Algérie - HISTOIRE

La journaliste qui a fait avouer les généraux français sur la torture en Algérie | TÉMOIGNAGE (1/2)




Le point de départ : le témoignage de Louisette Ighilahriz Tout commence le 20 juin 2000, lorsque Le Monde publie en une l’article intitulé : « Torturée par l’armée française en Algérie, “Lila” recherche l’homme qui l’a sauvée ». Derrière ce pseudonyme, « Lila », se cache Louisette Ighilahriz, une ancienne militante du Front de libération nationale (FLN), arrêtée en septembre 1957 à l’âge de 20 ans lors de la bataille d’Alger. Blessée par balle, elle est capturée par les parachutistes français de la 10e division, sous le commandement du général Jacques Massu. Pendant trois mois, dans un centre de détention à Alger, elle subit des tortures brutales : passages à la « gégène » (électricité), coups, viols répétés, et humiliations. Elle survit grâce à l’intervention d’un médecin militaire, le commandant Richaud, qu’elle cherche à retrouver pour le remercier. Ce témoignage, recueilli par Florence Beaugé après des mois de recherche et d’entretiens, met en lumière non seulement les sévices infligés à une combattante algérienne, mais aussi la systématicité de la torture orchestrée par l’armée française. Louisette nomme explicitement deux figures emblématiques : le général Massu, architecte de la répression à Alger, et le général Marcel Bigeard, chef du 3e régiment de parachutistes coloniaux, comme responsables indirects de son calvaire. Une onde de choc et les premiers aveux La publication de cet article déclenche une tempête médiatique et politique en France, ravivant un débat étouffé depuis des décennies par les lois d’amnistie (1962, 1966, 1968) et le silence officiel. Quelques mois plus tard, en novembre 2000, Beaugé obtient une interview exclusive du général Massu, alors âgé de 92 ans. Dans Le Monde du 23 novembre 2000 (« Torture en Algérie : l’aveu des généraux »), Massu reconnaît que la torture était une pratique courante sous son commandement, bien qu’il exprime des regrets tardifs : « On aurait pu faire les choses différemment. » Il admet que ces méthodes, loin d’être des « bavures », étaient tolérées, voire encouragées, par la hiérarchie militaire et les autorités politiques de l’époque. Bigeard, en revanche, nie catégoriquement toute implication, qualifiant les accusations de mensonges et défendant son honneur jusqu’à sa mort en 2010. Mais un troisième protagoniste entre en scène : le général Paul Aussaresses, ancien coordinateur des services de renseignement à Alger. Dans une interview accordée à Beaugé, publiée le même jour que celle de Massu, Aussaresses va plus loin. Sans remords ni regrets, il avoue avoir personnellement ordonné tortures et exécutions sommaires, affirmant : « C’était un système. On ne pouvait pas faire autrement pour gagner la guerre. » Il détaille des pratiques comme les « corvées de bois » (assassinats déguisés en évasions) et confirme que le gouvernement français, sous Guy Mollet, était informé et complice. Un travail d’enquête au sommet de la hiérarchie Le travail de Florence Beaugé ne s’arrête pas là. Entre 2000 et 2005, elle poursuit son investigation, publiant une série d’articles dans Le Monde et un livre en 2005, Algérie, une guerre sans gloire : histoire d’une enquête (Calmann-Lévy, réédité en 2025 au Passager Clandestin). Elle met au jour d’autres témoignages accablants : Mohamed Garne, né d’un viol collectif commis par des soldats français sur sa mère en 1960, qui réclame justice et reconnaissance de son statut de « Français par le crime ». L’affaire du poignard de Jean-Marie Le Pen, où des témoins, dont Mohamed Moulay, accusent le futur leader du Front national d’actes de torture en 1957, ravivant les soupçons sur son passé militaire. Le général Maurice Schmitt, ancien chef d’état-major des armées (1987-1991), mis en cause par des survivants algériens pour avoir supervisé des séances de torture à l’école Sarouy en 1957. Schmitt nie, mais les témoignages, comme celui de Raymond Cloarec, un ancien parachutiste, contredisent ses dénégations. Ces enquêtes mènent Beaugé jusqu’au sommet de la hiérarchie militaire et politique française, révélant un système institutionnalisé de violence coloniale, couvert par des décennies de déni. Impact et enjeux mémoriels L’enquête de Beaugé a des répercussions majeures : Rupture du silence : Elle contraint la France à rouvrir le dossier de la torture, jusque-là relégué à des cercles d’historiens comme Pierre Vidal-Naquet ou Benjamin Stora. Les aveux des généraux, obtenus par une journaliste et non par des tribunaux, brisent le mythe d’une guerre « propre ». Débat public : En 2001, un appel signé par des intellectuels (dont Vidal-Naquet) demande une condamnation officielle de la torture. Le président Jacques Chirac reconnaît timidement en 2002 certains « actes inexcusables », sans aller jusqu’à des excuses formelles. Héritage traumatique : Beaugé souligne dans son livre que la guerre d’Algérie reste une « maladie » collective, tant pour les Français que pour les Algériens, avec un traumatisme intergénérationnel encore vif en 2025. Conclusion Le travail de Florence Beaugé, initié avec le témoignage de Louisette Ighilahriz, est une plongée dans les abysses de la guerre d’Algérie. En obtenant les aveux de figures comme Massu et Aussaresses, elle a forcé la France à affronter une vérité longtemps niée : la torture n’était pas une dérive, mais une politique d’État. Son enquête, rigoureuse et courageuse, reste une référence pour comprendre les mécanismes de la violence coloniale et les résistances à sa reconnaissance, encore perceptibles en mars 2025, alors que les relations franco-algériennes demeurent tendues.
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