Algérie - Revue de Presse

La télévision publique algérienne au XXIe siècle Quels challenges à relever?



Publié le 05.03.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Ibtissem Bedjaoui*

Une Révolution sans précédent s'est opérée au sein des médias de service public provocant un basculement irréversible vers une distribution de contenus via internet en utilisant de nouveaux formats sur une multitude de plates-formes. Depuis l'avènement de la télévision, le public n'a jamais été autant exposé à une telle myriade d'informations de très haute qualité, de programmes de divertissement aussi variés de façon ininterrompue et diffusés sur des plates-formes différentes.
Exception faite pour les événements sportifs ou culturels majeurs, l'image idyllique des membres de la famille assis face au petit écran fait partie d'un «rituel» que la «Génération Z» a du mal à intégrer dans le modèle de consommation des contenus médias tels qu'ils sont conçus de nos jours. Est- ce le début de la fin de l'ère de la télévision classique?
D'innombrables études ont été menées par les professionnels du secteur à travers le monde depuis quelques années sans pour autant arriver à une conclusion consensuelle à ce sujet. Cependant, un constat semble faire l'unanimité : les jeunes ne reproduiront pas les usages de leurs aînés, on assiste même à un phénomène que les experts qualifient «d'inversion générationnelle» c'est-à-dire que les parents et les grands-parents adopteront les mêmes formats et codes que ceux de leurs enfants et deviendront bientôt des «surfeurs» de la révolution numérique.
Choix infinis de contenus, fragmentation de l'audience, éclatement des usages, basculement vers une distribution généralisée via Internet, autant de facteurs qui augurent d'un univers beaucoup plus complexe où les plates-formes numériques du web remplacent les grands networks et les chaînes de télévision.
L'industrie des médias a entamé sa transformation au niveau de la production, de la diffusion et surtout de la consommation d'infos et de divertissements. Bien que moins rapides que prévu, ces changements n'ont pas eu d'impacts négatifs sur les médias de service public qui demeurent la source d'informations la plus fiable et la plus crédible.
Quel est le devenir des médias de service public à l'ère du tout-numérique?
La télévision pourra-t-elle survivre à la désaffection des jeunes qui dressent les codes et pilotent les usages aujourd'hui? Quels seraient les comportements à suivre pour garder contact avec une audience de plus en plus exigeante avide de contenus sur mesure? Autant de questions qui font l'objet d'études et de réflexions par les experts en la matière.
Téléspectateur passif?
Cependant, les contours des médias du troisième millénaire commencent à se dessiner ainsi que les tendances à venir. Les médias de service public devront conjuguer avec les facteurs suivants:
1- le tout-numérique
2- la globalisation
3- les changements démographiques
Si Apple a abandonné son projet de télévision et si la BBC pense que les jeunes ne reviendront pas devant le petit écran, c'est qu'on est en train d'assister à un basculement rapide vers une diffusion des contenus télévisuels via Internet sur des plates-formes mobiles pour une consommation de plus en plus personnalisée. À l‘instar des autres audiences, le public algérien n'est et ne sera plus le téléspectateur passif se «pliant» au diktat de programmes établis à l'avance. Le choix pléthorique des plates-formes de diffusion et l'émergence des OTT (Over the Top Technology) tels que YouTube, Netflix, Amazon, Spotify etc.. feront de lui un acteur essentiel dans le processus de création de contenus audiovisuels.
L'information et les programmes de divertissement seront à la carte, du sur-mesure passant de la masse à l'individu. Contrairement à la télévision classique, le téléspectateur deviendra acteur et «maître» de son choix. La notion du prime devient anachronique ainsi que le traitement de l'information qui ne sera plus jamais le même et obéira à d'autres standards.
L'instantané, l'interactivité et le partage seront le maître-mot. La façon avec laquelle les réseaux sociaux se sont «appropriés» les événements du «Hirak» en est la parfaite illustration. Les citoyens lambda se sont substitués aux journalistes professionnels et ont «comblé» le vide laissé justement par la télévision officielle et les autres organes privés. La «contre -culture journalistique» est née.
L'info ne sera désormais plus forcément télévisée. Même si, plus que jamais, les fondamentaux du journalisme restent les mêmes, une nouvelle syntaxe est en train d'apparaître sur les nouvelles plates-formes avec son vocabulaire, ses codes, ses formats et ses durées. L'impact du tout- numérique sur la télévision d'aujourd'hui n'a d'égale mesure que celui du passage à la couleur de son ancêtre au milieu du siècle dernier. Celui-ci a poussé les limites de l'évolution vers des horizons jusque-là insoupçonnés. Les conséquences de cette révolution technologique sont immédiates, les audiences d'aujourd'hui changent leur mode de consommation, produisent et partagent les contenus sur plusieurs plates-formes.
Les limites de la loi
L'enjeu est de taille car il ne s'agit plus de discuter la dualité diffusion linéaire ou non-linéaire des contenus audiovisuels, mais comment optimiser le formidable gisement qu'offre la technologie du tout -numérique pour fabriquer la télévision de demain. Les formats traditionnels ont atteint leurs limites, de nouveaux concepts sont indispensables pour garder les parts d'audience. Le public algérien à l'instar des autres dans le monde, possède une palette élargie d'options pour accéder aux contenus allant de son salon au portable son écran est désormais dans sa poche. Dans un avenir très proche, les nouvelles voitures seront toutes connectées, une autre possibilité de se tenir informé et suivre «ses» programmes de divertissement tout en conduisant.
En tant que média de service public, il faudrait songer à trouver un juste équilibre entre les opportunités que le tout- numérique peut offrir à la télévision et les inconvénients auxquels cette dernière devra faire face. Il est vrai qu'en terme de contenus, car c'est de cela qu'il s'agit, les possibilités offertes aux concepteurs de programmes sont immenses. Il est maintenant possible de cibler les publics et confectionner des programmes sur-mesure en utilisant les différents algorithmes et les «big data». La télévision est résolument tournée vers le futur avec des formats de plus en plus sophistiqués. Certes, le contenu est «Roi» mais il faudrait qu'il soit délivré de manière à respecter les libertés individuelles des consommateurs ainsi que les spécificités culturelles des sociétés.
Il s'avère que les différentes lois sur l'audiovisuel en Algérie qui se sont succédé depuis l'indépendance, ont prouvé leur limite au sein d'un contexte médiatique mondial ultra-libéral ou l'innovation technique et technologique avance à une vitesse exponentielle. Tout en gardant en point de mire la spécifié culturelle de notre pays et dans l'optique d'une refonte globale du paysage audiovisuel national, les législateurs algériens, à travers les différents organes de régulation, ainsi que les experts du secteur, seraient bien inspirés de mettre à jour les lois en vigueur qui, visiblement, souffrent d'obsolescence et ne répondent plus aux exigences du moment.
Un des défis auxquels la télévision publique devra faire face est celui de se prémunir contre les nouveaux intrants tels que Netflix, Youtube, HBO et autres fournisseurs de contenus en ligne qui accentuent l'effritement de ses parts de marche et la fragmentation de son public. Il s'agit là d`élaborer des lois pour protéger la propriété intellectuelle des créateurs, les droits d'auteur et les droits voisins.
Business models
Bien qu`ils restent la source d`information la plus fiable -selon des sondages effectués auprès du public à travers le monde- les médias de service public ont beaucoup perdu de leur influence du fait de l'hégémonie croissante de groupes de medias fournisseurs de contenus de plus en plus innovants et défiant toute concurrence. La mondialisation qui a permis la libre circulation des contenus à travers la télévision sans frontières a affaibli la position des medias de Service Public sur le marché. Les MSP ne détiennent plus le monopole, leur légitimité est sans cesse remise en cause.
Les magnats de l`industrie des médias associés aux fournisseurs d'accès internet ont bouleversé l'ordre établi. Les «business models» de production de films, de programmes de divertissement et des grands évènements sportifs changent constamment ainsi que les règles de diffusion qui suivent. Par conséquent, les télévisions publiques ne sont plus les partenaires privilégiés des détenteurs de droits tels que ce fut le cas par le passé privant ainsi leurs publics de suivre les compétitions sportives majeures. La télévision publique algérienne, à l'instar de ses consoeurs de la région de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Mena), souffre depuis des années de la concurrence déloyale imposée par les détenteurs de ces droits qui les cèdent aux grands groupes de médias à des sommes qui n'obéissent pas forcement à la logique du marché. Ailleurs, notamment en Europe où la notion de service public occupe une position prépondérante dans le paysage audiovisuel, les législateurs ont créé des lois pour garantir la retransmission de certains évènements sportifs ou culturels majeurs sur les chaines publiques. Une bataille juridique menée par l'ensemble des parlementaires européens qui s'est soldée par l'obligation faite à l'encontre des détenteurs de droits d'entamer des négociations exclusives avec les chaînes de télévision publiques sur une base commerciale «raisonnables». Mais au préalable, celles-ci doivent dresser une liste de compétitions sportives où d'évènements culturels jugés d'importance majeure pour le public. C'est ainsi que les médias de service public de ces pays ont «arraché» le droit de retransmission des Jeux olympiques, les championnats du monde de football, d'athlétisme et autres évènements d’égale importance.
Les responsables du secteur des medias de service public de la région Mena ainsi que d'autres zones du territoire africain gagneraient à entreprendre la même démarche pour «briser» le diktat de certains groupes audiovisuels qui détiennent le monopole sur tous les évènements sportifs majeurs dans cette région. En somme, les instances de régulation de ces pays doivent s'adapter aux nouvelles réalités socio-économiques imposées par la mondialisation car il y va de la crédibilité des medias de service public et de leur survie.
*Journaliste et experte en communication

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