Algérie - COMMUNAUTES

Le « Procès public » des Juifs d’Algérie à Jérusalem (1963)


Le « Procès public » des Juifs d’Algérie à Jérusalem (1963)
1Le 23 janvier 1963, au Beit Ha’omanim à Jérusalem (12, rue Shmuel Hanaguid) se déroule un « procès public » contre la communauté juive d’Algérie. L’accusation ? N’avoir pas immigré en masse en Israël après la déclaration d’Indépendance de l’Algérie en 1962. C’était une idée de Moshé Sharett, alors directeur de l’Agence juive. Une centaine de personnes étaient présentes et le « tribunal », présidé par le professeur Shalev Guenossar, du département de droit de l’université hébraïque de Jérusalem. Les débats furent tendus et durèrent quatre heures. La séance s’ouvrit en fin d’après midi, et se conclut vers minuit, mais cela ne se passa pas sans quelques remous dus à l’arrivée d’un groupe qui n’avait pas été convié à participer : de nouveaux immigrants d’Algérie. Ils seront en fin de compte autorisés à entrer et à défendre la cause de leurs coreligionnaires, ce qui changera tout.

2Cet épisode de l’histoire du jeune État d’Israël est trop peu connu du public et même des chercheurs sur le judaïsme d’Algérie, d’ailleurs. Ici, en partant de ce procès public, nous examinerons trois thèmes qui dans notre cas sont corrélatifs : tour d’abord, le mouvement sioniste, l’État d’Israël et les Juifs d’Algérie, puis le destin des Juifs d’Algérie pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), enfin les « Orientaux » et les « Occidentaux », la communauté et les implications de l’immigration en Israël.

3Une étude renouvelée des faits, suite au procès, montre que, d’abord en 1962 et surtout en 1967, les Juifs d’Algérie ont été nombreux à immigrer en Israël, représentant en fait le plus grand pourcentage d’immigrants parmi les communautés juives des pays occidentaux.
L’acte d’accusation
4Le « président de ce tribunal » était le professeur Shalev Guenossar, et les avocats, André Narboni, président de la Fédération sioniste d’Algérie et A. Matalon pour l’accusation. On reprochait aux Juifs d’Algérie de n’être venus en Israël qu’en petit nombre, en l’occurrence 11 % d’une communauté évaluée à 140 000 personnes, « signe, donc, qu’ils reniaient leur judaïsme et ignoraient résolument Israël ». L’accusation soutenait que cette communauté fuyant un exil, avait choisi un autre exil plutôt que le Foyer national, l’État d’Israël, comme si elle n’avait tiré aucune leçon de l’histoire des Juifs. On accusait les dirigeants de la communauté d’avoir failli à leur devoir social et national en ne donnant pas l’exemple. Pis encore, certains de ceux qui avaient choisi d’immigrer, ont par la suite quitté le pays.

5Et puis, ils étaient des immigrants « difficiles à satisfaire » qui, plutôt que d’accepter de s’installer dans des zones désignées de développement, se voulaient citadins et qui refusaient de s’intégrer à la vie économique du pays en fonction des besoins nationaux. Enfin, on leur reprochait de ne pas s’entraider, et de ne pas remplir un rôle qui leur aurait été naturel, celui de lien entre les communautés orientale et occidentale [1]
[1]
Bama’aracha, numéro 20, 1963 (2e année), p. 17..

La réponse des accusés
6Maître Shlomo Cohen Tsidon et Maître A. Barukh, de la défense, firent valoir les droits historiques de cette communauté, rappelant que certains de ses membres avaient été parmi les fondateurs de Tel Aviv, avaient racheté des terres en Galilée et dans la vallée de Hulée, et qu’ils étaient, sans conteste, un modèle d’intégration, car impliqués dans la vie du pays, l’économie, l’agriculture et la culture locale. Ils étaient semblables aux communautés des pays d’Europe occidentale par la proportion d’immigrants en Israël, sauf que les Juifs d’Algérie étaient proportionnellement plus nombreux. La défense s’attacha à expliquer que la communauté juive algérienne avait souffert une crise double : la guerre d’Algérie avait durement ébranlé son statut, et l’intégration en Israël avait été jalonnée d’écueils. C’était une immigration de qualité, dont les membres étaient riches d’une éducation solide mais qu’on avait failli à évaluer à sa juste valeur.

7C’est tout à fait par hasard que les Juifs d’Algérie de Beer Shéva et de Jérusalem apprirent qu’un procès allait se tenir et ces médecins, avocats, enseignants et ingénieurs à la centrale nucléaire de Dimona décidèrent de se rendre à Jérusalem, pour parler au nom de leur communauté. Il y avait le rabbin Yitzhak Zerbib, David Guy Melki, Charles Laloum, Claude Laloum, Hubert Habib (de la centrale nucléaire) et l’avocat Roger Dayan. Comme nous l’avons dit, ils n’étaient pas attendus mais on accepta de les écouter et après avoir entendu le rabbin Zerbib et Maître Dayan raconter l’histoire des Juifs d’Algérie, les jurés conclurent qu’« il était encore trop tôt pour condamner cette communauté, même si certaines critiques étaient justes ».

8Le professeur Guenossar se dit déçu par la communauté juive d’Algérie, au nom de l’État d’Israël, car ses membres n’avaient pas, contre toute attente, immigré en Israël, comme l’avaient fait les Juifs des autres pays musulmans, mais, ajouta-t-il, l’État devait néanmoins faire preuve de fraternité et de solidarité envers eux pour leur permettre une intégration optimale, surtout parce qu’ils étaient riches « d’un trésor caché et avaient des familles nombreuses ». Le professeur Guenossar poursuivit en ces termes : « Quant à ceux qui ont choisi la France, dans la mesure où le tribunal a le droit de traiter de leur cas, et comme il n’y a pas de représentant de ce groupe ici, le tribunal constate que le choix de la France s’est fait dans des conditions tragiques, et ne signifie pas un rejet d’Israël ou un manque de loyauté envers Israël [2]
[2]
Ibid.. »

9Il est difficile de rester indifférent face à l’article-plaidoyer d’Émile Touati, journaliste, quelques années plus tard. Critiquant ce type de procès, il inverse les rôles et renvoie l’Agence juive sur le banc des accusés : « Avant de faire des Juifs algériens les “boucs émissaires” de tous nos échecs, il aurait fallu s’intéresser davantage à eux. Il faudrait aussi se demander pourquoi cette communauté aurait dû avoir le privilège de sacrifier “ses intérêts immédiats à l’intérêt permanent de l’avenir juif”, alors que toutes les autres communautés de la diaspora auraient le droit, elles, et sans que personne ne retrouve à redire, “de préférer leurs intérêts immédiats”. On ne reproche pas aux puissants Juifs américains, ni aux Juifs anglais ou sud-américains et pas davantage aux Juifs français métropolitains, de ne pas s’installer en Israël. Mais on en fait un particulier grief aux Juifs d’Algérie, déshérités et sans défense. […] Le fond du problème, et la raison essentielle de l’échec de la alyah algérienne, c’est que, à la différence des communautés juives des autres pays arabes, le judaïsme algérien dans sa très grande majorité était, à tort ou à raison (mais la question n’est pas là) un judaïsme d’esprit délibérément occidental, et structuré sur le modèle occidental. Cette réalité fondamentale, les fonctionnaires du sionisme n’ont jamais voulu l’admettre, aveuglés qu’ils étaient par leurs stéréotypes et par leurs idées toutes faites. Et cette même incompréhension qui a finalement découragé certains des nôtres qui, par idéalisme pur et sans aucune pression extérieure, ont tenté de s’installer en Israël, pour y être parfois comme des Juifs “sous-développés” » [3]
[3]
L’information juive, n° 151, décembre-janvier 1965, p. 6..

10Dans une lettre ouverte à Moshé Sharett, les Juifs d’Algérie exprimèrent leur regret de n’avoir pas avoir eu le loisir de mieux exposer les faits, pour que le débat prenne une tournure plus sérieuse, et accusèrent l’Agence juive de vouloir se couvrir en rejetant l’entière responsabilité de l’échec de cette immigration sur les dirigeants de la communauté juive d’Algérie. Moshé Sharett tentera, dans sa réponse de minimiser l’importance de cette procédure ; cela se faisait, expliqua-t-il, dans divers contextes et par diverses instances publiques. Ce n’était qu’un moyen d’attirer l’attention de l’opinion publique. C’était une manière d’aborder le problème sous un angle nouveau et non pas d’accuser qui que ce soit. Il ajouta tout de même dans la foulée, que ce n’était pas l’Agence juive qui avait instigué ce procès [4]
[4]
Michael Laskar, Israël et l’immigration d’Afrique du Nord,….

11Si l’avocat André Narboni garde un souvenir triste de cet épisode historique, il se félicite néanmoins, de l’arrivée, après la guerre des Six Jours, de 15 000 Juifs originaires d’Algérie. Dès lors, c’était une évidence, la communauté d’Algérie, dont 25 % avaient immigré, était « la plus sioniste des communautés occidentales ».

12Le professeur André Nathan Chouraqui, historien renommé et traducteur émérite de textes bibliques en français, installé en Israël depuis 1957, fut conseiller de David Ben Gourion, puis adjoint au maire de Jérusalem. Pour lui, ce procès public n’était qu’une preuve de l’ignorance des Israéliens à l’égard de l’histoire des Juifs d’Algérie : « Les Israéliens ne comprenaient pas du tout les Juifs d’Algérie, les liens particuliers qui les attachaient à la France. Dans leur ignorance, ils étaient donc convaincus que les Juifs d’Algérie devaient forcément réagir, se comporter comme les autres communautés juives, dans des circonstances similaires – et débarquer en masse en Israël, comme les Yéménites, les Irakiens, les Syriens et surtout comme les Marocains et les Tunisiens… Et lorsqu’ils virent que les Juifs d’Algérie choisirent la France, plutôt qu’Israël, dans leur majorité, les Israéliens en furent sincèrement surpris. Cette réaction fut évidemment répercutée par la presse et se traduisit notamment par une mise en question du Judaïsme Algérien… Il n’empêche que la proportion des Juifs d’Algérie ayant immigré en Israël, depuis 1948, est beaucoup plus élevée que celle de n’importe quelle autre communauté juive d’Occident – notamment des États-Unis, de Grande-Bretagne, ou d’Amérique latine [5]
[5]
Charvit Yossef, Le judaïsme algérien-Réflexions, Jérusalem,…. »
La différence des Juifs d’Algérie
13Elie Shimoni, l’un des dirigeants du mouvement sioniste en Algérie, installé en Israël dès les années cinquante, expliquait : « Les Juifs d’Algérie étaient Français jusqu’au bout des ongles. Et donc l’exode vers la France, ils ne le considéraient pas comme un “second exil”, mais tout naturellement comme un rapatriement… De 1947 à 1973, les Juifs d’Algérie sont arrivés en Israël en quatre vagues plus ou moins égales. La moitié, avant l’indépendance de l’Algérie, l’autre moitié, après. En tout, 30 000 Juifs d’Algérie ont immigré en Israël, au cours de cette période et après. Ce qui constitue plus de 25 % de la communauté juive d’Algérie. C’est effectivement une proportion qui n’a jamais été atteinte par aucune communauté juive d’Occident [6]
[6]
Ibid., p. 506.. »

14Il est intéressant de souligner à ce propos qu’à l’opposé des Juifs des pays musulmans qui étaient majoritairement considérés comme des réfugiés, les Juifs d’Algérie étaient Français et en tant que tels, passaient d’un territoire français, l’Algérie, à un autre territoire français, la métropole, ce qui ne leur a d’ailleurs pas épargnés des moments d’une réelle précarité. De l’avis de David Guy Melki [7]
[7]
Il est le père du porte-parole de Tsahal, lieutenant-général…, qui faisait la liaison entre experts français et israéliens à la centrale nucléaire de Dimona de 1962 à 1979, c’était un moyen pour l’Agence juive de se justifier et montrer que l’« échec » n’était pas de sa faute, malgré les énormes efforts qu’elle avait déployés pour cette communauté qui avait choisi majoritairement la France et son bien-être [8]
[8]
Lors d’une entrevue à Natanya, 2014..

15Mais voilà, cette communauté s’est révélée plus sioniste et plus nombreuse même en comparaison avec les autres pays d’Europe et d’Amérique. Pourquoi ? Nous touchons ici à sa qualité, sa richesse culturelle unique, qui associe une modernité tout européenne à un sionisme profond, sépharade, ancestral, où Israël n’est pas le refuge, mais bien l’objectif. Ce sionisme, s’il présente des aspects politiques et matériels, n’en est pas moins un manifeste spirituel, incluant une vision de rédemption. Ce n’est pas un sionisme « opportuniste », une solution en cas de crise, la preuve en est l’immigration en nombre de Juifs d’Algérie, après la guerre des Six jours.

Une nouvelle histoire
16Ces 25 dernières années, mes recherches se sont surtout concentrées autour des racines profondes de la communauté, avec ses sages et leur rapport avec la Terre sainte. Une histoire plus complète, plus détaillée de cette communauté met en relief un sionisme politique et concret, où les stéréotypes n’ont pas prise. Les traits caractéristiques qui se dégagent, ont été pratiquement occultés jusqu’ici par les chercheurs en histoire du judaïsme nord-africain. Je vois ce que j’appellerai, deux pistes historiographiques parallèles, la « piste française » et la « piste d’Eretz Israël ». La nouvelle histoire des Juifs d’Algérie tourne le dos à toute polarisation, pour au contraire laisser entendre un concert à deux voix qu’est la coexistence harmonieuse des éléments français et juifs-sionistes. Ainsi, la Première Guerre mondiale a éveillé chez ces Français naturalisés en 1870 un réel patriotisme pour la France. Ils ont combattu au sein de l’armée française sur tous les fronts y compris aux Dardanelles [9]
[9]
Charvit Yossef, La Première Guerre mondiale et le Yishouv (avec…. Mais ce sont encore des Juifs d’Algérie qui dans la seconde moitié du xixe siècle vont fonder des colonies de peuplement en Galilée et dans le littoral, et qui subiront l’exil imposé par les Ottomans pendant la Première Guerre mondiale, quand ils furent expulsés en Corse. Si les Juifs d’Algérie sont l’expression de l’émancipation, ils n’en sont pas moins aussi enracinés dans le passé de l’Ancien Yichouv que dans le Nouveau Yichouv [10]
[10]
Charvit Yossef, La France, l’élite rabbinique d’Algérie et la…. À partir de ce moment, il est vrai, l’élément français prendra le dessus jusqu’en 1943, puis l’élément sioniste s’imposera à son tour, poussant les Juifs à immigrer en Eretz Israël (Aliyah Bet). C’est à ce moment-là que se forme la force de défense juive algérienne [11]
[11]
Charvit Yossef, Les Juifs d’Algérie pendant leur période….

17L’élite rabbinique en Algérie considéra la création de l’État d’Israël comme la réalisation de la prophétie de rédemption : on ne vit aucune opposition antisioniste, contrairement à ce qui a pu se produire parmi les élites rabbiniques ashkénazes d’Europe centrale ni même avec une certaine élite séfarade antisioniste. Les rabbins Haïm Beliah, David Cohen Skali, Yossef Renassia, Rahamim Naouri, David Kalifa, Daniel Renassia, Michaël Cherbite, Yéhouda Léon Ashkenazi (Manitou), Shmuel Sirat et Meïr Zini se prononcèrent sans hésiter en faveur du sionisme religieux, et approuvèrent tout soutien à l’indépendance d’un État juif en Palestine. Ils adhérèrent naturellement, sans aucune réserve, aux décisions prises par le grand rabbinat d’Israël de célébrer par des prières le jour anniversaire de la déclaration d’indépendance d’Israël. Ce n’est pas un hasard si le rabbin Ouri Amos Cherki, petit-fils d’Aïzer Cherki [12]
[12]
Haim Cherki, Aïzer Cherki, Récit d’une vie, 1893-1982, Erez,…, un militant sioniste d’exception, a rédigé le livre de prières Beit Meloukha (à l’occasion du Jour de l’Indépendance d’Israël), inspiré par le rabbin Yéhouda Ashkénazi et le rabbin Eliahou Zini, rabbin à l’Institut technologique de recherche de Haïfa, Technion, et qui y enseigne les mathématiques.

18Un sondage réalisé en mars 1967, à la veille de la guerre des Six Jours, visant à évaluer le degré d’identification des Juifs d’Afrique du Nord en France, montra qu’Israël était leur destination préférée, pour plusieurs raisons : ils s’identifiaient avec Israël en tant que pays juif, en tant que pays jeune, impressionnant par le nombre de ses réalisations, et ils voulaient par ailleurs mieux appréhender les difficultés qu’y rencontraient les Juifs des pays musulmans et surtout ceux d’Afrique du Nord. On observe parmi les jeunes à cette occasion, une corrélation positive entre identification au plan religieux et le désir de connaître Israël. Pour ceux qui s’étaient définis comme religieux ou traditionalistes, la majorité écrasante choisit Israël pour un voyage (82 %) ou un séjour prolongé (62 %).

19La guerre des Six Jours souleva un enthousiasme sans précédent, quasi messianique, parmi les juifs d’Algérie vivant en France, et ce sentiment ne fera que mieux aiguiser ces processus : « c’était un événement d’ordre biblique en plein xxe siècle qui concerna surtout la classe intellectuelle », selon les mots du rabbin Ouri Cherki. Enfin, le rapport à la Terre d’Israël, inhérent à l’héritage religieux-kabbalistique des Sages d’Algérie, depuis toujours se confond désormais avec le sionisme religieux. En ce sens, la guerre des Six Jours marque un tournant crucial dans les relations du judaïsme de France avec l’État d’Israël. Les Juifs d’Afrique du Nord et surtout ceux d’Algérie ont été les premiers à apporter leur soutien à Israël en juin 1967, se montrant ouvertement dans les rues de Paris et dans les villes de province. À partir de ce moment, il est clair qu’Israël établit solidement son positionnement en tant que centre auquel le peuple juif s’identifie et il est clair que sa survie est essentielle à la survie du peuple juif et dans notre contexte, ce sont les Juifs d’Algérie qui immigrent en Israël dans un flux constant et continu. On estime qu’entre la guerre des Six Jours et la fin du xxe siècle, environ 25 000 Juifs originaires d’Algérie ont fait leur aliyah. Il y a aujourd’hui 50 000 Juifs originaires d’Algérie parmi les 500 000 francophones que compte Israël [13]
[13]
Selon les données du consulat de France il y a 500 000….

20Deux décennies après la création de l’État, on dénombrait 80 villages agricoles dont la population provenait d’Afrique du Nord, sans compter les 50 autres agglomérations dont une partie, certes minoritaire, de la population était également d’Afrique du Nord. On peut dire que le judaïsme d’Afrique du Nord a apporté au mouvement de peuplement agricole une contribution appréciable, par la quantité, certes, mais surtout par la qualité de ces pionniers que l’on retrouve donc dans diverses parties du pays : au nord, dans la région du Ta’anach, région de Lakhish et au Néguev. Les Juifs d’Algérie s’intègrent dans les villages agricoles comme Avivim, Goren, Dishon, Ya’ara en Galilée du Nord, à Nir Hen et Brakhia dans les alentours d’Ashkelon, à Zohar, Noam, Shahar, Tirosh et Louzit à Lakhish, à Yoshivia, Sharsheret, Brosh, Sde Tsvi, Shalva et Nir-am au Néguev, Tzroufa, Megadim, Hof Hacarmel, Nitsané Oz, et Rinatia, dans le Sharon, Meléa, à Ta’anakh, Zanoah, Kissalon, Mata dans les monts de Judée.

21Les kibboutz ont accueilli d’anciens membres des mouvements de jeunesse socialistes en Algérie : comme Regavim à Ramat Menashé, le kibboutz Hanita en Galilée, le kibboutz Reïm à l’ouest du Néguev, le kibboutz Carmia (en hommage à Adolphe Crémieux) près d’Ashkelon, premier site de peuplement fondé par un noyau de pionniers d’Afrique du Nord, le 7 juillet 1949.

22À ce propos, le parcours de Ruth Shahar Sebaoun (1925-2008), une juive d’Algérie, sioniste s’il en fut, qui avait immigré en Palestine en 1945, fut exemplaire. Sa sœur Yaël épousa Yaakov Caroz, envoyé par le Mossad pour l’Aliyah Bet (clandestine) à Alger, qui deviendra par la suite le second du Mossad. Ses frères, Paul et Henry, étaient membres du mouvement de résistance juive pendant la Seconde Guerre mondiale et agents pour l’immigration clandestine à partir des plages d’Alger.

23Les Juifs d’Algérie ont contribué grandement aux activités communes dans les villages dans les années qui ont suivi la guerre des Six Jours. Des Juifs d’Algérie, qui avaient choisi la France, décidèrent d’immigrer par groupes organisés et fondèrent de nouveaux villages comme le moshav Ramot Meir, entre Rehovot et Ramleh, le moshav Yaffit dans la vallée du Jourdain, Talmé Elihaou et Ohad dans l’ouest du Néguev.

24S’ils se sont souvent installés dans une vie agricole, il y en a d’autres par contre qui ont choisi les villes comme Saffed, Tibériade, Haïfa, Afoula Illit après un séjour préalable à Zikhron Yaakov, Nazareth Illit, Acco (Saint-Jean d’Acre), Natanya, Givat Shmuel [14]
[14]
Venus du Mzab (Aflou, Alouad et Ghardaia)., Kyriat-Ono, Ramleh, Ashdod, Ashkelon, Beer Shéva, Dimona, Yérouham, Mitspé Ramon, et bien entendu dans la capitale, Jérusalem. La concentration la plus importante se trouve à Natanya, Givat Shmuel, Ashdod, Dimona et Jérusalem.

25L’immigration des Juifs d’Algérie de France a laissé une empreinte unique sur la vie culturelle juive, la vie spirituelle, universitaire et scientifique, dans le domaine de la sécurité, et sur l’économie israélienne. Nous nommerons ici des personnalités comme les rabbins Yitzhak Zerbib, Daniel Renassia, Benyamin Assouline, Abraham Hazan, David Kalifa, Yaakov Partouche, Michaël Cherbite et Elazar Elbaz – à Dimona, au moshav Beit Ouziel, dans la région Eben Hezer, non loin de Jérusalem, à Jérusalem, à Kyriat Ono, à Natanya et à Givat Shmuel, tous actifs dans le domaine culturel, spirituel, soit une intégration culturelle basée sur leur héritage algérien unique. Mais surtout, ils ont fait office de pont reliant Occident et Orient.
26Nous n’oublierons pas ici de rappeler l’œuvre remarquable du rabbin Hazan, aumônier général de la police et des prisons israéliennes et qui a conçu un programme pour la réhabilitation d’anciens détenus. Quant aux professeurs Eleazar Touitou et Henri Atlan, ils ont fait avancer les connaissances chacun dans son domaine, l’un dans l’exégèse biblique, et le second dans la biophysique et la médecine nucléaire. Dans le domaine public, des hommes comme Adolphe Aïnouz, Pinhas Bar Tov-Taïeb, le Grand Rabbin et professeur Samuel Sirat et Sidney Chouraki ont largement œuvré au développement de relations spéciales entre la France et Israël. André Narboni et Yosselé Bar Tsion-Bouskila travaillaient dans le cadre de l’Organisation sioniste mondiale pour des campagnes d’immigration.

27Un autre exemple et pas des moindres, celui de Charles Attali : né en 1930 dans la ville de Constantine, il a appartenu au mouvement de jeunesse EI en Algérie, puis il a achevé ses études d’ingénierie aéronautique en 1952. De 1952 à 1970, il dirige le programme de la fusée « Diamant », qui fera de la France la troisième puissance spatiale après les États-Unis et l’Union soviétique. En 1965, pour sa contribution à la sécurité de France, il obtient la légion d’honneur, des mains du général de Gaulle. Mais lorsqu’un embargo est imposé contre Israël en 1970, il quitte la France et émigre en Israël. Moshé Arens, qui était à l’époque vice président des Industries aéronautiques, le place à la tête de grands programmes de sécurité, dont le développement des drones. Il reçoit le prix de ministère de la Défense du président Navon, du temps du gouvernement de Bégin dont le ministre de la Défense était Moshé Arens. D’autres ingénieurs suivirent son exemple et firent leur aliyah quand entre 1983 et 1985, il fut envoyé en France chargé de recruter 40 ingénieurs (il y avait 300 candidats), pour occuper des postes clés dans les Industries aéronautiques [15]
[15]
Charvit Yossef, Les Juifs d’Algérie pendant leur période….

28Mais était-il vraiment indispensable de passer par le subterfuge d’un procès public pour qu’enfin l’opinion publique en Israël reconnaisse la valeur de cette aliyah ?

Notes
[1]
Bama’aracha, numéro 20, 1963 (2e année), p. 17.
[2]
Ibid.
[3]
L’information juive, n° 151, décembre-janvier 1965, p. 6.
[4]
Michael Laskar, Israël et l’immigration d’Afrique du Nord, Institut Ben Gourion, 2005, p. 330.
[5]
Charvit Yossef, Le judaïsme algérien-Réflexions, Jérusalem, 1997, p. 505.
[6]
Ibid., p. 506.
[7]
Il est le père du porte-parole de Tsahal, lieutenant-général Ruth Yaron.
[8]
Lors d’une entrevue à Natanya, 2014.
[9]
Charvit Yossef, La Première Guerre mondiale et le Yishouv (avec notes sur les Juifs d’Algérie), Tsafon, revue d’études juives de Nord, n° 67, 2004, p. 125-143.
[10]
Charvit Yossef, La France, l’élite rabbinique d’Algérie et la Terre Sainte au xixe, tradition et modernité, Paris, Honoré Champion, 2005.
[11]
Charvit Yossef, Les Juifs d’Algérie pendant leur période française, ministère de la Défense, 2010, p. 157-167.
[12]
Haim Cherki, Aïzer Cherki, Récit d’une vie, 1893-1982, Erez, 2006.
[13]
Selon les données du consulat de France il y a 500 000 francophones en Israël, de France, d’Afrique du Nord, de Roumanie et du Canada, pas tous juifs.
[14]
Venus du Mzab (Aflou, Alouad et Ghardaia).
[15]
Charvit Yossef, Les Juifs d’Algérie pendant leur période française, ministère de la Défense, 2010, p. 157-167.
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/10/2015
https://doi.org/10.3917/parde.056.0285


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