Algérie - Revue de Presse

Le foulard de l'incertitude


La Cour suprême turque a décidé que la loi votée par le Parlement d'Ankara autorisant le port du foulard islamique dans l'enceinte des universités turques était anticonstitutionnelle et portait atteinte à la laïcité de l'Etat. De ce fait, l'interdiction de ce vêtement est maintenue. Cette décision de la plus haute autorité juridique de l'Etat a suscité à la fois un fort mécontentement et une sourde inquiétude dans l'opinion publique. Le mécontentement exprimé est non seulement le fait du parti islamiste modéré l'AKP, majoritaire au Parlement, mais également de larges secteurs de la société qui ne comprennent pas l'intrusion de la Cour suprême dans ce débat qui agite la presse et les politiques depuis la promulgation de l'interdiction. L'inquiétude est également générale car la décision semble n'être qu'une étape d'un processus visant à interdire purement et simplement l'AKP, le Parti de la justice et du développement. L'AKP, cela n'est pas contesté, est la formation la plus représentative de la société turque actuelle. Et cela va au-delà des milieux qui se réclament d'un islamisme différent de celui que l'on peut se représenter dans le monde arabe. L'AKP n'a en effet pas grand-chose à voir avec les formations islamistes classiques, à l'instar par exemple des Frères musulmans égyptiens. Il est davantage comparable aux partis démocrates-chrétiens européens dans leur configuration des années cinquante. Il demeure cependant que les élites turques, dite de «l'Etat profond», très marquées par le kémalisme, à la fois antimusulman et anti-arabe, n'ont jamais accepté l'émergence d'un parti d'inspiration religieuse. L'armée turque n'a pas cessé d'envoyer des signaux menaçants en direction du gouvernement, au point de se voir rappelée à l'ordre par la Commission européenne. Le gouvernement de Recep Tayip Erdogan a su jusqu'à présent gérer de manière particulièrement habile ses relations avec la très occidentale et très puissante armée turque. La stabilité politique et surtout les excellentes performances économiques enregistrées depuis son accession au pouvoir ont conféré au Premier ministre une légitimité particulièrement affirmée. Au plan extérieur, le rôle croissant de la Turquie est illustré par sa médiation entre la Syrie et Israël ainsi que par la redynamisation des relations du pays avec l'Iran, l'Asie centrale et les pays arabes. Le redéploiement turc bute néanmoins sur la question très sensible de l'entrée dans l'Union européenne. L'opposition déterminée de certains pays européens, qui craignent que l'adhésion d'un pays peuplé de 70 millions de musulmans n'altère «l'homogénéité culturelle» de l'Europe, est très mal vécue par les Turcs de toutes les sensibilités. Ce blocage, justifié par des raisons qui tiennent aux différences culturelles, a pour effet naturel de renforcer le sentiment d'ostracisme dont les Turcs se sentent victimes, ce qui nourrit naturellement les replis identitaires. Et ce n'est pas l'Union pour la Méditerranée, vécue comme un lot de consolation, qui peut permettre de dépasser le rejet européen. L'interdiction de l'AKP serait à cet égard un très mauvais point pour la Turquie qui renouerait avec l'image d'un pays peu démocratique dont elle a longuement pâti. Au-delà, si le processus enclenché devait effectivement se poursuivre jusqu'au bannissement de la vie politique des dirigeants de l'AKP, la Turquie pourrait rentrer à nouveau dans une diagonale périlleuse.


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