Faut-il écrire sur le sommet arabe à Damas ? Peut-être oui.Car le sommet lui-même est inévitable.Comme scène, comme conciergerie, comme désillusion cycliqueet comme répétition heurtée de l'histoire. Que faut-il en dire ? Y retrouver lespectacle habituel de « notre » identité, impuissance et discorde ? Y prendreprétexte pour ce genre de poésie de « pleurons sur les ruines » ? Analyser desimpasses et souligner au feutre gras l'urgence d'une union ? Y parler de nostribus à drapeaux, divisées par l'Empire ou unies par la délinquance politique ?Non. Ce qui n'a pas été compris depuis des décennies, c'est peut-être justementl'essentiel : chaque sommet est une invitation rituelle et psychanalytique pourenterrer cette idée d'arabité qui nous est venue d'on ne sait où, peut-êtred'une grave nostalgie collective et que nous nous sommes imposée comme devoir, commecostume, but et explication et réponse au reste de l'humanité. Chaque sommetnous appelle en direct presque à venir faire un deuil que nous refusons, àpasser l'éponge et à nous refaire chacun une vie, un pays à soi, avec un avenirindividualisé, mûr et distinct de la rime collectiviste. L'arabité n'a jamaisété, justement, autre chose que ce panarabisme compulsif. Des siècles durant, lesArabes se sont peu souciés de leur arabité en dépliant le monde et il a falluque cela nous tombe, nous, sur la tête, juste aprèsles colonisations et la pauvreté. Des siècles durant, les tribus arabes ontcherché à conquérir le monde et à tracer des frontières sans suspendre leursgestes par des doutes et des interrogations sur leur identité. Cela ne les apas gênés pour se fondre et se confondre avec les autres géographies et lesautres peuples. Et il a fallu qu'au moment le moins opportun, il nous incombe ànous de vivre cette maladie de la pureté des origines : restaurer l'arabité, l'unionarabe et les causes communes que cela doit supposer.Chaque Arabe l'était pour soi, dans le cadre d'une religionqui l'a servi mieux que sa propre identité. Et pourtant, au bout de l'élan, ilsemble nous incomber à nous de remonter vers ces fameuses origines et derestaurer une union fantasmatique dont même Mohamed n'a pas fait projet. Où a-t-ilété dit, dans quel livre « descendu », que le fait de partager la même langueet la même religion, suppose que l'on vive comme des siamois, que l'on s'imposedes buts communs et que l'on s'insulte de ne pas lesavoir atteints ? Depuis quand l'arabité est-elle un devoir, le sixième pilierde cette religion et une obligation héréditaire, un honneur ou un déshonneur oumême un code de comportement individuel ou national ? Le raccourci est pourtantlà : parce qu'on parle arabe et qu'on prie Dieu en nous tournant vers La Mecque, on est arabe etdonc obligé de soutenir la Palestine dans le cadre de l'identité et pas dans celui del'humanité, on est obligé de nous fourvoyer dans des fraternités abusives etqu'on se sente obligé de nous réclamer de cette racine imaginaire parce quenous n'avons pas réussi à en déterrer d'autres. Chaque sommet est pourtant làcomme une occasion unique d'enterrer ce fantasme si contraignant et de nousdéclarer indépendants les uns des autres, chaque pays tourné vers ses propresintérêts et son propre avenir, débarrassé de cette obligation mondainegéographique et engagé dans le monde avec une morale sienne et une politiquequi ne doit rien à la poésie. Ce n'est qu'ainsi que nous finirons par avoir unpeu plus de poids, de sens, d'efficacité et moins de ridicule. Et surtout nousnous débarrasserons de ce sentiment malsain et coupable qui nous fait croiredepuis presque deux siècles que ne pas être arabe, c'est être un peu bâtard, unpeu traître, un peu moins musulman, un peu pro-sionisteet un peu perdu. Il suffit à chacun de vivre la nationalité de sa propre terre,de trouver sa langue, de la parfaire et de vivre sa foi sans la lier ni à unchameau, ni à une dune, ni à une généalogie. Un jour, et avec le temps, levoisinage des pays et des terres offrira peut-être à voir une fraternité moinsaffligeante que celle qu'abrite les capitales « arabes » chaque deux ou troisans. On finira par être algériens, syriens, égyptiens, marocains, fiers del'être et se rencontrer ainsi riches de nos différences, autour d'une table etpas d'un cadavre. Tammouz, c'est le mois du calendrier que le baasisme atransformé en symbole. Celui du cadavre qui renaît à la vie. Depuis desdécennies, nous attendons tous que le cadavre revienne à la vie, et personnen'ose dire que depuis des décennies, l'odeur de la décomposition est devenueinsupportable et presque inhumaine. Arrêtons donc de souffrir pour rien etoccupons-nous chacun de notre avenir propre, chacun de sa terre et de sesenfants. Il ne faut plus parler d'une union ratée mais d'une « désunion » àparfaire pour permettre la naissance d'une solidarité moins sentimentale etmoins nostalgique.
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Posté Le : 31/03/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com