Algérie - Malika Mokeddem

La Transe des insoumis de Malika Mokeddem, (Roman) - Éditions Grasset, Paris 2003



La Transe des insoumis de Malika Mokeddem, (Roman) - Éditions Grasset, Paris 2003
Choses vécues ici et là-bas

Médecin de formation, Malika Mokaddem est arrivée tardivement à l’écriture. En 1992, elle avait publié son premier roman Le Siècle des Sauterelles et elle avait raison de le faire car cette romancière possède une fibre romanesque incontestablement soutenue par une écriture fluide, exquise, comme une rivière qui vous emporte dans un tourbillon d’histoires douloureuses, parfois drôles.

Dans La Transe des Insoumis, elle atteint une plénitude mouvementée tant la rédaction de ce texte intègre une bonne maîtrise de la structure du récit qui exprime une vie de battante. La rédaction de ce roman s’est visiblement faite dans la douleur. Malika Mokadddem raconte la vie d’une femme algérienne qui a tout fait pour ne pas se soumettre au destin qui lui était tracé par un milieu traditionnel et pauvre. Une histoire prenante, car c’est en fait dans la vie de la romancière que l’on entre avec une part de fiction qui permet à l’imagination de travailler.
La structure du récit est bâtie sur une alternance de chapitres intitulés « ici » et « là-bas ». Le récit tangue entre les deux rives de la Méditérannée, entre l’Algérie et la France, entre Paris et Oran, entre Montpellier et Kenadsa, Béchar. Un va-et-vient continuel qui démontre le déchirement et l’acceptation de soi dans la dualité. L’histoire personnelle d’une femme se mêle à l’histoire du pays, où les ressentiments reviennent à la surface en relation avec l’histoire douloureuse de l’Algérie des dix dernières années.
Le sommeil et son pendant l’insomnie sont le fil conducteur du récit. Insomniaque, la narratrice dit ses rapports avec sa famille, avec sa grand-mère qui lui a appris les mots, la liberté d’être et la dignité d’être femme dans une société traditionnelle, dont elle dit : « Moi la tradition, j’ai toujours été contre. Je fais corps avec elle quand elle vibre d’émotion, nourrit l’esprit, enrichit la mémoire. Je l’affronte, la répudie quand elle se fige en interdits, s’érige en prison. »
Alors, cette Algérienne de Kenadsa lit à n’en plus pouvoir, dans la langue de « l’autre », « au milieu de l’oralité, je vis rencognée dans les livres. » Une solution salvatrice pour une petite fille révoltée contre les mariages arrangés, contre l’interdiction aux filles d’aller au lycée car ce dernier se trouve à Béchar. Lutter, travailler, acheter sa liberté pour pouvoir faire des études de médecine à l’université d’Oran démontrent une volonté de fer. Par des scènes racontées avec brio, Malika Mokaddem dit la difficulté d’être fille dans une grande ville.
Il faut lutter contre les préjugés contre les étudiantes qui habitent les cités universitaires. Se battre pour partir étudier en France, devoir mentir à sa famille, car se marier avec un Français était inconcevable dans son village de Kenadsa et surtout vis-à-vis de son père, qu’elle ne veut pas heurter. L’amour ne se commande pas et c’est là tout le problème. Réussir, devenir spécialiste en néphrologie au CHU de Montpellier, une bataille qui se gagne. C’est ce cheminement de la vie d’une algérienne qui a refusé le chemin tracé, qui sort des rangs, un cheminement contre une société étouffante.
Un divorce, en partie à cause de l’écriture. Une écriture sur l’Algérie qui souffre et qui s’entretue. Ce combat de femme, écrit de l’intérieur, par une femme qui n’hésite pas à parler de sexualité, de droits, de ce rapport ambigu avec la France à cause d’une histoire commune. Malika Mokaddem parle pour toutes ces femmes qui ne peuvent s’exprimer, que la loi musèle et qui pourtant réussissent des parcours étonnants au même titre que les hommes grâce au savoir qui est « le premier exil. Unique, car irrévocable », la narratrice continue : « Il m’a sortie d’une histoire figée dans la nuit des temps pour me précipiter seule, démunie, gueule ouverte sur le macadam ».
La Transe des Insoumis est indéniablement un récit fiévreux qui met en avant l’insoumission de celles qui prennent la liberté non seulement de parler mais d’écrire aussi. La fin du roman est émouvantes car la narratrice revient à Kenadsa voir son père qui finalement montre une fierté affichée pour la réussite de sa fille, dont le portrait aujourd’hui trône à la maison de la culture à côté de celui d’Isabelle Eberarht, cette femme héroïne libérée, un modèle pour la narratrice lorsqu’elle était une petite fille qui n’arrivait jamais à trouver le sommeil.
La Transe des Insoumis a reçu en 2003 en France le Grand prix « Côté femme ».



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