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Laghouat, la ville assassinée



Natif de Laghouat en 1952, Lazhari Labter est un nom, il est aussi une fonction, entre poésie, littérature et journalisme. Auteur de plusieurs ouvrages, il nous semble posséder ce rare don d'être une sorte de barde des temps modernes. Il est difficile par un curieux exercice de style d'imaginer Laghouat, ses séguias, ses héroïques gestionnaires d'Oasis, ou bien même Hiziya sans qu'il ne soit à quelques encablures d'elle?Pourtant Lazhari Labter a aussi le don d'être grave quand il a l'impératif devoir de témoigner pour la grande Histoire. C'est ainsi que, pris par la main de notre libraire, nous sommes allés à la rencontre de personnages aussi sinistres que Pelissier, Yusuf, Bouscaren, Bugeaud, Randon?et d'autres avatars putrides qui, à nos jours, laissent ce goût amère d'une occupation qui s'est fait dans le sang et le fer acéré d'une violence abjecte. Tous le monde connait en fait les enfumades du Dahra, les massacres immondes du 8 mai 1945, les pogroms faisant de la terre brûlée un slogan bien français. Très peu de personnes -surtout les Algériens s'entend- connaissent en fait la terrible histoire de la ville de Laghouat, surtout en cette ère de « âam el khalia », ou l'année de l'anéantissement.
Lazhari Labter est ici dans le rôle du narrateur, il va prendre à bras le corps une histoire qui s'est tristement déroulée au début du dernier mois de cette damnée année 1852 après un long siège de deux semaines sous les remparts d'une ville-Oasis qui avait tout pour être heureuse. Cette ville sera détruite, anéantie, cela en dépit d'une résistance farouche de ses habitants, hommes et femmes qui se sont battus jusqu'au dernier souffle pour protéger ses b'hayer et ses habitations, laissant au final l'insupportable dîme sanglante à la liberté de 2500 victimes sur une population de 4000 âmes.
Ce génocide avéré, ?uvre des «vénérables» généraux et officiers de grande tradition militaire cités plus haut a laissé une blessure irréparable, inguérissable dans les c?urs de tout être humain, quelque peu sensible à l'humanité. Au nom de quoi cet immense massacre s'est-il accompli !' Certains diront en l'honneur d'une France avide, nécessitant de nouvelles conquêtes, de nouveaux espaces commerciaux, de nouveaux territoires? Lazhari Labter édité chez Hibr Editions, appuyé en cela par la signature de l'historien Daho Djerbal pour la préface reprend sa plume voyageuse qu'il trempe dans le liquide vital du témoignage historique.
Il garde son sang-froid pour écrire un livre qu'il intitulera «Laghouat, La ville assassinée», «Ou le point de vue de Fromentin» en sous-titre. L'auteur, amoureux de la belle Laghouat va veiller à réunir une somme d'informations historiques, il va situer l'aire géographique de ce scénario macabre, il va situer les contours de cette scène terrible inscrite à jamais dans l'Histoire, en passant, il prendra quelques tours humanistes en intégrant étrangement la «lecture» d'Eugène Fromentin, qui de par une «prose» au lyrisme écrit avec des larmes de crocodile, veillera avec quelques autres auteurs à mettre ce «baume» réparateur fait de poésie et de peinture sur un drame génocidaire tout simplement impardonnable. Lazhari Labter, auteur sensible, va donc «dessiner» cette intrigue, il va présenter les personnages, que cela soit dans la composante de la population de la ville de Laghouat avec ses personnages notables, ces pauvres et ses riches.
Il crée ainsi une sorte d'empathie généreuse en perspectives, et puis ensuite il définit les éléments biographiques, les parcours des officiers français qui, dans une conjuration avec certains gaïds interlopes vont signer une page terrible de la colonisation française en Algérie. L'écrivain Labter va inscrire cette histoire vraie dans les limites admises du roman historique, au demeurant très bien réalisé, avec une esthétique très particulière. Ce sera un roman, stylistiquement admis et sublimé comme tel, sur fond d'ancrage historique. De Fromentin, on aura en fait que peu d'éléments qui peuvent en fait ne pas être essentiels dans ce récit, on ne comprend pas pourquoi Lazhari Labter qui avait tous les droits d'écrivain a laissé son égo de côté pour laisser la part belle du titre et de certaines évocations d'Eugène Fromentin qui est arrivé quelques temps (en juin 1853) après le massacre témoigner avec légèreté et distance?
On pourra lui reprocher d'être français n'est-ce pas !' de l'assassinat en règle et à grande échelle de quasiment toute une ville. L'esthétique malgré tout va apaiser le propos jusqu'à un certain point dans la délicate et subtile histoire d'amour imaginée par Lazhari Labter dans les traits vaillants, viriles et puissants en beauté de Saâd, épris de la trop belle Messaouda, personnage aussi brave que toutes les N'soumer du monde. Le créateur de cette histoire fortement imaginaire, sublimant les méandres captivants d'un récit terrible va inscrire Eros et Thanatos dans les structures d'une tragédie grecque qui a pourtant bien eu lieu à Laghouat, et dont les amoureux Saâd et Messaouda vont être les archétypes littéraires de ce superbe roman qui mérite les plus belles places dans les mémoires d'étudiants et qui mérite aussi les réponses aux questionnements historiques les plus prégnants.
Lazhari Labter, préfacé par l'historien Daho Djerbal, a signé ici un très beau roman, épique, historique avec des faits documentés et une bibliographie pertinente. L'histoire d'amour sous-jacente nous a un peu plus intégrés dans une empathie naturelle, on ressent dans l'écriture de l'auteur, une sensibilité à fleur de peau, un humanisme qui ne déparent pas de la bonhomie naturelle du poète. Une surprenante lecture qui après la sublimation des faits historiques nous donne au résultat une ?uvre romanesque proche de l'épopée qui mérite vraiment l'escale vers ce haut lieu d'un pan immense de notre histoire. A lire à tout prix par nécessité de service.
Lazhari Labter, «Laghouat, la ville assassinée, ou le point de vue de Fromentin», Roman historique, préface de Daho Djerbal, Editions Hibr, Alger 2019, prix public, 700 DA
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