Algérie

Le Berliner Ensemble au Festival d’Almada (Portugal)



«Peer Gynt» de Heinrik Ibsen Lorsqu’il est à Lisbonne, le curieux visiteur qui franchit le Tage, par le bateau ou le pont suspendu du 25 de Abril, découvre Almada, une modeste ville ouvrière qui est aussi la capitale du théâtre portugais et le port d’accueil d’un grand festival de théâtre européen. Pour les vingt-cinq ans d’une manifestation où sont venus les plus grands noms du théâtre portugais, comme Luis Miguel Cintra ou Jorge Silva Melo; européen, tels Giorgio Strehler, Peter Brook, Luc Bondy, Emmanuel Demarcy-Mota (le nouveau directeur du Théâtre de la Ville à Paris, d’origine portugaise) et du monde: Jaime Lorca, Fadel Djaibi... c’est le Berliner Ensemble, avec «Peer Gynt», de Ibsen, mis en scène par Peter Zadek, qui est la tête d’affiche du festival. C’est l’événement théâtral de l’année au Portugal. Si le Berliner y est déjà venu en 1999, c’est la première fois que le travail de Peter Zadek y est donné. Né en 1926 à Berlin, il émigre à Londres en 1933 où il deviendra rapidement l’un des metteurs en scène les plus créatifs. En 2007, on lui décerne (ainsi qu’à Robert Lepage) le Prix européen du Théâtre. «Peer Gynt» a été créé en 2004 pour et au Berliner Ensemble, la compagnie mythique fondée par Brecht et sa femme, Hélène Weigel, en 1949. Henrik Ibsen (1828-1906), est l’un des plus grands dramaturges du début du XXe siècle. «Peer Gynt» est une pièce de jeunesse, à l’origine un poème dramatique écrit davantage pour être lu que joué et dont la représentation complexe est un véritable défi. Il y a la foule des grands jours à Almada pour les deux représentations qui ont pourtant été proposées à un prix bien supérieur à celui que connaissent les habitués (entre 17 et 30 euros au lieu de 10 à 20) mais le téléphone n’a pas cessé de sonner au théâtre. Chacun a conscience qu’il a fallu un effort considérable à l’organisation pour faire venir ce «monstre sacré» qui aligne sur le plateau pas moins de vingt-cinq comédiens et se déplace avec le double de participants pour la logistique. Le beau théâtre bleu a habituellement une capacité d’accueil de 450 places mais pour l’événement une centaine de chaises ont été installées pour ne refuser personne, ce qui est une éthique à Almada. Chacun retient son souffle lorsque Uwe Bohm (Peer) et Angela Winkler (la mère) entrent sur le plateau qui va rester en plein feux durant tout le spectacle et durer trois heures, avec un entracte qui marque aussi une rupture dans l’histoire et le ton de la pièce. Peer est génial. C’est l’anti-héros parfait qui campe son personnage entre fascination et répulsion, un jeune homme cruel qui use et abuse des femmes. Angela Winkler, une grande dame du théâtre et du cinéma (merveilleuse et inoubliable dans «l’Honneur perdu» de Katharina Blum de Volker Shlondorff et Margaret Von Trotta) est forte et fragile, avec une densité et une présence rares. L’ensemble de la distribution est portée par une compagnie virtuose, dont le jeu très physique et fulgurant est absolument impressionnant. Le mouvement corporel est à la base du travail des acteurs du Berliner qui travaillent durant des mois en improvisation et participent ainsi vraiment à une création collective. Il y a une chorégraphie, signée Reinhild Hoffmann, particulièrement efficace lorsque les comédiens se font foule sur le plateau et qu’on les voit à la fois tous et chacun. Entre danse et cirque, humains et animaux, ils ont des ressorts et des facettes multiples. La scénographie est déroutante. Décors et costumes viennent composer des tableaux somptueux, extrêmement mobiles et donc sans cesse renouvelés sur le plateau. En fait, il s’agit de matériaux très simples où le corps des comédiens est mis à contribution pour se fondre avec les matériaux et composer des animaux incroyables. Les images sont multiples, déroutantes, folles. A la sortie du spectacle, le public est sonné. La représentation a été magistrale. Impudique et provocante mais gagnant d’emblée le respect du spectateur qui découvre un regard sur une œuvre porté par un souffle et une intelligence rares. Il n’est pas prêt d’oublier cette tornade qui aura constitué le passage du Berliner Ensemble à Almada...   Marina Da Silva



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