Algérie

Le caprice des chefs


Un chef est une capacité qui exerce une force et un commandement sur une ou plusieurs personnes, une ou plusieurs choses, en un seul et unique espace. Il devrait le faire par conviction, avec doigté et le plus souvent par caprice, lubie ou vulgaire fantaisie.

La crise financière mondiale est à inscrire à la décharge de chefs cambiaires capricieux. Le simple contentement de soi par rapport à la multitude ne constitue pas une position éhontée chez certains souverains. La cuirasse qui enveloppe leur visage n'aboutit en fin de compte qu'à confirmer des choix, les leurs, décidés en toute matière. Des nominations d'individus à des poste-clés, d'offre de service, tout en passant avec la même cuirasse par le choix des terrains, l'option économique, les prêts, les personnes éligibles, les députables, jusqu'à la sélection, la suggestion ou l'imposition du personnage devant vaquer aux charges de la République.

Si le péché ou l'injustice commis par force demeure toujours pardonnable, le malheur qui s'abat par l'intempestivité des décisions prises à l'honneur ou au tempérament conjoncturel sur de pauvres petites têtes se confinera à tout jamais dans la malhonnêteté et la concussion des moeurs et des consciences.

C'est ainsi que naissent aux complexes carrefours de la vie, des sentiments qui, rattachés profondément aux substrats subjectifs, font à leur tour naître chez les hommes puis chez ceux, parmi eux, investis de prérogatives de puissance publique, des caprices et des passions. Le mal est exercé justement à travers ces schémas capricieux que l'on nous donne pour des programmes politiques. Chacun y va de l'ampleur de sa frustration ou du dimensionnement de son indécence. Il importe peu que la compétence soit relayée au second plan, laissant tout l'honneur à la vassalité et l'allégeance rampante.

Le concept de la concorde civile comme faux prélude à la cohésion nationale n'est-il pas uniquement cette vision d'un esprit qui se sentait désigné par la providence populaire à l'imaginer, la mettre en probation, la soumettre à referendum pour qu'ensuite, s'aviser - absence de clarté oblige - qu'il ne s'agissait là que d'une simple idée fortifiée par le discours et mal confortée par les institutions et les individus. A s'interpeller si pour Abassi la concorde étant une cause ou une grâce postérieure à sa peine. Car sinon, comment interprète-t-on le style qu'il découvre outre-mer dans l'instrumentalisation de sa liberté pourtant judiciairement assortie de peines complémentaires ?

Le FIS est certes officiellement dissous. Abassi ou son charisme, Benhadj et son mythe ne sont toujours pas dissipés. L'un se vautre dans le faste de Kuala Lumpur, l'autre frôle les murs de la Casbah d'Alger. L'homme, chef à jamais, est inlassablement disposé à oeuvrer pour un retour vers les rives déferlantes de 1991. La frustration, à l'instar de l'ego du genre humain, est son pire ennemi, lui qu'un infime cheveu patriotique séparait du fauteuil présidentiel, apte alors à se convertir aux cris stridents du miracle en un minbar d'auguste émir el-mouminin en attente de sa prophétisation. Et c'est grâce à l'ardeur capricieuse des autres de vouloir chambouler de fond en comble la logique du système qu'il lui fut permis, à sa façon, la même que celle de 1991, de toucher aux parois extasiantes de son caprice étouffé en pleine éclosion et demeuré depuis comme une soudaine castration, sous la sensation amère au goût de l'oeuvre inachevée.

L'Algérie n'aurait de défauts que dans l'absence d'une élite. La masse d'intellectuels pourtant présente en masse ne peut comme ça derechef constituer une élite. L'intellectuel rationnellement indéfini reste ce lettré, cet instruit, ce chercheur éternellement en condition précaire d'étudiant. Son professeur de même. L'initiative politique de prendre en main la destinée du peuple, comme l'ont fait les Géorgiens, n'est pas une mauvaise idée. Au lieu et place de se faire mal par des plates-formes de revendications rarement satisfaites, prenons le Parlement ! N'est-il pas déjà pris... autrement ?

Comment ne pas s'étonner sur ce qui greffe le désir de nos différents chefs. Ils n'ont de mire que la cure d'obtenir en contrepartie d'efforts à la limite peu convaincants et menaçants, que ce que distille au goutte-à-goutte la frénésie capricieuse de leurs profondes inspirations. Leur idée est la bonne. Leur manière la meilleure.

La grève qu'entamaient les enseignants du secondaire, outre qu'elle constituait un défi face à l'examen irrésistible de la démocratie, n'aurait pas à aboutir vers l'éjection de l'indécence ou le brandissement de « seif el-hadjadj » à l'encontre de ces miséreux d'un secteur aussi misérable que tous les autres. Révoquer 50.000 fonctionnaires relève de l'utopie. Envisager et pouvoir les remplacer, de la paranoïa. L'ultimatum n'était qu'un autre prolongement mal assuré par un éternel ministre qui ne sait que savamment porter de belles cravates et de courts cols ouverts de chemises new-look. En l'assenant ainsi et voulant apparaître décisif, il ne confirme en fait qu'une lecture télévisuelle d'un ordre dont la conception était accomplie sur des canevas de longue stratégie électorale. Il finira ce ministre par devenir un ex-ministre, dont la postérité ne pourrait retenir que sa longévité, loin de tout palmarès d'actions, de réformes ou de nouvelles pédagogies scolaires. C'est par principe que son imminent limogeage ira se substituer aux revendications autres que salariales scandées par les grévistes.

Le président ne semble pas évaluer à leur juste valeur les retombées d'une telle mesure. La révocation. Disposition fortement contraignante et impopulaire, elle n'ira, dès son éventuelle mise à exécution, qu'exacerber les autres dissensions enterrées dans le sous-sol des classes du moyen et des écoles primaires. La contagion est à l'affût de potentiel stimulant l'appétit. Le combat sera général. La disposition impossible et irréalisable en ce cas. Elle ne peut cette mesure, d'ailleurs hors-la-loi, car devant transiter par toute une voie de procédure disciplinaire, être une réponse à chaque grève.

Si l'on peut aisément troquer un personnel enseignant par un autre moins enclin à cela, il faudrait réfléchir de la même manière à d'autres « trocs » similaires en pleine situation de grève. Par qui faudrait-il remplacer le personnel douanier ? Des sapeurs-pompiers ? D'Air Algérie ? Des médecins spécialistes ? etc. Et les ârouch, aurait-on besoin de les faire remplacer ? Par qui ? Par d'autres ârouch ? La grève étant finie, le spectre de sa relance est intact et entier.

Cet imbroglio est par coup indirect créé et subi en toute connaissance d'effets par le ministre, sachant qu'il n'y survivrait pas cette fois-ci. Il est le seul à compatir. Ils seront plusieurs à se réjouir. Le dialogue finit toujours par apporter, tel un va-et-vient aquatique, de l'eau au moulin. La révocation n'est pas une expression du dialogue. Elle est une obstruction à sa prise. Le limogeage du ministre en serait une aubaine à sa reprise. Voilà tout aussi que l'école devienne l'objet de petits calculs politiciens et est retenue en otage aux délires vindicatifs des uns et aux caprices pernicieux des autres.

Entre l'obligation de servir une clause au nom de l'Etat, sa représentativité notamment et celle de pratiquer son culte personnel, il y a des walis qui, en ce mois de carême, auraient dérangé le Bon Dieu dans sa générosité d'attribuer de bons points aux fidèles qui font les prières surérogatoires. A la faveur de qui iront ces « hassanates » au wali qui, venu en mission commandée avec fanfares, motards et acolytes, prétend ainsi servir la popularité de l'Etat ou à l'âme que contient le corps de la personne du wali, qui comme tout le monde a un nom, un prénom et une filiation ? Malgré ces caprices maladroits, il aurait le mérite, car c'en est un, de faire aussi le prêche du vendredi.

C'est dire que les chefs, en perte de repères, hormis ceux fixés par la loi et encore, ne peuvent se prévaloir de titres d'émirs des hautes plaines, de seigneurs des Aurès ou de sultans de l'Ouest. Ils le feront tout juste pour l'occupation précaire et dérisoire que justifie leur autorité. Au lieu et place de la concertation, on y installe l'imposition et l'inquisition. Pour eux, vaincre et non convaincre devient un adage rentable. Battre et non combattre est une liesse sans fin qui, croient-ils, corrobore leur bras de fer avec les autres. La divergence d'opinion leur est une farouche épreuve. Un avis contraire au leur est une insubordination caractérisée. Une suggestion simple est un empiétement de leurs prérogatives et une entorse face à leur hiérarchie. Faire peur et troubler la quiétude leur procurent l'extase de la victoire et le nectar du triomphe. Comme ils privilégient les faits de démettre à défaut de les soumettre au lieu de les admettre, tous les esprits critiques et acerbes mais cartésiens dans l'analyse ou l'introspection de bévues, de balourdises et de forfanteries.

Un caprice n'a de teneur que cet acharnement à vouloir à tous les coups avoir raison. Son extinction, somme toute incomplète, se meut dans un entêtement entier et crânien. Par écrit, oraison, mime ou complotite, l'on nous astreint, non sans violence, au vu de l'erreur sémantique, de l'écart de langage et de l'éloignement de nos soucis journaliers, à se soumettre, à comprendre, à méditer et puis à aller travailler et voter. La résignation restera heureusement l'unique solution envers l'inconduite perverse de leurs bigarrés caprices.

Nous ne sommes en finalité qu'un objet de consommation itérative lorsqu'on cesse de devenir un souffre-douleur ou un déversoir à leurs pires insanités. La télévision peut constituer l'idéal canal pour ce faire. S'il fallait opter pour un choix, afin de se rendre en conformité avec ce que pondent leurs lois, le choix n'est plus offert. Converti tacitement en un acquiescement général et collectif, il devient une posture de lâcheté et de ratatouille. Nous avons accepté tout ce qu'ils nous proposent. Ce qu'ils nous radotent. Nous avons pris depuis longtemps leurs délires fantasmagoriques en de véritables choix économiques, de solutions efficaces de sortie de crise et de marasme. Notre SOS ressemble sans urgence à un fond de contrat d'adhésion. Notre silence est perçu comme un accord d'aller davantage vers l'enfouissement des minimes réflexes qui continuent périodiquement à animer notre instinct docile de fausse rébellion. La révolution ou l'insurrection, à leur sens, ne doivent plus être une forme de résistance. Elles seront tout de suite assimilées à un soulèvement ou à une sédition nationale. Qualifiées sciemment hors la loi, ces actes connaîtront les affres des poursuites judiciaires, le froid des geôles après que la terreur et l'intimidation eurent fait leur usure sur la peau de tout révolté, factieux ou émeutier. Là aussi, l'on devra comprendre qu'une révolte se passe avant sa phase physique, d'abord au niveau du refus catégorique à l'égard de ce qui est établi. De ce qui provoque en nous un sentiment de dégoût et de dérision.

L'Algérie, pays de « mystères », va-t-elle encore, pour des décennies longues et gelées, continuer, au lieu d'être servie, à servir les médians, les médiocres, les ingrats, les filous, les sceptiques, les revanchards, les vomis de l'histoire, les malhabiles, les inaptes et les néo-dealers politiques ? Un caprice est enfin par définition une déviation tant du goût que de toute autre source sensorielle. Il n'est qu'une maladie pistée au sein d'un régime. Un virus de système.






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