Algérie

«Le don de soi et le bénévolat n'ont plus de sens»




«Le don de soi et le bénévolat n'ont plus de sens»
Nul n'est plus exclave que celui qui se croit libre sans l'êtreChaleureux, attentif, amical et sociable. Car avec Rachid, le lien d'établit d'entrée, sans protocole (eh oui !), sans slamalecs. Comme un boxeur pressé d'en découdre, il entre vite dans le vif du sujet, parle crûment, laisse la langue de bois aux vestiaires. Il parle de sa carrière en évoquant ses réussites, ses hésitations et parfois ses erreurs.Il professe le droit de s'être toujours battu loyalement pour la bonne cause. Comme Voltaire, il pourrait déclamer : «J'ai fait un peu bien, c'est mon meilleur ouvrage.» Avec ses sourcils broussailleux, son regard perçant, sa mâchoire volontaire, Rachid peut être le plus chaleureux, le plus ouvert et le plus accueillant des hommes.Tout comme il peut devenir un volcan en perpétuelle éruption lorsqu'il constate le mal qui le répugne, sans qu'il soit combattu. Alors là, il s'emporte et crache du feu. Aussi, son discours grave ou gouailleur marque irrésistiblement l'esprit. Rachid est né le 4 décembre 1936 à Dellys où la famille Khelouiati compte parmi les plus vieilles de la ville, à l'instar des Djebrouni, Kheloui, Bensaber, Harrat, Benkanoun, etc. Scolarité dans sa ville natale, entouré de l'affection des siens.Parcours normal qui débouche sur une promotion puisque Rachid est admis à l'enseignement franco-musulman. «On étudiait à la médersa Ettaâlibya, près du mausolée de Sidi Abderrahmane à La Casbah. Comme on était internes, on résidait dans des baraquements à Ben Aknoun. On était en 1952. En plus de la rigueur de l'enseignement bilingue et des conditions difficiles dues au long déplacement jusqu'à Ben Aknoun, on était à cheval sur les horaires. Ibnou Zekri, le proviseur, nous le rappelait souvent.Mais quel plaisir d'étudier avec les Cheikh Noureddine, El Mecheri, Bendali Amor et de côtoyer des gens de l'envergure de Lazib. Cela s'est poursuivi jusqu'en 1956 et la grève du 19 mai décidée par le FLN. Appelé sous les drapeaux, j'étais insoumis. On m'a arrêté et incorporé à la caserne Bizou de Blida où je suis resté 3 mois avant mon transfert à Colmar, en France, dans le régiment de l'aviation. Mais je n'y ai pas fait long feu puisque j'ai déserté avec l'aide d'un militant FLN de mon patelin, qui deviendra le patron de la Fédération de France du FLN : j'ai nommé Omar Boudaoud qui m'a fait parvenir jusqu'à la frontière marocaine.On était en 1957. C'est là où j'ai rejoint l'ALN où, à l'état-major, je m'occupais de l'artillerie. A l'indépendance, j'ai rejoint le ministère de la Défense avec mon ami, le regretté Abdelmadjid Allahoum à la direction de l'instruction où j'étais chargé de la formation des stagiaires. En juin 1965, nous avons été affectés à la direction du protocole de la présidence de la République jusqu'à la mort de Boumediene.»Un dandy à la présidenceRachid se rappelle bien de cette période où l'élégant jeune homme qui accompagnait le Président était surnommé par ses amis del'USMA «Django». Pourquoi ce sobriquet ' «Tout simplement parce que je ne me laissais pas faire. J'étais sévère mais juste. J'imposais à l'USMA, où j'étais dirigeant, le respect et la discipline. Avec Boumediene, chacun était conscient de ses responsabilités. Le moindre écart, la moindre incartade étaient lourdement payés.»Evoquant Boumediene qu'il a longtemps côtoyé, Rachid évoque sa simplicité, son austérité voire son ascétisme. «Il avait du tact et le contact facile contrairement aux apparences. Il était méticuleux et ne se laissait pas déborder par les événements qu'il savait anticiper. Il était respectueux des gens. Il lui arrivait de se lâcher. Jamais il ne badinait avec les intérêts suprêmes du pays qu'il considérait sacrés.» Boumediene avait aussi le sens de l'humour. «Un jour à Tunis, alors que j'étais hospitalisé, il avait fait une visite inopinée pour s'enquérir de l'état des patients. De loin, je l'ai vu apostropher son accompagnateur : ??Mais qui est ce Français ''' en me désignant du doigt. C'est en se rapprochant de moi qu'il a compris le silence de son vis-à-vis. En me reconnaissant, il a éclaté de rire en me souhaitant quand même bonne guérison.»Boumediene et El AnkaAprès la mort de celui qu'il a accompagné comme son ombre jusqu'en 1978, année funeste comme il l'a qualifiée puisqu'il a perdu un autre homme qu'il admirait, El Hadj El Anka, Rachid n'était plus dans son élément. Il y avait une autre atmosphère et une autre équipe à la tête du pays. «J'ai demandé à partir après avoir, je pense, bien rempli ma mission au protocole et à la commission nationale du pèlerinage dont j'étais président depuis 1976. J'ai donc dû prendre ma retraite en 1980 en restant à la maison et en m'investissant totalement dans le football, car ma fonction d'avant ne me le permettait pas.Kasdi Merbah m'avait suggréré de rester en me proposant des postes d'attaché militaire à l'étranger. Je l'en ai remercié en l'assurant qu'à Alger je me sentais comme un poisson dans l'eau et que ma vie se trouve ici et nulle part ailleurs. D'ailleurs, là où je vais dans les clubs, je me sens chez moi, dans mon élément, puis je ne suis qu'à moins d'une heure de mon terroir à Dellys, ville de mes ancêtres, de mon ressourcement. Et puis, il y a la mer, la grande bleue ; peut-on l'oublier '»Avec sa carrure digne d'un vieux loup de mer, lui qui a une passion immense pour la grande évasion autant que pour le ballon, Rachid balade sa bonne humeur. S'il ne pêche plus. Il s'accorde quelques brasses le matin «pour garder la forme». Il se plaît à regarder la mer et méditer devant cette immensité bleue qui fait face à sa demeure. Sinon, c'est sa passion dévorante, le football, qu'il continue à côtoyer à travers la télé. Son ami Amar Maâbout, ancien maire de Dellys, le décrit comme un gars exceptionnel.Le foot, Rachid l'a connu très jeune et a essayé de l'apprivoiser. «C'est Abdelkader Zerrar, un autre enfant de Dellys, membre fondateur de l'équipe ALN par la suite, qui me l'a fait aimer. C'est lui qui m'a fait signer ma première licence à l'USMA en 1950 bien que ma famille dans son ensemble penchait sentimentalement pour le Mouloudia, dont mon oncle El Kheloui défendait les couleurs. Mon père, Mohamed, dur et intransigeant, n'était pas d'accord, mais avec le temps il a dû se résigner. Moi, j'ai toujours été proche des Rouge et Noir.» Rachid sera vice-président de l'USMA en 1965 sous la direction de Yacef Saâdi, puis président quelques années plus tard.«C'était la belle époque. Des relations exemplaires entre dirigeants et joueurs dont la plupart étaient étudiants. Tout le monde adhérait à la politique du club sans rechigner. Aujourd'hui, cet état d'esprit n'existe plus. Les relations humaines et le bénévolat sont relégués pour laisser place au dieu argent qui rythme toute la vie.» Ce décalage attriste profondément Rachid qui regrette amèrement cette décadence. «Le club était vraiment une école et une famille et n'hésitait pas à aller au secours des situations désespérées quand elles se manifestaient. Tenez, par exemple, Keddou, joueur exemplaire à tous points de vue, habitait avec sa famille nombreuse dans un réduit.Le club s'est désisté de son cercle de Bab El Oued pour l'offrir à sa famille. Ce geste, je doute qu'on puisse le faire par les temps qui courent.» Le docteur Lalla Rachid, ancien latéral de l'USMA, se souvient du début des années soixante-dix lorsque les Rouge et Noir gratifiaient les foules de leurs prestations de «football académique». Khelouiati présidait alors le club. «Il imposait par son charme et son look.C'était un gentleman, un passionné de l'équipe, toujours à l'écoute des joueurs. Il était, il faut le dire, aussi important par son métier à la Présidence. Bref, c'était un dirigrant comme on n'en fait plus hélas !» résume le chirurgien dentiste qui a toujours un ?il sur son ancienne équipe. De même que l'incontournable Hamid Benkanoun qui ne tarit pas d'éloges sur «un dirigrant intègre, ancien joueur qui connaît donc tous les rouages du club dont il est familier. Il n'est pas venu de nulle part. C'est un enfant du club. C'est pourquoi la symbiose s'est faite tout de suite.» Aujourd'hui, Khelouiati retient à peine sa colère. «Tout a changé, les relations sont devenues intéressées.On intègre les assocations pour améliorer son statut social. On est devant le fait accompli», résume-il fataliste avant d'ajouter : «On a dénaturé le secteur du sport où n'importe qui peut faire n'importe quoi. Avant, il fallait toute une enquête d'habilitation et un regard strict sur le casier judiciaire des prétendants. Aujourd'hui, c'est la cooptation à tout-va pour le tout-venant.» Le monde du sport n'est pas et ne peut être le monde des affaires. «On a voulu professionnaliser le sport, c'est une excellente chose. Mais on a mis la charrue avant les b?ufs.»En 1995, Rachid est arrivé à la Ligue débordant d'énergie et d'idées. Sur bien des sujets, il avait parfaitement raison. De cette période, il garde des souvenirs. C'est durant cette année que l'USM Alger avait retrouvé son statut de club «civil». Mme Aslaoui, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, avait chargé M. Khelouiati et Omar Hamadi de négocier le désengagement avec Sonelgaz avec laquelle une convention de parrainage avait été signée.A l'époque, c'est Mouldi Aïssaoui qui présidait aux destinées des Rouge et Noir. «On a essayé de faire le maximum avec le minimum de moyens. Et la Coupe de la Ligue qui est notre fierté a été, quoi qu'on dise, une réussite. Notre gestion était irreprochable, mais on a subi une injustice incroyable. A la suite de l'élimination de notre équipe nationale par le Kenya, le ministre de l'époque, M. Aïssaoui, avait décidé de dissoudre la Fédération... et la Ligue nationales ! Quel est le tort de cette dernière qui ne gérait pas les compétitions internationales ' C'est la FIFA qui nous a rétablis et le secrétaire de cette instance, M. Zenfunen, est même venu à Alger pour assister à l'AG.»Mais les vents ne soufflent pas au gré des voiliers. Un autre incident vient perturber la Ligue. Le report d'un match à Bologhine opposant l'USMA à la JSK à l'insu de la Ligue, première concernée. «On avait prétexté à l'époque le déroulement d'un cross aux alentours du stade. En fait, les autorités ne voulaient pas que le match ait lieu au stade Bologhine. L'arrivée d'une nouvelle équipe à la FAF ne m'intéressait pas du tout ainsi que le marchandage. Tout cela a accéléré ma décision de partir. Les arrivants ont changé les statuts de la Ligue qui n'arrangeaient pas leurs affaires avec la complicité innocente de M. Mecherara.»Déçu par l'ingratitudeDans sa lettre de démission envoyée à la FAF en date du 20 mai 1998, M. Rachid n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : «Les remises en cause de la programmation de fin de championnat arrêtée par l'ensemble des parties concernées ainsi que la remise en cause des décisions d'appel de la Ligue nationale de football ne permettent plus à cette dernière de constituer sa structure en mesure de veiller aux déroulements réguliers des rencontres. En conséquence, j'ai l'honneur de vous présenter ma démission.» Depuis, Rachid s'expose aux basses man?uvres. Il bout d'indignation lorsqu'il constate que des esprits mesquins profitant de leur posture s'ingénient lâchement à effacer son nom chaque fois qu'un hommage lui est proposé par des hommes reconnaissants.Il regrette le temps où des hommes comme Kezzal, son ami, s'employaient avec intégrité et honnêteté à redorer le blason du football algérien. «C'était un frère pour moi. Par sa compétence, sa sagesse et surtout son honnêteté, il aura marqué son passage à la Fédération.» L'équipe nationale n'indiffère pas Rachid, «même si les résultats sont là ; le point noir demeure le choix des entraîneurs et l'inextricable question des joueurs locaux qui n'arrivent pas à se hisser au niveau attendu. Il faut savoir pourquoi», s'interroge Rachid qui déplore le peu de considération accordé aux anciens.«Je sais qu'il faut laisser la place à d'autres générations, mais la rupture a été brutale pour ne pas dire violente, et cela je ne l'admets pas.» L'Algérie de 2016 ' «Elle ne m'inspire pas grand-chose. On ne tient pas compte du passé. Il y a un cafouillage dans les idées. Avant, la priorité c'était le pays, maintenant il y a d'autres considérations. Quand le pays n'est pas au centre des préoccupations, cela devient grave...»



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