre académique pour devenir un miroir des aspirations et des blessures de la société algérienne contemporaine.


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