Sarah a huit ans et, aujourd'hui, elle est toute excitée. Exactement comme le jour où elle allait se rendre pour la première fois à l'école. Il n'est pas assez loin ce jour-là pour rappeler le célèbre «je me souviens comme si cela datait d'hier'» de Fouroulou. D'ailleurs, Mouloud Feraoun s'est rappelé de l'instant à quarante ans passé, pas à huit. Il s'en est souvenu quand il a écrit un livre que Sarah ne lira peut-être jamais.
Et jusqu'à aujourd'hui, Premier Novembre où elle est particulièrement excitée, elle n'a encore lu aucun livre. Sarah a été «sélectionnée». Dans son école, ça fait déjà plus d'un mois qu'on s'y est mis. Sur «instruction de la mairie», l'ensemble des directeurs des «écoles situées sur le territoire de la commune» sont priés de choisir deux élèves, un garçon et une fille, qui ont une belle voix et le port altier.
Le papa de Sarah est fier de sa fille, c'est «la fille de son père», dit-il à tout le monde. Même si elle ne lui doit rien dans le fait qu'elle ait une belle voix, même si elle doit sa silhouette fine et élancée à sa mère, elle est quand même la fille de son père.
Sarah est donc sélectionnée. Elle fera partie de la chorale qui va chanter aujourd'hui Min Djibalina au cimetière des martyrs.
Sarah chante tous les jours Kassaman pendant la levée des couleurs dans la cour de l'école, mais ça, c'est pour tout le monde, cancres compris. Aujourd'hui, elle est sélectionnée.
«Un honneur», a dit le papa. «Je chante mieux qu'Amira, ma copine», a dit Sarah. «C'est un jour important aujourd'hui. Le 57e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération», a dit le papa.
«On ne va pas à l'école, mais au cimetière, je ne vais pas chanter Kassaman avec tout le monde, mais Min Djibalina avec les sélectionnés». Le papa regarde Sarah comme pour lui dire que le Premier Novembre, c'est beaucoup plus important qu'un jour de repos, une promenade au cimetière et chanter mieux que la fille du voisin du troisième. Mais il ne le lui a pas dit. Pourquoi '
Parce qu'il n'en sait pas plus que Sarah sauf qu'il a vu que cette année, c'est le «cinquante septième». Eh, oui, il n'y a pas que les septuagénaires enturbannés et tartrés qui se sentent obligés de faire des discours sur le Premier Novembre.
Le père de Sarah a une fille qui va chanter Min Djibalina, mais il n'a que 34 ans. Et la différence avec les séptua enturbannés et tartrés est qu'il parle rarement de choses qu'il ne connaît pas. Il ne sait d'ailleurs pas pourquoi Warda chante à la télé depuis trois jours, mais pour ça, il ne ressent aucun besoin d'en parler.
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Posté Le : 31/10/2011
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Le Temps d'Algérie
Source : www.letempsdz.com