Algérie - Pêche

Le Port de Béni Saf, nouveau créneau porteur pour la wilaya de Aïn Témouchent



La crevette de Beni Saf, très demandée dans les restaurants européens, est devenue un véritable label », nous assure-t-on dans les guides touristiques. La ville d’environ 50 000 habitants n’a peut-être pas tort de s’enorgueillir de son petit port, qui s’ouvre depuis quelque temps sur une commercialisation prometteuse de ses produits frais.
Ici, comme ailleurs, le potentiel halieutique a longtemps été sous-estimé. Construit en 1877, pendant la période coloniale, le port de Beni Saf a fait ses débuts dans l’acheminement du minerai de fer vers la France. Ce n’est qu’à partir de 1987 qu’on se réintéressera véritablement à la richesse de sa production maritime, abandonnant définitivement les activités de transport. Troisième pilier de l’économie locale, entre 80 km de littoral touristique et 180 000 ha de superficie agricole, le port de Beni Saf représente sans conteste un nouveau créneau porteur pour la wilaya de Aïn Témouchent. Aujourd’hui, le port de Beni Saf comptabilise 3000 actifs inscrits sur les registres de l’antenne du port, englobant les patrons, les mécaniciens et les matelots. Il pèse sur le taux d’emploi de la commune. Les petites embarcations, majoritaires dans le port, relevant de la pêche artisanale, permettent sans aucun doute de soutenir les revenus et les conditions de vie des populations rurales côtières. Le secteur crée également nombre d’emplois en amont, dans les secteurs de la construction et de la réparation navale, et en aval, dans la distribution et la restauration. Les modestes restaurants à spécialités de poissons qui encerclent le port, au-delà des grilles surveillées par la police aux frontières, sont présents pour en témoigner. L’administration portuaire de Béni Saf estime qu’un emploi direct en mer engendre trois emplois indirects sur terre. Davantage un pilier de l’économie locale, ces activités de la pêche intéressent désormais les pouvoirs publics et sont considérées comme un secteur clé de l’économie nationale. Selon le chef d’antenne du port, M. Zenasni, le circuit de vente du poisson ne s’inscrit aujourd’hui plus qu’à la seule échelle locale, mais a investi le marché national, offrant même de larges possibilités de commercialisation au niveau méditerranéen. Les statistiques fournies par la wilaya retracent avec éloquence cet essor de la pêche : 331 navires répartis entre les deux principaux ports de Beni Saf et Bouzedjar fin 2005 qui produisent quelque 20 215 tonnes de poissons, soit 13% de la production nationale. Le port de Beni Saf, ouvert sur une zone maritime riche en sardines, dit-on, contribue, lui, à la production de près de 10 000 tonnes de poissons. L’augmentation de 18,6% de la production par rapport à l’année précédente ne peut qu’être prometteuse. Avec 36 chalutiers, 20 sardiniers et 136 petits métiers, les capacités d’accueil du port de Beni Saf, de 68 bateaux en théorie, sont aujourd’hui largement dépassées. Elles doivent aussi faire face à la diversification des métiers de la pêche, telle la présence d’entreprises de réparation et de construction navale et de la vente du poisson. Pour remédier au problème de la saturation du port, le département des travaux publics de la wilaya a engagé des travaux d’aménagement du plan d’eau, dont le taux d’avancement est aujourd’hui estimé à 38%.

La concurrence étrangère de plein fouet
Cet agrandissement du port s’intègre à la stratégie du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques, dans le cadre du plan de relance économique dans le secteur halieutique. Depuis 2001, le ministère a engagé un programme de soutien à l’investissement structurant afin d’impulser une dynamique d’investissement. Une enveloppe globale de 9,5 milliards de dinars aurait été dégagée pour soutenir des projets de développement de la pêche et de l’aquaculture sur tout le territoire, concernant la construction et la réparation navale, le système de conditionnement et de froid et les moyens de mise à sec des navires de pêche. Pour encourager la production et l’emploi dans le secteur, le programme prévoit des mesures incitatives à l’investissement, basées sur des avantages fiscaux et des facilitations d’accès aux crédits bancaires. Le plan semble avoir porté ses fruits, puisque, en 2005, Beni Saf voit sa flottille augmenter d’une vingtaine de bateaux supplémentaires, pour la plupart hautement sophistiqués et résolument modernes, comme tient à le rappeler M. Zenasni. Mais la pêche représente aussi un marché séduisant pour de nombreux investisseurs privés, nationaux ou étrangers, au vue des perspectives croissantes de commercialisation du produit. Alors que l’administration portuaire vend les mérites de ce fameux plan de relance, l’un des propriétaires de ces nouveaux bateaux gare sa Mercedes gris métallisé flambant neuve sur le parking du port. Les facilités bancaires ont été une belle affaire pour cet investisseur qui s’est saisi de l’aubaine pour acquérir une nouveau bateau et s’est tourné pour cela… vers un constructeur étranger ! Un phénomène généralisé, puisque parmi la vingtaine de navires nouvellement acquis, surtout des sardiniers, beaucoup ont été importés de l’étranger, commandés à des constructeurs coréens, italiens ou espagnols. Face à ces mastodontes de la technologie navale, les neufs constructeurs de Beni Saf, dépendant de la traditionnelle coque en bois, ne font pas le poids. L’un d’eux, à la tête de vingt employés, consacre au minimum douze mois de l’année à la construction d’un seul bateau. La concurrence est rude. Si les bateaux importés coûtent plusieurs milliards de dinars, l’opération est sans aucun doute rentable. Les crédits, ajoutés à un apport personnel supposant un capital de départ relativement important, permettent aux propriétaires d’acquérir de véritables « navires-usines ». 25 mètres de long et la coque en fibres de verre minimisant les risques de voies d’eau, ces navires au moteur puissant, équipés de GPS, de radars de détection du poisson et de grues, réduisent les temps de pêche en mer et les besoins en main-d’œuvre. Surtout, ils permettent d’augmenter les quantités de production de façon significative. Le profit escompté ne peut que faire tourner la tête à quelques « gros poissons » privilégiés. Et ce n’est pas tant la construction navale que tout le secteur de la pêche qui est concerné par cette concurrence des entreprises étrangères, plus portées sur les technologies sophistiquées. Depuis 2003, plusieurs protocoles d’accord de pêche, de conservation et d’équipements portuaires ont d’ailleurs été signés entre opérateurs économiques algériens et entreprises étrangères. Beaucoup de sites internet destinés aux investisseurs européens vantent les opportunités de ce nouveau marché, assurant qu’« il existe un excellent potentiel pour les chalutiers, les équipements embarqués (électronique de navigation), les filets et autres matériels nécessaires à la pêche ». L’un d’eux poursuit : « De nombreux débouchés existent pour l’industrie de transformation, notamment pour les conserveries, la transformation des produits de la mer et tout ce qui concerne la chaîne du froid. » La loi cadre de juillet 2001 autorise les opérations de pêche commerciale par des navires étrangers, tout autant que l’importation des équipements, le ministère justifiant ces partenariats par « un transfert de savoir-faire » vers l’Algérie.

La pêche artisanale reste précaire
Théoriquement, des équipements modernes ne devraient qu’augmenter la productivité du travail des pêcheurs algériens. Reste que les pêcheurs de Beni Saf conservent des outils de travail dérisoires et que le plan de relance ainsi conçu profite essentiellement à des « nouveaux venus » dans le métier, attirés par les profits et moqués par les pêcheurs. Comme beaucoup d’autres secteurs, l’économie de la pêche reste majoritairement spéculative, ne créant pas autant d’emplois qu’on pourrait l’espérer. Le bât blesse aussi alors que l’accès aux techniques modernes de la pêche reste inégal : l’assistance technique étrangère est limitée, les investissements productifs étrangers sont faibles, et les efforts consentis à la formation ont des effets encore peu visibles. Un véritable transfert de compétences et de technologies tarde à se mettre en place. Et avec toute la dynamique souhaitée d’investissements productifs et créateurs d’emplois. Ainsi la plupart des travailleurs de la mer restent sous-qualifiés, faiblement formés aux nouvelles techniques productives, et donc très certainement sous-employés. La pêche, composée à majorité de petits métiers, soit 70% de la flottille de Beni Saf, reste une profession traditionnelle de subsistance, transmise de père en fils. C’est également à un problème de fond, celui du statut même des gens de la mer, que le plan de relance devrait s’atteler. Car si l’administration du port attribue l’augmentation de sa production à ses nouveaux fleurons, il n’en demeure pas moins que la répartition des revenus de la pêche se fait essentiellement au profit des patrons, qui se frottent les mains. Les marins des grands navires sont payés « à la part », « sur le modèle espagnol », précise-t-on. Quand, tel aujourd’hui, la mer est houleuse, les pêcheurs des sardiniers, même les plus modernes restent à quai. Représentés par aucun syndicat, ils ne peuvent que regretter de ne pas être rémunérés et espérer le retour d’un temps plus clément. D’autres témoignages de marins évoquent un « bradage systématique » et expliquent qu’ils ne profitent pas de la commercialisation croissante du poisson. Lésés dans leurs parts, ils dénoncent aussi une récupération anarchique des revenus de ce fonds de commerce par la foule des intermédiaires, des mandataires aux distributeurs en passant par les mareyeurs de la criée. Le marché est, en effet, juteux. Mais sans réglementation stricte, les efforts fournis par le plan d’action perdent en efficacité et ne créent pas l’environnement transparent propice aux investissements rentables sur le long terme.


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