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Le club CARE lance le débat sur les processus engagés il y a 30 ans dans les pays de l'Est : «Il est primordial pour tout modèle de transition que les peuples s'engagent»


Le mot transition est sur toutes les lèvres mais ne trouve pas encore de traduction dans la réalité algérienne. L'Algérie se trouve aujourd'hui dans une phase où elle se doit de changer de système de gouvernance, mais il lui reste à savoir quelle voie prendre et pour quelle direction. Apprendre des expériences des autres s'avère fondamental dans ce contexte de recherche de solutions pour éviter le pire ou choisir le meilleur pour l'Algérie.C'est d'ailleurs ce qui a motivé le Cercle d'action et de réflexion sur l'entreprise (CARE) à organiser un débat autour des expériences de transition économique opérée dans trois pays de l'ex-bloc soviétique, respectivement la Pologne, la Hongrie et la République tchèque.
Trois pays, trois processus, et un destin commun tracé par la volonté politique de leurs dirigeants et la détermination de leurs peuples de basculer de manière pacifique de l'état de dictature et parti-Etat à celui de démocraties et économies prospères. L'histoire aura voulu que ces pays prennent le même virage politique que l'Algérie a connu, il y a trente ans de cela, en 1989.
Avec la chute du Mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, les Etats de l'Est de l'Europe se sont affranchis de l'ancien régime communiste et ont tourné leurs regards vers le côté ouest du vieux Continent. Au même moment, l'Algérie découvrait le multipartisme et rêvait aussi de démocratie.
Les années 90' ont fini par séparer les deux trajectoires ; les pays de l'Est européen continuent leur processus de transition et l'Algérie est stoppée dans son élan d'ouverture et entre dans un cycle de violence infernal.
Revenir sur ce que ces pays ont fait ? même si les contextes sont différents ? pendant que nous nous battions pour survivre, physiquement, politiquement et économiquement, est une ?uvre utile. «Il est primordial pour tout modèle de transition que les peuples s'engagent, adhèrent massivement et acceptent de passer par des périodes difficiles», s'accordent à dire les panélistes invités par le Club CARE au Sofitel pour exposer les expériences transitionnelles dans leurs pays.
Le processus de transition peut durer de longues années, disent-ils. «A ce jour, nous n'avons pas encore fait la réforme des retraites, même si sur le plan économique la transition a bien marché», souligne le Tchèque Tomas Sedlacek, professeur en économie. Ou encore l'auteur indépendant polonais, Bronislaw Wildstein, de noter que dans son pays «le processus de dé-communisation n'a pas touché tout le personnel politique ou les magistrats? Nous avons entamé en 2015 la dernière phase du processus de transition en cherchant non seulement à dépasser le passé communiste, mais aussi la période postcommuniste. Le processus continue.»
Ceci pour dire qu'une période de transition doit prendre le temps nécessaire afin d'asseoir les bases d'un réel changement. «Nous avons choisi en Tchéquie de prendre le temps nécessaire, notamment sur le plan économique afin de nous assurer de ne pas passer d'un monopole du tout-Etat sous l'ère communiste à celui de privatiser les biens de l'Etat pour les voir passer entre les mains de la nomenklatura.
Nous n'avons pas voulu aller aussi vite que la Hongrie et c'est pour cela que le processus de privatisations est passé par tranches en laissant les banques en dernier», explique Tomas Sedlacek. Le professeur en philosophie économique indique que la transition économique dans son pays s'est assise sur trois axes principaux : les forces du marché, la régulation par l'Etat, et le principe de l'éthique.
L'éthique, un préalable
«Dites-moi avec qui vous commercez, je vous dirai quelle économie vous avez. Il est important d'accompagner tout processus de développement par l'éthique parce que quand le marché et l'Etat régulateur font défaut ou ne suivent pas, il restera au moins la morale pour tout sauver», dit-il.
En Hongrie, la transition économique s'est faite à travers le recours massif aux IDE. «Dès le début de la transition, 40% de l'économie est passé aux mains du privé. Aujourd'hui, il détient 90% de l'économie hongroise, les 10% restants pour le public concernent le secteur de l'énergie et une partie de la construction automobile. Nous nous sommes aussi endettés auprès d'institutions financières internationales, le coût social a été important, mais nous avons quand même installé des mécanismes de contrôle pour s'assurer du bon déroulement du processus et minimiser l'impact négatif sur les couches défavorisées», explique pour sa part Arpad Kovac, éminent financier et économiste hongrois.
Le processus de transition a été appliqué sous deux types de thérapies, la thérapie de choc et la thérapie graduelle, et ce, sous l'?il bienveillant de l'Union européenne. La Pologne a choisi un modèle de transition graduelle. «Passer d'une économie dirigée au capitalisme d'un seul coup ce n'est pas évident?
Afin d'éviter de tomber sous le monopole d'une nouvelle oligarchie, nous avons basé notre transition sur de grands axes politiques dont le premier est l'objectif d'accession à l'UE qui nous a imposé certaines solutions. Mais il n'y a pas de solution idéale. C'est ce qui a provoqué un choc, mais cela nous a beaucoup aidés», indique le conférencier polonais.
Grâce au processus de transition, le PNB polonais est passé de 228 milliards de dollars en 1989 à 1193 milliards de dollars en 2019. «La solution pour casser tout monopole a été pour nous d'ouvrir le marché», note Tomas Sedlacek. Les pays de l'Est ont bénéficié de l'aide de l'Europe, notamment sur le plan de la transition économique. «Avec un processus de transition graduelle, il y a toujours un risque d'un retour en arrière. L'objectif d'intégrer l'UE a fait qu'il fallait passer par une transition de choc. Et ça a réussi parce que nous savions ce que nous voulions. Nous nous sommes fixés des objectifs difficiles et nous avons pu les atteindre.
En phase de transition, il ne faut surtout pas se suffire d'objectifs faciles, mais viser le plus difficile», précise le même orateur.
Et au conférencier hongrois d'ajouter que «l'obligation première pour amorcer une transition, qu'elle soit de choc ou graduelle, c'est le degré d'acceptabilité par le peuple de s'engager dans cette transition en assumant ses conséquences.
Nous avions opté au départ pour une transition de choc, puis en 1995 le peuple l'avait rejetée. Nous avons alors entamé un autre processus de transition par paliers. C'est pour cela qu'il est important d'avoir la mobilisation de tous autour du projet de transition qui aura certainement un coût social et économique», estime Arpad Kovac.
Un avis partagé par le conseiller économique de l'ambassade de Pologne en Algérie. «Il était important pour nous d'avoir un consensus politique au début de la transition. Nous étions tous d'accord pour en finir avec le régime communiste, Solidarnosc a gagné tous les mandats en reflétant l'avis général pour aller vers une autre situation. Les clivages politiques se sont exprimés bien après, mais il était important que nous parlions d'une seule voix au début de la transition», dit-il.
Devant ces récits de transitions saines et sereines, l'assistance était en attente de réponses sur la solution idoine que l'Algérie se doit d'adopter afin de réussir son processus transitionnel. Une seule réponse lui fut rendue : la solution est en vous, pourvu que tout le monde y adhère.


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