Algérie

Le lourd silence d'une presse publique sous contrôle de l'état



Le lourd silence d'une presse publique sous contrôle de l'état
Les choses allaient très mal en Algérie. Mercredi 5 octobre 1988, Alger se réveille sur un cauchemar, la grogne s'amplifiait et les mouvements de contestations se multipliaient. Le pays traversait une grave crise et la presse aux « ordres » est restée sans voix, muette et insensible aux cris des laissés-pour-comptes. Oui, les journaux sous contrôle de l'Etat et du FLN n'ont diffusé aucune information et aucun commentaire sur les violentes manifestations qui avaient gagné en quelques jours la presque totalité du pays. Les rares écrits, dans une langue de bois chère aux laudateurs du système, jetaient, selon le témoignage d'un grand nombre de journalistes, l'anathème sur les jeunes manifestants. Tous les médias ont tout simplement été paralysés. La censure est devenue totale, lorsque les signes annonciateurs de l'événement ont commencé à se manifester. On ne trouvera dans les quotidiens et hebdomadaires diffusés durant les deux semaines qu'auront duré les émeutes que les communiqués officiels rendus publics par « l'autorité militaire ». Certains journaux ont même fermé les salles de télex aux journalistes pour renforcer davantage la mainmise et le monopole sur l'information. N'ayant le droit ni d'être informés ni d'informer, les journalistes commencèrent à s'agiter et la grogne gagna peu à peu toutes les salles de rédaction. Au 6e jour de l'état de siège, à l'initiative du Mouvement des journalistes algériens (MJA), des journalistes de la wilaya d'Alger et exerçant dans différents organes se rencontrèrent quasi clandestinement dans un local, situé au centre-ville. Durant sept heures et dans une atmosphère tendue et enfumée, ils entamèrent des discussions sur la situation du secteur et du pays. Après un débat houleux, les participants ont à l'unanimité décidé de rendre publique une déclaration qui allait avoir l'effet d'une bombe. Ils étaient 70 journalistes à adopter le fameux texte, qui fut remis immédiatement, le 10 octobre à l'AFP, dont le siège était situé à quelques dizaines de mètres.La déclaration résumait en quelques sorte l'état d'esprit dans lequel était les journalistes. En réagissant de la sorte, les journalistes initiateurs de cette action estiment qu'ils n'étaient ni des aventuriers allumés ni des visionnaires inspirés, mais des individus travaillant dans un secteur très sensible, des journalistes qui ne pouvaient plus supporter la censure, l'interdit et surtout l'humiliation de vouloir et de ne pouvoir tout dire. Justement, la déclaration en question informait l'opinion que les journalistes étaient (...) interdits d'informer objectivement des faits et événements qu'a connus le pays (...) et dénonçait l'utilisation tendancieuse qui a été faite en ces circonstances graves des médias nationaux et ce, au mépris de toutes éthique professionnelle et du droit élémentaire du citoyen à l'information. Ils condamnaient aussi l'utilisation violente et meurtrière de la force armée et l'incompétence avec laquelle l'ordre a tenté d'être rétabli, ils demandaient la levée de l'état de siège afin de rétablir les citoyens dans l'exercice de leurs droits constitutionnels et, enfin, ils exigeaient la libération de l'ensemble des détenus d'opinion arrêtés de façon arbitraire à la faveur des troubles dans la tentative de trouver les boucs émissaires (voir l'intégralité de la déclaration en encadré). Au courant de cette même journée, plusieurs événements se sont succédé. Le plus tragique fut la mort de Sidi-Ali Benmechiche, tombé criblé de balles, c'était la première victime de la profession. Journaliste, chef du service reportages de la rédaction de l'APS, il avait trente ans. Benmechiche, de l'avis de ses collègues, voulait s'assumer en tant que journaliste, même s'il savait que son article n'allait pas être diffusé par l'APS. Autre événement ayant marqué ce 10 octobre, à 20 h, Chadli Bendjedid, dans le discours le plus court de sa carrière, annonça que d'importantes réformes politiques allaient être mises en 'uvre. Les journalistes étaient, dès lors, au centre d'un tourbillon dans lequel ils ont laissé beaucoup de plumes. La preuve : au lendemain de l'intervention du Président, des membres des services de sécurité ont procédé à l'arrestation de Dahbia Yacef, journaliste à l'APS, membre dynamique du MJS, sous prétexte de détention et de distribution de tracts portant atteinte à la sûreté de l'Etat. Elle fut relaxée après que le mouvement naissant des journalistes algériens eut décidé de rester en assemblée générale permanente jusqu'à sa libération. Incontestablement, la réaction des journalistes et le rôle joué par l'AFP ont été, avec celles faites par d'autres catégories professionnelles et politiques, d'un apport certain dans le réveil de la société civile dans son ensemble. Octobre a été, d'après les gens de la presse, un nouveau départ pour le mouvement des journalistes. Pour maintenir la pression et s'affirmer sur le terrain, le 27 octobre 1988, 500 journalistes ainsi qu'un grand nombre d'artistes, d'écrivains et autres intellectuels ont assister, à la salle El Mougar, à une rencontre organisée par la LADH et le MJA pour élaborer un rapport sur les carences et les dérives de l'information. La rencontre a été un succès qui a été pour une fois largement médiatisé par la presse... Il y a lieu de rappeler que le mouvement des journalistes était structuré et organisé, il a drainé la foule et contribué à l'éveil de la population. Il a dans ce sens faussé les cartes au gouvernement et à sa tête Kasdi Merbah. Pour l'histoire, faut-il le rappeler, les journalistes avaient décidé de s'organiser d'ores et déjà en 1987. A cet effet, des journalistes d'Algérie Actualité, de Révolution Africaine, d'El Moudjahid, d'Ech Chaâb, de l'agence de presse APS et de la Radio avaient décidé en octobre 1987 de se rencontrer afin de réfléchir ensemble aux questions socioprofessionnelle urgentes. L'initiative prise et le petit groupe grandit. De rencontres restreintes en regroupements de plus en plus larges, le cadre de coordination évolue au fil des mois et se transforme en mouvement de masse fonctionnant de manière démocratique, sans chefs, sur la base de l'assemblée générale souveraine. Le 9 mai 1988, une plateforme de revendications fut adoptée par des centaines de journalistes qui se reconnaissaient désormais dans le Mouvement des journalistes algériens (MJA), un mouvement qui a joué plus tard un rôle prépondérant.
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