Algérie

Le FNIL et le FLN Point Net


Durant toute une partie de la nuit du jeudi, Zouheir était intrigué par les coups de klaxon qui ont traversé son ciel très froid, un peu pluvieux et pas très serein. Jeudi, sa journée était plutôt calme. Elle avait commencé par un bonheur arrivé tout seul. Il pensait travailler, voilà qu'il s'est rappelé que c'était jour de vote.
On avait pourtant bien précisé que ce n'était pas une journée «chômée et payée» mais une journée «avec autorisation d'absence» ; Zouheir sait depuis longtemps ce qu'est un pléonasme. Il a donc traîné au lit même si le sommeil l'avait abandonné à l'heure du réveil habituel. C'est tout aussi agréable, faire la grasse matinée ou rester sous la couette en allumant la télé étant un autre pléonasme.
Quand au hasard de son zapping matinal, il est tombé sur Canal Algérie qui diffusait les premières images de compatriotes modèles qui bravaient la pluie et le froid pour aller s'acquitter de leur devoir de citoyens, il avait retenu l'information : il faisait froid et il pleuvait.
Le commentateur avait sûrement oublié le vent pour réussir la totale du mauvais temps dissuasif, mais Zouheir n'en avait pas besoin, puisque ça soufflait déjà fort à sa fenêtre mal fermée. Alors, il s'est laissé regarder un moment ces compatriotes modèles et il s'est demandé s'ils seraient là où ils ont été captés par la caméra s'ils n'avaient pas l'autorisation d'absence, mais il a vite compris en les entendant parler au micro de Canal Algérie.
Ils ont tous soigneusement évité de dire pour qui ils allaient voter, la chose étant visiblement convenue avec le «tendeur» de micro. Ils ont tous une petite dose de révolte dans le geste et le propos, mais c'est tellement mesuré, savamment dosé que leur spontanéité déclarée fait sourire au coin de la lèvre. Ils sont tellement optimistes à la fin qu'on se demande s'ils ne se trompent pas de pays.
Ils chargent tellement les anciennes équipes qui ont géré leurs collectivités qu'on se demande comment le FLN va encore gagner les élections. Ils sont tellement détendus qu'on se demande s'il fait vraiment froid. Il pleut et personne n'est mouillé. Il pleut mais personne n'a un parapluie.
Il n'y a personne dans la rue mais il y a foule à l'intérieur des bureaux de vote. Zouheir a même vu des ministres qui votent, mais ceux-là, il savait que ce sont des compatriotes modèles, sinon, ils ne seraient pas ministres. Zouheir voulait zapper mais il venait de voir quelqu'un dont le «visage ne lui est pas étranger» comme on dit entre gens de la bonne société. Il rejette un peu la couette et soulève la tête pour ne rien rater de l'image et du son, mais il s'est rendu compte que ce n'était que le proviseur du lycée de sa fille, accessoirement chef du centre de vote.
«ça se passe très bien, toutes les conditions sont réunies et les citoyens ont commencé à affluer dès l'ouverture des bureaux», a-t-il dit. Zouheir s'est dit alors qu'il n'y a pas que le visage qui ne lui est pas étranger, les paroles aussi, il les avait entendues quelque part. Il a donc décidé de zapper au moment où sa femme l'appelait pour aller acheter du pain et ça tombait bien. Sur la route du pain, il en a profité pour voter.
A la sortie, il s'est rendu compte qu'il avait confondu la liste du FNIL et celle du FLN mais il n'en est pas mort. Par contre, il n'y avait plus de pain et ça, c'est un vrai un problème. Par chance, le gosse qui vendait du matloue' dans le quartier n'a pas été réquisitionné pour les élections.
Zouheir est donc rentré avec trois galettes et un doigt taché d'encre indélébile et il n'est pas sorti de chez lui jusqu'à ce qu'il entende les klaxons de voitures. Il s'est demandé qui peut bien avoir gagné avant la conférence de presse d'Ould Kablia et sort voir ça. Cette fois, il a bien regardé les banderoles, pour ne pas confondre le FNIL et le FLN.


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