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Le blues des plagistes tunisiens


Le blues des plagistes tunisiens
La Tunisie a lancé cet été une campagne de bienvenue à l'adresse des estivants algériens. Ils représentent 20% des entrées. Pas de quoi remonter le moral des plagistes qui voient, année après année, leurs bénéfices s'écrouler.De notre envoyée à Tunis.A Gammarth, dans la banlieue nord de Tunis, l'hôtel Karim ressemble davantage à une friche industrielle qu'à un complexe touristique. Portail rouillé, peintures écaillées, fenêtres cassées? Il n'y a guère que les mauvaises herbes qui occupent encore les lieux. Un regard suffit à comprendre que les chambres n'ont plus vu de clients depuis des années. L'hôtel a fermé il y a de longs mois déjà. Aujourd'hui, difficile de croire que l'adresse fut l'une des plus prisées par les touristes. Des balcons, les estivants avaient le choix entre la vue sur la piscine et celle sur la mer.Le rivage est désormais une décharge à ciel ouvert jonchée de sacs en plastique, bouteilles vides et autres bris de verre. Sur tout le territoire, la saleté atteint de telles proportions que l'opérateur public de téléphonie, Tunisie Télécom, a lancé cet été une campagne d'évangélisation en offrant une connexion 3G gratuite aux baigneurs qui contribuent au nettoyage des plages. La pollution, ce sont surtout les gestionnaires de plages privées qui en pâtissent. La plupart ont dépensé plusieurs millions de dinars pour avoir le droit d'exploiter la côte. «Le soir, une fois les clients partis, je ramasse moi-même les poubelles. Avec ma voiture personnelle. L'administration est totalement démissionnaire», se désole Ahmed(1).Le quadragénaire exploite une parcelle de quelques dizaines de mètres carrés à La Marsa. C'est la PAL, un organisme dépendant du ministère de l'Environnement, qui attribue les lots via un système d'enchères. La mise à prix est de 20 millions de dinars tunisiens(2). Un peu moins de 9000 euros. Depuis quelques années, les loyers s'envolent. «La parcelle de Sidi Bou Saïd a été cédée pour 112 millions, avance Ahmed. C'est impossible à rentabiliser en une saison.» Comment expliquer de telles sommes ' «Le blanchiment d'argent, accuse Ahmed. Depuis trois ans, on voit arriver de nouveaux entrants qui jouent la surenchère.»RenchérissementJusqu'en 2011, quelques acteurs se partageaient le marché et s'accordaient à maintenir les prix en-deçà d'un certain plafond. Depuis la révolution du Jasmin, l'entente a volé en éclats. Les autorités ferment les yeux «pour faire rentrer des liquidités», expliquent les plagistes. Une accusation lourde démentie par la PAL, qui assure que les occupations temporaires sont attribuées de manière transparente après étude des dossiers par une commission indépendante. «Des témoignages pareils, à l'emporte-pièce, n'ont d'autre but que de miner l'image de la Tunisie», s'agace un cadre du ministère du Tourisme.Le renchérissement du coût de la location n'est pas le seul frein au développement. «A proximité de nos plages s'installent des parkings qui rackettent littéralement le client. Une fois que vous avez payé deux dinars pour vous garer, que vous reste-t-il à dépenser '» s'énerve Ahmed. Selon lui, la gestion de ces espaces s'obtient via des dessous de table versés aux municipalités. «Les mairies, c'est le berceau de la corruption», peste le gestionnaire.A ces écueils conjoncturels s'ajoute l'inflation structurelle qui mine la Tunisie depuis sa révolution du Jasmin. 5,9% en 2012 et 6,1% l'année suivante. «Aujourd'hui, une chaise de plage me coûte 21 dinars à l'achat. Il y a quatre ans, elle valait 10 dinars, affirme Ahmed. Pour autant, je ne peux pas augmenter mes tarifs d'une saison à une autre parce que les salaires n'évoluent absolument pas au même rythme.» Le Café des Délices en a fait l'amère expérience. Le mythique salon de thé chanté par Patrick Bruel fut la cible d'une campagne de boycott des Tunisiens à cause de sa politique tarifaire.Mont ChaambiEt impossible de se «refaire» sur le touriste étranger : ce dernier se fait de plus en plus rare. Selon les dernières statistiques du ministère du Tourisme tunisien, les entrées de visiteurs européens sont en recul de 26,9% par rapport à 2010, l'année qui a précédé la chute du régime de Ben Ali. Sur les sept premiers mois de l'année, seuls 32 000 Français ont visité la Tunisie. En recul de 8,5% en un an. Les troubles sécuritaires ont dissuadé les plus téméraires. La mort de 14 soldats, à la mi-juillet, dans une attaque terroriste au Mont Chaâmbi, à la frontière tuniso-algérienne, ne devrait pas aider.La saison peut-elle encore être sauvée par les touristes maghrébins ' Leur nombre a augmenté de 6,5% en quatre ans. A eux seuls, les Algériens représentent une entrée sur cinq. «Sauf qu'ils n'ont pas les mêmes habitudes de consommation que les Européens, tempère un saisonnier. Le touriste maghrébin n'est pas prêt à payer sa bouteille d'eau à la buvette quatre fois son prix en épicerie.» Du côté des agences de voyages, c'est un autre reproche qui surgit. «La qualité de service qui s'est nettement dégradée, se plaignait une gérante dans El Watan, le 21 juillet dernier. La plupart des clients qui sont partis sont revenus mécontents.»Lors de sa visite à Alger début juillet, la directrice générale de l'Office national du tourisme tunisien (ONTT) a promis de remédier aux manques. «Aidez-nous à régler les problèmes pour améliorer la situation», a lancé Wahida Jaït. Une campagne de bienvenue spécifique au marché algérien a été lancée pour améliorer les conditions d'accueil et la prise en charge des touristes au niveau des hôtels, des aéroports et des postes de passage frontaliers. Son bilan n'est toujours pas connu.L'«exit tax» a-t-elle du plomb dans l'aile 'Se fera ' Ne se fera pas ' En visite à Tabarka, la ministre tunisienne du Tourisme, Amel Karboul, a laissé entendre que les visiteurs algériens pourraient être exonérés d'«exit tax». Le projet, voté par les parlementaires tunisiens cet été, a fait couler beaucoup d'encre. Il propose de soumettre toute sortie du territoire au paiement d'une redevance de 30 dinars tunisiens. L'équivalent de 2100 dinars algériens. De quoi sérieusement surenchérir le coût des vacances pour les familles. «Les Algériens voyagent nombreux. Cette mesure va forcément freiner l'engouement et le rush de nos compatriotes, prédit le Syndicat national des agences de voyages (SNAV). Qui plus est, comment la justifier ' On loue un hôtel, on dépense, on mange, on sort, on contribue à l'économie. Pourquoi payer en plus une taxe en sortant '»Lors de la rencontre organisée en juillet à Alger, l'ambassadeur de Tunisie et l'Office du tourisme assuraient que rien n'était fait. «On nous a dit : rien n'est concret, rien n'est sûr. Ce n'est qu'un projet de loi, ne vous inquiétez pas», narre l'un des participants. Depuis, la confusion est totale. En août, des estivants algériens assurent avoir dû s'acquitter de la taxe au poste frontière d'Oum Teboul. Le gouvernement tunisien réplique par la voix d'un porte-parole : «La mesure n'est pas encore entrée en vigueur.» Elle le sera le 1er octobre. Ou le 28 août. Les annonces se multiplient. Divergent. L'exécutif peine à parler d'une seule voix.La Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV) est dépitée et considère que la mesure a été prise dans la précipitation. Dans le même temps, les «fraudeurs»», ces taxis clandestins qui traversent la frontière plusieurs fois par jour, augmentent leurs tarifs. «En prévision», explique un chauffeur bônois. Un autre s'attend à ce que la Tunisie ne soit plus fréquentée que par des jeunes hommes célibataires : «C'est plus facile de supporter le coût quand on est seul que quand on a une femme et des enfants.»Il y a quelques semaines, les camionneurs algériens, eux aussi victimes de la future redevance, ont bloqué la route reliant les deux pays en guise de protestation. Ils réclament que l'Algérie impose elle aussi une taxe réciproque. Il n'en est pas question, a répondu le ministre des Affaires Etrangères, Ramtane Lamamra. «Ces mesures ne sont ni discriminatoires ni arbitraires», a fait valoir le chef de la diplomatie algérienne, qui a insisté sur «la relation très privilégiée» entre les deux voisins. Des termes repris par Amel Karboul à Tabarka. Elle est pour l'instant la seule ministre, côté tunisien, à parler de l'abandon pur et simple de l'«exit tax» pour les Algériens. 1)- Le prénom a été changé à la demandede la personne concernée2)- 1 dinar tunisien = 70 dinars algériens




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