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Le naufrage de l'école


Le naufrage de l'école
L'existence de conflit et de rapports de force idéologique au sein du système éducatif a contraint le pouvoir à équilibrer entre les différentes parties.Feu Mohamed Boudiaf a fait un des diagnostics les plus alarmants de l'école algérienne. Il avait déclaré, un certain 22 avril 1992, dans une allocution à l'occasion de l'installation du Conseil consultatif national, que «notre système éducatif est sinistré. Les déclarations d'autosatisfaction ne sauront cacher la réalité dramatique vécue par les élèves et leurs parents. Notre système éducatif produit des rejetés dans la rue, de ??hittistes'' sans qualification et des diplômés chômeurs. C'est une refonte totale de notre système éducatif qu'il faut envisager. L'école doit être un lieu de transmission et de production du savoir. Elle doit se situer en dehors des préoccupations politiques, partisanes ou idéologiques.L'avenir de nos enfants oblige à consacrer à ce dossier le maximum d'attention.» Partant de ce constat et s'appuyant sur d'autres rapports qui faisaient état d'un système catastrophique, le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, décide d'ouvrir le chantier de la refonte du système éducatif. Une commission est installée et avait pour mission d'élaborer le projet de réforme. Une fois le document finalisé, le président Bouteflika ordonna vers la fin 2002 au ministre Boubekeur Benbouzid le lancement de la réforme. Benbouzid, selon nos sources, avait émis des réserves sur la méthode de travail et demandé un temps supplémentaire avant l'entame de ce vaste chantier.Le ministre espérait réunir l'ensemble des acteurs pour débattre du contenu de la réforme avant son lancement. Niet ! «Les services de la présidence ne voulaient rien savoir. Bouteflika a donné des orientations pour l'application de la réforme à partir de 2003 et ce, quel que soit le prix à payer», explique un proche de l'ancien ministre. Néanmoins, la réflexion du ministre n'a pas été du goût des hautes autorités, puisque Benbouzid a été écarté quelques mois après, à l'occasion d'un remaniement ministériel. Bouteflika nomme alors Noureddine Salah à la tête du secteur de l'Education, et Benbouzid hérite du département de la Jeunesse et des Sports.Le nouveau ministre exécute à la lettre les directives du pouvoir et lance évidemment le chantier de la réforme. Seulement à moins d'une année, Nourredine Salah est remercié et Benbouzid est une fois de plus sollicité pour diriger ce secteur. Comme la culture du refus n'existe pas dans le langage de nos politiciens, Benbouzid accepte le nouveau poste et est sommé de poursuivre le dossier de la réforme dont les premiers jalons ont déjà été lancés, tandis que la famille éducative ignorait tout du contenu de ce projet.La responsabilité de l'échec est collective«Le personnel éducatif n'était pas préparé, les enseignants n'étaient pas formés. L'école a été transformée en un laboratoire où les élèves étaient tout indiqués pour servir de cobayes. Benbouzid voulait éviter cette situation, mais le politique a pris le dessus sur cette affaire», nous confie un retraité du secteur. Benbouzid ne faisait qu'exécuter les ordres. Les syndicats, les enseignants, les pédagogues estiment que Benbouzid n'est pas le seul responsable des anomalies du système. La refonte du système éducatif est venue normalement corriger les bavures constatées dans l'école fondamentale, notamment en matière d'éducation religieuse qui a été mise entre les mains d'enseignants qui ne l'ont pas utilisée de manière pédagogique.Mais cette réforme, affirme Meriane Meziane, enseignant et responsable d'un syndicat, n'a été appliquée que partiellement et la cause est venue d'en dehors du ministère de l'Education : «Son application fragmentaire a chamboulé les objectifs assignés à la réforme, et ce que l'on constate actuellement est que ses objectifs sont en inadéquation avec l'environnement pédagogique, à l'exemple des lycées en construction depuis 2004 et qui n'ont pu accueillir des élèves qu'en 2014», déplore M. Meriane qui précise qu'avec l'introduction des symboles universels en mathématiques, à défaut d'enseigner les matières scientifiques carrément en français comme cela se fait à l'université, projet bloqué par la ténacité des conservateurs au gouvernement, le niveau des élèves a dégringolé. De l'avis des observateurs, le ministre Benbouzid n'a fait qu'appliquer, sur le terrain, les orientations générales du gouvernement. De ce fait, s'il y a échec, il ne peut être l'apanage d'unepersonne : c'est l'échec du système qui a engendré un programme.Conflit et lutte idéologiqueEn 2012, Benbouzid est écarté du secteur de l'Education. La nouvelle de son départ a été applaudie par toute la famille de l'Education et les parents d'élèves. Le fait d'être limogé a laissé croire que le nouveau locataire du département de l'Education, Abdelatif Baba Ahmed, allait révolutionner tout le système tant décrié. Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Car, de l'avis de tout le monde, Benbouzid décidait en tant que membre du gouvernement qui avait un programme à exécuter, et Baba Ahmed n'a pas dérogé à la règle. «Dans notre pays, on essaye de responsabiliser une personne pour un échec collectif.Seulement 20% de la réforme a été pris en considération. Est-ce la faute à Benbouzid ' Il s'agit là de la politique de rafistolage menée par le pouvoir», témoigne Idir Achour du CLA. Pour lui, l'existence de conflit et de rapports de force idéologique au sein du système éducatif a contraint le pouvoir à équilibrer entre les différentes parties. «Lorsqu'on fait dans l'équilibre, personne n'est satisfait.On avait une école semi-laïque, on a voulu créer une école libérale. Il fallait faire face aussi aux islamistes. Le pouvoir répond à chaque fois à une logique idéologique et non politique», déplorent les enseignants. Les batailles idéologiques qui polluent l'école ont contribué à sa régression, ajouté à cela les méfaits de la décennie noire. «De tout temps il y a eu une double bataille idéologique au sein du système éducatif ; l'une entre les conservateurs et les laïcs, et l'autre entre ceux qui plaident pour sa démocratisation et ceux qui optent pour sa marchandisation», notent les pédagogues.Selon ces derniers, il faut avoir aujourd'hui le courage de libérer l'école de toute entrave idéologique et de la remettre sur les rails du savoir et de la connaissance. Toutefois, beaucoup d'observateurs relèguent au second plan les entraves idéologiques et mettent au-devant de la scène les problèmes pédagogiques. Le problème concernant un élève de 4e année primaire qui ne sait ni lire ni écrire n'est pas idéologique, mais le problème réside dans d'approche pédagogique.La réforme a engendré une anarchieLa pédagogie, expliquent les pédagogues, ne fait pas bon ménage avec la politique. Seulement, avec Benbouzid ces deux concepts ont pu le faire. Pour certains, un ministre à la tête du secteur de l'Education doit être avant tout un pédagogue, Benbouzid non seulement ne l'était pas, mais était entouré de certaines personnes «malintentionnées», nonobstant des clans qui existent au sein du système éducatif.Benbouzid, pour rappel, avait pris les commandes d'un secteur touché de plein fouet par la décennie noire.C'était le statu quo et l'application de la réforme devait sauver l'école. Mais ce ne fut pas le cas. De l'avis de M. Boudiba, enseignant et syndicaliste, le problème n'était pas la réforme, mais plutôt son application dans les trois paliers. «Cela a engendré une anarchie et une désorganisation totale. Les enseignants avaient de nouveaux programmes auxquels ils n'étaient ni préparés ni formés. Les inspecteurs étaient dépassés. L'application de l'approche par compétence nécessite des enseignants bien formés et un climat adéquat», explique M. Boudiba.Les enseignants avaient entre les mains un nouveau programme qu'ils devaient prodiguer en l'absence de toutes les clés nécessaires, créant ainsi des pressions et la panique à tous les niveaux : dans les foyers, notamment les parents, chez les élèves et aussi chez les enseignants qui étaient désorientés. Cette cacophonie a déstabilisé les élèves et a ouvert la voie à des initiatives qui n'étaient pas faites dans la perspective de relever le niveau des élèves.




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