Tlemcen - Messali Hadj

Le centre de résistance et de renouveau de l’Algérie contemporaine


Le centre de résistance et de renouveau de l’Algérie contemporaine
Plus que son passé dynastique qui a préfiguré et annoncé l’État d’Alger à partir de 1515, plus que ce riche héritage du patrimoine arabo-musulman presque unique durant le longue nuit coloniale à travers le reste du territoire, Tlemcen occupe une place de choix dans deux domaines bien déterminés : la résistance multiforme à l'occupation coloniale, d'une part, et sa contribution sans relâche au renouveau et à la créativité.

Son passé, sa situation géographique et le dynamisme de sa population rendent compte d'un long chapitre encore peu analysé par les spécialistes de l'histoire con­temporaine, principalement à partir de I836, date de la première occupation étrangère de la ville. D'autant plus qu'à partir de cette date et jusqu'au milieu du siècle, cette dernière est comprise dans les territoires de l’Emir Abdelkader, théâtre d'une résistance acharnée et dont Tlemcen représente pour l'ennemi la principale place forte à conquérir coûte que coûte.

On comprend ainsi tous les enjeux pour les deux parties en présence et par voie de conséquence tous les sacrifices que doivent consentir les principaux intéressés, les habitants de le cité multiséculaire. En effet, la ville n'a pas été déclarée ville ouverte. Elle n'a pas été épargnée comme sa sœur jumelle, Nédroma. Si elle n'a pas été entièrement détruite comme les citadelles de l'Emir : Takdemt, Taza et Mascara, elle n'en a pas moins souffert en payant un lourd tribut dans tous les domaines. Qu'on en juge en se limitant aux principaux faits.

C'est ainsi qu'au cours du mois de janvier I836, à l'approche de l'arrivée des armées ennemies, la population est obligée de se réfugier en pleine hiver et en pleine période neige dans les montagnes voisines. Le cimetière localisé dans ces dernières, et encore bien localisé par les vieilles personnes, en témoigne toujours. Les victimes ont été nombreuses.

En revanche, la restitution de la ville conformément au Traité de la Tafna (I837) souligne bien le double succès remporté par l'édificateur de l'État algérien, sur les plans militaire et diplomatique. Cependant il ne s'agit que d'un répit, d'un répit très court ne permettant pas une consolidation et un renforcement suffisant des potentialités du jeune état en construction et directement affronté à la première puissance européenne d'alors.

Cinq ans après, plus renforcé et plus décidé que jamais, l'ennemi déferle sur l'ancienne capitale du Maghreb Central. Citadins, banlieusards et ruraux sont durement éprouvés. Aux pertes humaines et matérielle s'ajoutent les départs défi­nitifs de familles entières vers l'Ouest, vers les villes marocaines. Le bilan est très lourd et n'a jamais été cerné... Ces saignées démographiques rendent compte avec d'autres effets du déclin de la population jusqu'à l'orée du XXe siècle. Ce n'est qu'à partir de cette date que la ville retrouve son niveau de la veille de l’occupation. De plus, c'est au cours de ces saignées qu’il convient de déplorer les éléments les plus entreprenantes : les artisans, les lettrés, les jeunes.

Sur le plan urbain proprement dit, le bilan est aussi très élevé. 0utre les mentions précitées et relatives aux prestigieux monuments, l'armée d'occupation a disposé librement d'un important fonds mobilier représenté par les riches ré­sidences disséminées tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la cité... alors que cette dernière s'est transformée littéralement en grand camp retranché après la se­conde occupation, compte tenu des dangers qu'inspirait alors la poursuite tardive de la résistance de l'Emir Abdelkader. Ce n'est qu'au début de la deuxième moitié du XIXème siècle que l'étau commence à se desserrer et qu'une partie des confisca­tions est rendue aux ayants droits, mais dans un état de dégradation fort avancé et une partie de ces derniers demeurant toujours expatriée. Du reste, la ville offre elle-même l'aspect de désolation, les ruines couvrant de nombreux quartiers. De par­tout s'élèvent des casernes. Il en est ainsi en plein cœur de la vile comme le montre l'exemple des casernements Mazouz à l'emplacement de la Place lbrahimi avec l'annexe de la prison, non loin du théâtre municipal. Le quartier militaire Gourmala - la Maison de la Culture actuellement - a été construit aux dépens d'une dizaines de riches demeures privées. Très vite Ies établissements militaires parviennent à occuper de vastes étendues, principalement à la périphérie méridionale. A son tour le centre du commerce international –Kayssariya- est entièrement détruit. A sa place sera édifié le marché couvert au début du XXe siècle. En 1873 c'est la destruction de la Tachfiniya, tandis que le Vieux Palais disparaît à son tour.

A toutes ces destructions, on n'insistera jamais assez sur le sort réservé au symbole de la souveraineté de l'Algérie pré-moderne : le Méchouar. L'effacement de tous ses attributs a été total. C'est ainsi qu'à la suite de sa désaffection en 1986 rien ne rappelle plus la moindre trace de sa fonction du temps des Abdelwadites . Quelques ­rares vestiges du rempart se révèlent ici et là....Plus que jamais la restauration après exhumation des témoins du passé s'impose. Elle devient urgente avant toute réoccupation à d'autres fins que celles de l'identification nationale et la revalorisation du patrimoine national.

Enfin le bilan ne sera pas complet si l'on n’évoque pas aussi la dispari­tion totale d’un certain nombre de petits édifices de culte et d'enseignement. C'est ainsi que le réseau préexistant a été réduit à sa plus simple expression. Du reste, tout ce qui a été épargné n'a pu remplir convenablement sa fonction par suite notamment du classement des biens habous, d'une part, et de la pauvreté généralisée des habitants indépendamment de l'émigration des lettrés, d’autre part.

Cependant face à cette évolution, la cité a résisté dans le silence et la douleur, pleinement consciente de son devoir et obligations envers les générations du futur, proche et lointain. Dans l'immédiat, il fallait survivre en veillant jalousement au maintien des traditions culturelles et artisanales face au renforcement du régime de l'Indigénat à travers la dépossession, les tentatives d'assimilation. C'est donc une résistance silencieuse et multiforme mais qui ne tarde pas à se matérialiser sous d'autres formes concrètes avec l'aube du XXe siècle, traçant ainsi la voie à suivre pour reste du pays. En effet, c'est à partir de cette date qu’il convient de relever les premières manifestations de la re-naissance, une étape décisive dans l'élaboration et le consolidation du mouvement national dont la cité abdelwadite représente plus qu'un symbole. Une pépinière de cadres et de leaders !

Or avant même l'émergence du mouvement, il convient d'aborder les différentes phases et formes de la résistance culturelle et artistique. C'est ainsi que tout en s'accrochant à leurs traditions, en continuant à suivre tant bien que mal l'enseignement désuet des minuscules écoles coraniques libres et celui des zaouias, l'enseignement institué par la puissance coloniale n'est pas dédaigné même s'il n'est pratiqué que par d'infimes minorités durant le XlXe et le début du XXe siècle. Quant à l’enseignement secondaire dispensé dans l'une des trois médersas existantes alors depuis le Second Em­pire, il a été à l'origine d'une pépinière de cadres très recherchés par le culte et la justice musulmane ainsi que par Ie corps des interprètes activement recrutés aussi bien en Oranie qu'au Maroc à partir de la Première Guerre mondiale. Ce cycle d’enseignement est ainsi à l'origine de l'émergence de la future élite bilingue, une élite qui jouera comme dans le reste du territoire national un rôle déterminant au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale.

Quant au rôle des zaouïas, il doit être bien situé. En effet, ces derniers remparts de l'lslam contre les forces extérieures durant toute le période de décadence et de la désorganisation du pouvoir central à travers l'ensemble du Maghreb, ont été aussi le plus souvent les citadelles de la résistance contre la pénétration coloniale en Algérie et leurs cadres ont partout été la cible privilégiée de le puissance occupante. Si certaines ont été compromises postérieurement, dans le cas de Tlemcen, on observe un rôle discret, efficace et positif en ce qui concerne notamment les ordres dans lesquels ont milité des cadres du mouvement national d'une part, et ceux qui ont émigré au cours de la Hidjra tlemcénienne de 1911, d’autre part.

C'est ainsi que dans le premier cas, nombreux sont les militants des premières formations politiques comme le montre notamment l’exemple du leader du P P A (Parti Populaire Algérien), Messali Hadj. Dans le second cas, il convient de souligner l'action entreprise dans les années 1910 par Hadj Mohammed ben Yelles au sein de sa zaouia. Certes en dépit du recul du temps, il n'est pas aisé de cerner ce rôle déterminant. Cependant comp­te tenu du passé de cette personnalité qui lui a même coûté une incarcération dans les geôles coloniales et qui a été par la suite contrainte de s'exiler en Syrie définitive­ment jusqu'à sa mort survenue en I927, force est d'admirer son abnégation, sa ténacité et se persévérance dans la poursuite de sa double tâche : la défense de l’héritage culturel et Ie refus de toute collaboration avec l'administration.

En fait, l'émigration de 1919 constitue une étape déterminante, en surprenant l'administration préfectorale et en mettant en évidence le refus et la détermination de la population à la suite de l'institution de la conscription officielle à partir de 1911, soit donc à la veille du coup de Force de Fès (protectorat de l'Empire Chérifien). En conséquence, Tlemcen reste très attentive à l'évolution générale et particulière de toute le région, car la capitale toute proche n’est-elle pas aussi et surtout la résidence des exilés tlemcéniens de 1836 et postérieurement ?

Quoi qu'il en soit dès cette date et après, on constate une évolution de plus en plus sensible de la transformation des esprits et, par voie de conséquence, la prise de conscience des transformations à entreprendre pour hâter l’inexorable, la libération et l'affranchissement du système aliénant. C’est dans pareil contexte que le génie du père du théâtre algérien, Mahiedine Bachtarzi, trouve un écho très favorable à Tlemcen. Son appel est alors direct en s'exclamant au cours d’un concert, le deuxième organisé en 1919 :

« 0 Algériens, mes frères,

Il faut vous réveiller.

Voyez autour de vous,

Ce que font vos voisins,

Imiter ce qu'ils font

En bien, et non en mal.

Ce n'est que par l'action

Que vous serez dignes

De vos aïeux, qui ont

Donné Averroès,

Ibnou Sina et d'autres".

Quant à la période de l'entre Deux-guerres, elle est décisive. Sur le plan local, elle est marquée par des faits d'importance, notamment l'activité des associations d'or­dre culturel, artistique et surtout l'implantation de l'Association des Oulémas d'Algérie. Limitons-nous en ce qui concerne les premières à l'exemple des "Amis du Livre", créée en 1927 par un groupe d’intellectuels désintéressés au profit d'une jeunesse assoiffée de savoir comme le souligne bien l'un de ses responsables : "Entreprenants, inlassables, courageux, ils (adhérents) se mirent à l’œuvre avec une foi et un appétit ardents. C'est grâce à leur intelligente activité que notre bibliothèque compte aujourd'hui plus de quatre mille volumes dont plusieurs dans la langue de Ghazali et Ibn Khaldoun".

Ajoutons aussi à l'actif de l'association, diverses manifestations dont notamment l'organisation d'une section de formation en sténo-dactylographie. Quant à l’Association des Oulémas d'Algérie, elle trouve un terrain de prédilection pour le réalisation de son programme. C’est ainsi que son président, Cheikh Bachir Ibrahimi apprécie toutes les facilités et il est puissamment encouragé par toutes les bonnes volontés spontanées et suscitées par son éloquence. Témoin est l’édification de Dar el Hadith en 1937, soit dans une conjoncture économique locale très difficile, et survenue une année après la tenue du IIe Congrès des Sociétés Savantes de L’Afrique du Nord à Tlemcen-même, une manifestation de haut niveau destinée à se pencher exclusivement sur le passé du Maghreb, et non son présent...

Or c’est peu avant cette manifestation scientifique que l’acquisition du terrain d'assiette de Dar el Hadith est intervenue comme l'atteste bien l'acte notarié le concernant. Un acte d'une portée exceptionnelle, traduisant bien les sacrifices de tout un peuple pour répondre aux exigences de l'heure, de l'Histoire et de l'Avenir. En effet, il fallait rassembler les fonds en un laps de temps record. L'acte en question mentionne les 171 acquéreurs, c'est-à-dire pratiquement l'ensemble des personnalités de la cité. Ce sont 171 noms patronymiques exprimant bien les différentes couches socioprofessionnelles, tendances et opinions... Toutes les familles des plus humbles aux plus aisées d'alors sont indiquées. Les détails suivants se passent de commentaires et traduisent bien la ferveur et le foi animant toute la population. En effet, des 125 000 F à verser, seuls 2 000 F, soit 1,5% l'ont été effectivement au moment de la conclusion de l'acte... De plus, entre la date de la transcription de l'acte et ... l'inauguration de l’édifice, de l’édifice côtoyant directement le collège de la ville, il n'y a que 20 mois seulement. Une telle période a suffi donc à non seulement honorer l’acquisition du terrain mais aussi à ressembler d'autres fonds pour bien concrétiser la volonté des donateurs bénévoles.

Telle est bien la signification profonde de cette brève histoire de Dar el Hadith, un nouveau jalon dans l’affirmation de l’identité nationale. Un nouveau foyer de culture et de savoir au service des générations montantes.

A l’heure où une autre voix puissante s’élève pour exposer au monde entier les problèmes cruciaux que traverse la ville. Le pays tout entier. C’est la voix du romancier Mohamed Dib, l'un des porte-paroles de la littérature algérienne de cette époque déterminante. L'auteur de la Grande Maison, l'Incendie et le Métier à tisser, peint la vie populaire et les différents aspects du drame, principalement au cours de la Seconde Guerre Mondiale en ce qui concerne la première publication. La secon­de en explicite des scènes non moins émouvantes à partir de faits authentiques : une grève d'ouvriers agricoles durant l'hiver 1939-40. Quant à la troisième, elle dévelop­pe la prise de conscience politique dans le milieu artisanal d'une ville traditionnelle. Comme l'écrit si bien J.Sénac, il s'agit d'une vision globale, "d'une sorte de livre qui précède des révolutions".

C’est dans une telle atmosphère que tous les leaders politiques ont puisé leur force et leur espérance. Leurs meetings dans la ville ont galvanisé les énergies. Aussi le déclenchement de la guerre de Libération Nationale est-il attendu avec impatience. Le martyrologe de la ville sera aussi l'un des plus riches.



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