Algérie - Mascara

La ville de Mascara


La ville de Mascara
L'éthymologie du mot Mascara, qui vient dit-on de"Oum'Askeur"(la mère des soldats)ou de Maskeur, lieu où se rassemblent les soldats, atteste une réputation guerrière qui semble justifiée par tout ce que nous savons de son histoire, du moins dans les temps modernes.
Mascara n'a point échappé aux sanglantes sarcasmes que Sidi Ahmed ben Youssef ,le marabout de Miliana, laissait tomber sur chaque localité de l'Algérie, et qui sont arrivés jusqu'à nous sous forme de dictons:

"J'avais conduit des fripons prisonniers sous les murs de Mascara ; ils se sont sauvés dans les maisons de cette ville"........."Si tu rencontres quelqu'un gras, fier, et sale tu peux dire: c’est un habitant de Mascara"...........

De tout temps, la plaine d'Eghris doit toute son importance à la ville de Mascara. Le capitaine français Tatareau en fait en 1835 la description suivante:

« Située au Nord-Est de la plaine, l'agglomération est coupée en deux par le ravin de l'oued Toudman dont une partie de l’eau est détournée par un aqueduc alimentant la ville. Sur la rive gauche, se dresse Mascara entouré d'une enceinte de 350 mètres sur son plus grand côté, de 2 mètres d'épaisseur et de 10 mètres de haut. Un petit fort triangulaire "El Bordj" occupe l'angle le plus élevé, au Nord-Ouest un second"La Kasbah" domine la petite place intérieure. L'enceinte est coupée de trois portes: Bab-ech-Chergui dite la porte de l'Est.....celle de Bab Ali empruntée par la route de Tlemcen à Oran où on expose les têtes des condamnés.....et enfin une porte de secours donnant sur le ravin. La ville est alors entourée de cinq faubourgs. Sur la rive droite ,sur une croupe s'étend le faubourg de Bab Ali..en aval sur une butte l'Argoub Ismaêl...à l'Est le faubourg de Bab-ech-Chergui...au sud celui d'Aïn Beîda(la source blanche) et celui de Si Ali Mohamed sur la rive gauche d'un ruisseau alimentant des tanneries. »

Ville et faubourgs sont en ruines. Les rues et les maisons sont misérables. Ces derniers sont couvertes en terrasses, à la mode berbère, ou en tuiles romaines du type kabyle. Dans les faubourgs les gourbis remplacent les masures. La maison du Beylick est également en ruines, au rez de chaussée la salle d'audience soutenue par des colonnes de marbre, au premier étage le cabinet de l'Emir où voisine une quarantaine de manuscrits arabes, couverts de mosquée très ordinaire, élevée en 1750,sur la place prés du bordj et une seconde dans les faubourgs du sud, construite en 1761 sous l'occupation turque.

Un marché se tient trois fois par semaine à la porte de Bab-Ali, aux étales variées, où l'on vend garance sauvage pour la teinture eu rouge, écorce de grenade pour la teinture en jaune maroquin, poudre à fusil, mercerie, épicerie, légumes et... chevaux. De l'autre côté de la rue, se tiennent des boucheries deux fondouks ou caravansérails dont une réserve aux gens de Tlemcen et du Maroc. La rue descendante de la place à la porte de Bab-Ali est bordée de petits boutiques juives et maures qui se prolongent hors de la porte jusqu'au pont. L'oued Toudmane est franchi par quatre ponts de pierre à une seule arche dont une sans parapet.

Le marché aux grains se tient sur la place, face au bordj. On y vend également des tapis d'El Kalaa, des laines et des burnous. Le fondouk de l'ouest est achalandé de sabres, bois de fusil, pantoufles ou "babouch", mouchoirs de soie et calicots. Plusieurs armuriers se consacrent à la réparation des armes. Quelques boutiques abritent des brodeurs en soie, or et argent ornant des harnachements. Il existe aussi des tuileries et des poteries à Aîn Sultan et prés d'Aîn Khial. La ville compte plusieurs écoles coraniques. Elle abrite jusqu'à 10.000 habitants dont 450 juifs, puis des Kouloughlis descendants des Turcs, qui se confondent avec les Maures.

C'est à Mascara que s'établit Abd-el-Kader, natif de la région (Cacherou) et descendant du Prophète lorsqu'à 24 ans, il fut reconnu en 1832 Emir des croyants par les Hacem, les Beni Amar et les Chraba. Il y installe le siége de son gouvernement et fit appel à l'assistance du sultan du Maroc Moulay Adderrahmane. Le Maréchal Clauzel (*) entre à Mascara en décembre 1835,puis l'évacue les deux jours suivants, aprés avoir démantelé la Kasbah (le fort) et les remparts. Maréchal de France,(1772-1842) Clauzel nommé après la révolution de 1830 général en chef des troupes en Algérie occupa Blidah, Médéah après avoir forcé le col de Mouzaïa et tenta le premier l’œuvre de colonisation . Mais il eut la malheureuse idée de céder les provinces de Constantine et d’Oran à des princes tunisiens et fut écarté pour ce motif. Il reçut néanmoins en 1831 le bâton de Maréchal. Envoyé de nouveau en Afrique en 1835,avec le titre de Gouverneur Général, il prit Mascara, mais échoua devant Constantine(1836) et fut définitivement remplacé. .Député de Rethel depuis 1827,il soutint constamment les idées libérales et la cause de l’Algérie)

Sur le chemin du retour vers Oran, le duc d'Orléans, le fils de Louis Philippe qui accompagné le maréchal, décrit notre armée emmenant avec elle les Israélites survivants au massacre arabe en ces termes:

« Déjà les troupes du Bey Ibrahim(allié des Français) étaient parties en désordre.. Autant, il nous avait été difficile de les pousser sur l'ennemi, autant il le fut de les retenir cette fois;ils couraient par tous les chemins, chargés de sacs et de paniers vides qu'ils comptaient remplir de butin...

En descendant une petite colline sur la route, nous aperçûmes devant nous dans le fond, la ville et les faubourgs de Mascara. La pluie venait de cesser et le temps s'était éclairci. La ville est fort étendue, et la verdure qui l'entoure se marie bien avec la blancheur des maisons;les murailles crénelées et garnies de tours carrées, ainsi que le minaret de la grande mosquée se détachent par leur couleur jaune brun. Les faubourgs remplis de cactus forment le fond de ce tableau. En approchant, nous vîmes que le feu était de tous côtés et que les faubourgs étaient déjà à peu prés réduits en cendres. Les portes étaient gardées par des chasseurs à cheval que le Maréchal Clauzel avait envoyé avec le colonel Letang,mais la horde d'Ibrahim occupait dèjà la casba et achevait ce que les arabes d'Abd-el-Kader avaient commencé la veille.

Après avoir laissé à droite le faubourg ruiné de Bab-Ali, nous traversâmes le marché et entrâmes par la porte de Bab-el-Gharb (porte de l'Ouest)...Ce que j'ai vu est le spectacle le plus hideux auquel j'aie assisté. Je ne me serais jamais fait une idée de l'horreur d'une ville saccagée, brûlée et où une partie des habitants a été massacrée. La rue par laquelle on monte à la place était remplie de débris de toute espèce, de tronçons de bois encore fumants et tachés de sang.. Les maisons fumaient encore et un millier de juifs se jetant à genoux et baisant nos étriers en pleurant étaient le seul reste d'une population qui avant-hier comptait prés de dix mille âmes.. Les soldats d'Abd-el-Kader s'étant débandés après l'affaire d' Ibrahim-Bey étaient arrivés dans la ville...ils avaient tout saccagé, pillé même la maison de l'Emir et les bijoux de sa femme, puis tué une trentaine de juifs et enlevé à peu prés toutes les femmes qu'ils avaient réunies en troupeaux et chassées devant eux dans le désert. Les arabes de la ville se sont joints à eux et ont pillé les israélites qui seuls possédaient quelque chose dans la ville..
»

Le duc d'Orléans explique ensuite comment l'armée récupère l'armement qu'elle peut transporter et détruit sur place les "établissements" d'Abd-el-Kader: arsenal, manufacture d'armes et conclut:

"C'est avec joie...que je vis nos soldats arriver en vainqueurs dans la ville où depuis les Romains, aucune armée européenne n'avait mis les pieds. L'effet moral de notre victoire est très grand sur les Arabes..."

Le 9 décembre 1835 notre armée put voir une dernière fois les flammes qui dévoraient la malheureuse citée. A la nouvelle de l'évacuation de nos soldats, l’Emir Abd-el-Kader revient avec une suite de quelques cavaliers. En passant devant Mascara, il vit sa capitale entourée par un nuage de fumée;il campa prés de l'Argoug-Ismaîl, n'ayant qu'une misérable tente en lambeaux. Cependant l'armée française était à peine rentrée à Oran le 16 février, que toutes les tribus se soumettaient à Abd-el-Kader.

Hélas..!! la politique s'en mêle encore une fois et en application du traité de la Tafna signé en mai 1837 la France concède à l'Emir tout le Bélick de l'Ouest (Tlemcen;Mascara et Rachgoum)..Soutenu par le sultan du Maroc qui l'encourage à la guerre sainte Abd-el-Kader reprendra les hostilités dés 1839...A cette époque, la ville n'est encore qu'un lieu de passage contrôlé par l'Emir. La cité est percée de trois grandes rues. Sur la principale s'ouvrent les misérables boutiques des marchands juifs et mozabites et des ateliers de tissage de burnous noirs et blancs et de haïks. Prés de la porte Bab-ech-Chergui, se sont groupés quelques ateliers de forgerons, maréchaux-ferrants et armuriers..

La garnison arabe manque souvent de pain et ses chevaux d'orge. La ville n'est habitée que par quelques musulmans, prêts à passer aux français. Les environs à 15 kilomètres à la ronde, sont cultivés en jardins de légumes, vignes, figuiers d'Europe et de Barbarie, amandiers et cognassiers. Le marché réalise un trafic assez important. On y vend: céréales, laine cadrée, savon noir, charbon de bois, huile d'olive, pains de figues, beurre rance, miel, oeufs, chevaux et moutons.. Ville et faubourgs ne comptent que 2840 habitants dont 7OO arabes,1.800 Hadri ou citadins,100 mozabites et 240 juifs.

En mai 1841 le Général Bugeaud rentre à Mascara et l'occupe définitivement en y laissant une forte garnison. Ce sera le début de la colonisation de toute la région...

L'administration militaire française procède dés 1846 au nivellement des rues et des places, à la réparation du bureau arabe et de la mosquée, à la construction de l'église catholique. Il est question d'en faire le chef-lieu de la division militaire d'Oranie. En dehors de la troupe, on y rencontre quelques civils fournisseurs de l'Armée et des cantiniers Quelques hardis colons apparaissent, autour de la ville, sur des concessions accordées avec parcimonie. Tandis que l'agglomération musulmane demeure dans le quartier de Bab-Ali, entre l'oued Toudmane est le ravin de Bou Sekrine, c'est à l'Est de l'oued que commencent à s'installer quelques européens: anciens soldats, droits communs.... et quelques condamnés politique qui s’établissent au climat sec, relativement plus salubre que la majorité des sites tuée au sud du massif des Beni-Chougrane, à la limite de la plaine "d'Eghris" et à 6oo mètres d'altitude. Ce quartier de l'Est sera entouré d'une enceinte élevée sous le second Empire, mais très vite la ville déborde dans l'ancien quartier militaire et même essaime hors les murs.

En 1847,Mascara ne groupe plus que 1.200 habitants dont 700 français, 500 espagnols et italiens, surtout marchands de comestibles, débitants de boissons ouvriers et artisans; les musulmans ont émigré au Maroc. L'agglomération compte 85 maisons neuves. Toutes les terres, proches de la ville, sont cultivées; 2.500 hectares dont 945 concédés en 182 lots de chacun 5 hectares. En 1848 la population augmente de 1.900 habitants dont 1.150 français. En 1851 Mascara devient chef lieu de la subdivision miliaire et d'un district administré par un commissaire civil. Aux environs, on cultive:céréales tabac, vigne, oliviers....

En 1852,on y vend annuellement 10.000 quintaux de laine,16.000 hectolitres de blé,17.000 hectolitres d'orge, 50.000 francs de bestiaux et en 1853,la ville voit s'installer: moulins à farine et à huile, briqueteries , tanneries, abattoirs. L'épidémie de choléra de 1854 déclenche 46 cas en 42 jours dont 36 mortels, surtout parmi les militaires. Cette même année Mascara est érigé en une commune de plein exercice, administrée par un maire et un conseil municipale, et doté justice de paix. Le marché local accuse un chiffre d'affaire de 4 millions de francs-or. La population de la ville est évaluée en 1861 à 2.500 européens,1.200 israélites et 4.000 musulmans soit au total 7.700 habitants.

Mascara commence à prendre l'allure d'une petite ville aux rues bien percées, et en 1877 l'enceinte de la ville est coupée de six portes: d'Oran, de Bab-Ali, de Mostagamen, de Tiaret, de Si Mohamed, du Sud.....On y voit trois mosquées. La commune comporte des arches de bestiaux, de bois, de charbon, e fourrage, de laine qui se tiennent en dehors de la ville prés de la porte d'Oran; marché aux grains sous les arcades dans la cité, marché où l'on vend: sel, galettes, dattes et figues sèches, huile d'olive, savon, sparterie sur la place de l'Argoub ,marché aux légumes, fruits, poissons sur la place Bellevue...

Chef-lieu de sous préfecture, la ville est desservie par deux diligences quotidiennes pour Oran. Les transports des marchandises sont assurés par des charrettes de roulage et il est question de construire deux voies ferrées:l'une d'Arzew à Saïda pour l'expédition de l'alfa des Hauts Plateaux, l'autre de Mascara à Tizi avec rattachement aux voies vers Oran et Colomb Béchar .En attendant les routes sont en mauvaises état et l'on avoue que le transport d'une tonne de marchandises de Mascara à Oran coûteplus cher que le même transport de Marseille à Paris.....

En 1936,la ville groupe 10.000 européens,4.800 israélites et prés de 18.000 musulmans soit au total 32.000 habitants

En 1954,Mascara est à la fois nœud ferroviaire, carrefour routier, centre agricole, sous préfecture, centre bancaire, centre commercial de la plaine d'Eghris en relation avec Oran, Mostagamen, Tiaret, Frenda, Saïda et Tlemcen. Ce n'est cependant que la cinquième ville de l'Oranie avec 40.000 habitants y compris sa banlieue dont 75% de musulmans. C'est aussi une capitale de coopératives les dix caves coopératives de Dombasle, Mascara ,Aïn Fekan, Maoussa ,Oued Taria, Palikao, St André de Mascara, Thiersville et Tizi crées entre 1924 et 1932 peuvent loger 175.000 hectolitres de vin la coopérative de céréales de Mascara traite jusqu'à 44.000 quintaux progressivement verront le jour des sociétés agricoles(1946/47) ,des sociétés de défoncement et de motoculture travaillant sur 6.300 hectares, des sociétés de battage(1925) recueillant 14.000 quintaux de céréales la société des moulins coopératifs datant de 1930 traitant plus de 150.000 quintaux pour 260 adhérents l’huilerie coopérative de Palikao(1933) utilisant 15.000 quintaux d’olives ...sont mises en place une coopérative agricole de céréales et de légumes, des compagnies d’assurances sociales agricoles, des sociétés de crédits mutuels et bien d’autres......

La réputation des vins de Mascara, qui remonte aux premières années de l'occupation française a été longtemps solidement établie et largement consacrée par des récompenses obtenues dans les concours tant en France qu'à l'Etranger.. Dés 1858 les vins de Mascara sont primés à l'Exposition Automnale de Paris.

Le seul nom de la ville évoque aussitôt l'idée d'un vin généreux et fin, d'une coloration vive et brillante. Le vignoble de Mascara qui se limitait jadis à un rayon de 3 à 4 kilomètres autour de la ville (coteaux d'Arbicia, de l'Avant Garde, de Bab-Ali, de Ras-el-Mâ et de Selatna) va s'étendre d'année en année notamment du côte de St Hippolyte et après avoir occupé toutes les hauteurs avoisinantes depuis El-Keurth jusqu'à Aîn Farés, El Bordj et Sonis ,il commencera à envahir la plaine d'Eghris.

En 1962,Mascara est occupé par une population musulmane importante numériquement, les 3/4 du total, mais peu tournée vers le monde des affaires. A l'opposé la population européenne¼ composée en partie d'individus d'origine espagnole et israélite, joue un rôle prépondérant dans le commerce et de l'industrie locale. L'activité de la cité gravite autour de l'agriculture qui fait vivre des négociants et courtiers en vins, des minotiers, semouliers et meuniers, des grossistes en grains et farine.. des marchands de tabac en gros, des commerçants en produits tropicaux (thé café sucre) et tissus indigènes dont certains sont des israélites, des commerçants en crin végétal, exploitants forestiers, carrossiers, charrons, sans oublier les professions libérales

Des hauteurs de la ville on découvrait les horizons tranquilles de la plaine fertile, alors profondément humanisée, au point qu’on s’étonnait d’apprendre, qu’il y a un siècle, les Hachems, nomades arabes, campaient sur des sols marécageux couverts de palmiers nains et des jujubiers sauvages... Aujourd’hui, science de nos ingénieurs et labeur de nos colons associés à la main d’œuvre musulmane, ont transformé entièrement son aspect primitif.....

Mascara, ville aisée, mais sans luxe, n’était au point de vue urbanistique et démographique qu’une cité de second ordre restée Sous-préfecture de département de Mostaganem lors de la récente réorganisation administrative française.


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